Aggravation de la répression marocaine à l'encontre des activistes du Sahara occidental

Gros plan sur le visage de profil de Soltana, dont le visage tuméfié présente de gros hématomes au niveau de l'œil et de la tempe gauches.

Capture d'écran d'une vidéo [ar] postée sur Twitter par le représentant du Front Polisario auprès de l'UE, faisant apparaître la militante Soltana sahraouie après son agression par la police marocaine.

Durant les derniers mois, les violations [en] des droits humains se sont intensifiées dans la région du Sahara occidental occupé par le Maroc. Les victimes sont des journalistes, des civils et des militants séparatistes sahraouis. Ces violations ont mis fin à trente années de paix relative dans la région.

La militante politique Soltana Sayyid Ibrahim Khaya, présidente de la Ligue saharienne pour la défense des droits humains et la protection des ressources naturelles et membre de l'Instance saharienne de résistance à l'occupation marocaine (ISACOM), a subi des violences physiques et a été frappée [fr] le 13 février dernier par les forces de l'ordre marocaines à Boujdour. Cette région est disputée par le Maroc et le Front Polisario [ar], un mouvement réclamant l'indépendance du Sahara occidental et dont le siège est en Algérie. Soltana Khaya Sayyid Ibrahim a été touchée au visage et à l'œil après avoir reçu des pierres lancées par les forces de sécurité marocaines.

Quant à sa sœur, Elwaara, elle a été frappée au visage et près de la bouche. Cela est survenu alors que les force de sécurité marocaines avaient assigné leur famille à résidence, dans la même ville.

La militante sahraouie Aminatou Haidar a écrit au sujet de l'agression physique subie par Soltana :

Regain des tensions locales

Le contexte politique local s'est aggravé le 13 novembre dernier, suite à l'incident du poste de frontière de Guerguerat [fr] situé dans une zone tampon sous surveillance des Nations unies dont la mission, connue sous le nom de Minurso [en], est d'organiser des consultations pour l'auto-détermination du Sahara occidental.

Vers la fin du mois d'octobre dernier, des civils sahraouis ont bloqué la route traversant la zone tampon reliant le Sahara occidental et la Mauritanie, via le poste frontière de Guerguerat qui est sous contrôle marocain depuis longtemps. Le Front Polisario considère cependant ce contrôle comme une violation des accords de cessez-le-feu de 1991 signés entre les deux belligérants.

Le 13 novembre dernier, l'armée marocaine a expulsé [fr] les civils de la zone tampon ainsi que les militants politiques sahraouis, sans victimes ni arrestations [ar] ; un acte perçu comme une rupture du cessez-le-feu par le Front Polisario qui a promis [fr] de « reprendre les hostilités ». Le président de la République démocratique saharienne Ibrahim Ghali, a annoncé [ar] que le Front Polisario mettait fin à l'accord de cessez-le-feu et, depuis, des informations circulent sur des échanges de coups de feu entre les deux parties.

Selon des organisations humanitaires et de presse sahariennes [ar] :

عمليات القمع الممنهج الممارس من قبل الاحتلال المغربي ارتفعت ضد الصحراويين العزل بشكل ’هستيري’ في المناطق المحتلة من الصحراء الغربية ناهيك عن حصار منازلهم واختطافهم، وصولا الى التصفية الجسدية.

Les opérations de répression systématique mises en place par l'occupant marocain à l'encontre des Sahraouis sans défense prennent une tournure « hystérique » dans les régions occupées du Sahara occidental. Sans parler des opérations de blocus des résidences, des enlèvements et même des exécutions sommaires.

La plus grande part du Sahara occidental [en] sous occupation marocaine depuis 1975, malgré les revendications indépendantistes de ses habitants, est riche en phosphate. Rabat rejette toute discussion sur l'auto-détermination tant que l'indépendance constitue une option, et ce alors que le Maroc lui-même [ar] avait approuvé ce choix dans le cadre du cessez-le-feu avec le Front Polisario en 1991, sous l'égide des Nations unies qui ne reconnaissent pas l'annexion [en] du territoire par le royaume. En plus de cet enlisement, la situation s'est aggravée suite à la reconnaissance par les États-Unis [en], en décembre dernier, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental dans le cadre d'un marché conclu par Rabat pour la normalisation des relations avec Israël.

Suite à cette reconnaissance américaine, qui mettait en garde contre une escalade de violence, l'Instance sahraouie contre l'occupation marocaine a publié :

Même si le monde entier s'unissait contre le peuple sahraoui (ce qui est bien sûr impossible), cela ne briserait pas notre volonté de liberté et d'indépendance. Cela ne changerait pas la nature du statut légal de la région du Sahara occidental privé d'autodétermination, qui sera discuté lors de la quatrième assemblée sur la décolonisation.

Selon les organisations locales qui observent la situation des droits humains dans le Sahara occidental, les événements de novembre ont engendré [en] une campagne de répression à l'encontre des militants sahraouis organisée par la police marocaine, consistant en l'assaut des résidences, en l'accentuation de la surveillance et en des arrestations. En outre, il est devenu plus difficile de se rendre dans la région, en particulier pour les observateurs extérieurs. En 2020 les autorités marocaines ont interdit l'accès aux régions du Sahara occidental à au moins neuf avocats, militants, politiciens et journalistes.

Dans une déclaration faite à Human Rights Watch [en, observatoire des droits humains], l'activiste Soltana a indiqué que l'agression à son égard en février n'était pas la première. La police avait déjà pris d'assaut la maison de sa famille le 19 novembre dernier et frappé sur la tête sa mère âgée de 84 ans, jusqu'à lui faire perdre connaissance. Cette dernière a du être conduite à l'hôpital par ambulance. Tout comme sa sœur Alwaara Sayyid Ibrahim, qui avait été frappée à la tête avec une barre de métal, provoquant une hémorragie.

