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En Namibie, un mouvement de jeunesse met la vieille garde politique au défi

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Namibie, Ethnicité et racisme, Jeunesse, Médias citoyens, Politique
Vue en hauteur de l'église Christ Church et du réseau routier alentour quasi désert.

La Christ Church (ou Christuskirche), église luthérienne, est un monument historique à Windhoek, capitale de la République de Namibie. Image de Henning Supertramp [1], 9 décembre 2016 (CC BY 2.0 [2])

[Tous les liens mènent à des articles en anglais, ndlt.]

Il y a un peu plus de six ans, le 10 novembre 2014, un petit groupe de jeunes hommes se rendit sur un terrain municipal vacant à Windhoek [3], capitale de la Namibie, y planta des panneaux et le déclara occupé.

Ces hommes, sous l'impulsion des activistes Job Amupanda, George Kambala et Dimbulikeni Nauyomamade, justifièrent cette appropriation [3] par le fait que l'inégalité et l'injustice régnaient dans l'accès à la propriété. La réponse qui s'ensuivit n'aurait pu être plus satisfaisante : la plupart des médias namibiens rapportèrent l'incident, et même le président Hage Geingob s'en émut.

Le 25 novembre 2020, l'un de ces hommes, Job Amupanda, était élu maire de Windhoek [