Oubi Bachir, représentant du Front Polisario en Europe et auprès de l'Union européenne, a écrit :

« Ceci est le prix à payer et je savais que j'aurai à m'en acquitter. J'y étais prête et le suis toujours, aujourd'hui peut-être plus encore que jamais. » C'est le résumé de la conversation que j'ai eue avec elle ce soir en prenant de ses nouvelles après l'assaut indigne de la #PoliceMarocaine [ar] ce jour. Elle était affectée et sa voix était entrecoupée, mais elle n'a rien perdu de sa dignité qui reste constante. #Soltana_Khaya [ar] est une femme qui a la force de mille hommes !!

« Favoritisme international »

Le 10 mars dernier, Soltana a dénoncé dans une déclaration [ar] publiée sur son compte Facebook ce qu'elle qualifie de favoritisme de la Croix-Rouge internationale envers le Maroc. Elle y fait allusion à ses appels répétés adressés aux « organismes internationaux de défense des droits humains et des peuples, et en particulier au comité international de la Croix-Rouge, pour une intervention urgente afin de nous protéger ma famille et moi de l'oppression de l'occupation marocaine. » La publication se poursuit ainsi :

أمام ما أعيشه وأتعرض له رفقة عائلتي من جرائم ضد الإنسانية، وإرهاب، وتنكيل، وقمع ممنهج، وسحل بالشارع، ومنع زيارة المنزل وقطع للتيار الكهربائي عن منزل عائلتي ببوجدور المحتلة، ورميي بمواد سامة أجهل طبيعتها،

Face à ce que les membres de ma famille et moi-même subissons : crimes contre l'humanité, terrorisme, torture et répression systématique. Nous sommes traînés dans les rues, empêchés de rentrer chez nous, privés d'électricité dans nos logements du Boujdour occupé et aspergés de substances toxiques dont j'ignore la nature.

Soltana a ajouté que la visite de la délégation du Bureau international de la Croix-Rouge à des instances marocaines, le 6 mars dernier dans la ville occupée de Laayoun, et leur indifférence face à ses appels constituent « une infraction flagrante aux principes d'indépendance et d'impartialité ».

Violations précédentes

Dans ce qu'elle décrit comme « la situation déplorable en termes de droits humains dans laquelle vivent les civils sahraouis », Soltana Khaya fait référence au cas du prisonnier politique sahraoui Mohammed Lemine Abidin Hadi, condamné à 25 années d'emprisonnement après des procès comportant des vices de procédures. Mohammed Lemine a entrepris une grève de la faim depuis le 13 février dernier, et sa famille a exprimé ses inquiétudes [ar] quant à la dégradation de son état de santé et l'impossibilité pour elle d'entrer en contact avec lui à cause de l'inflexibilité de l'administration pénitentiaire marocaine.

Soltana a aussi fait référence dans sa déclaration aux « verdicts injustes et légalement infondés du tribunal d'occupation marocain à l'encontre des activistes des droits humains, Ghali Hamdi Albu Bouhala et Mohammed Othman Potosofra, ainsi qu'à une longue liste de violations et d'actions répressives programmées contre les Sahraouis s'opposant à l'occupation. »

Soltana a de plus demandé au comité international de la Croix-Rouge la création d'une assemblée officielle en coordination avec le Front Polisario afin d'enquêter sur la situation réelle dans les villes occupées, concernant ce qu'elle qualifie de « guerre qui oppose le Front Polisario et le royaume du Maroc depuis le 13 novembre 2020 ».

Dans la même veine, Hayat Khatri [ar], envoyée spéciale de la télévision et de la radio sahraouies, a décrit ce que les Sahariens des villes occupées vivent :

بيئة سياسية قمعية خطرة، يكتسح انتهاك حقوق الانسان الصحراوي فضاءاتها من كل الاتجاهات، لتفرض دولة الاحتلال سيطرتها على مفاصل المقاومة الصحراوية، ومواجهة الصحراويين بكل الوسائل الحاطة بالكرامة الانسانية.

Un climat politique répressif et dangereux qui, par la violation de toutes les dimensions des droits humains sahraouis, permet à l'occupant d'exercer son contrôle sur les groupes de résistance sahraouis en usant de tous les moyens portant atteinte à la dignité humaine à l'égard des Sahariens.

Hayat a également déclaré que sa demeure familiale dans le quartier d'El Hachicha a été encerclée et placée sous surveillance, et que « les forces de sécurité marocaines utilisent des méthodes cruelles pour enrayer tout acte de résistance par lequel les civils sahraouis tentent d'exprimer leurs opinions politiques qui s'opposent à la présence de l'occupant. »

Dans un rapport [ar] publié le 18 décembre, Eric Goldstein [ar], directeur du département Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch a déclaré : « Les forces marocaines et du Polisario sont en opposition pour des querelles de frontières et diplomatiques, mais cela ne justifie pas la répression marocaine à l'encontre des civils sahariens qui protestent pacifiquement contre l'autorité marocaine. »

Cela vient s'ajouter à ce qui a été dernièrement publié par le Washington Post [en] lors d'une analyse d'extraits vidéo montrant des agressions physiques violentes de la part de membres de la sécurité marocaine à l'égard d'activistes sahraouis au mois de juillet dernier, et qui contredit la version officielle.

Les avertissements continuent de se succéder sur la possible aggravation de la situation dans le Sahara occidental sans une intervention internationale pour régler le conflit. Une cellule de crise a annoncé le 11 mars dernier que « les derniers actes d'hostilité laissent présager une escalade, surtout en l'absence d'efforts internationaux pour apaiser les tensions et ramener les parties autour de la table des négociations. »

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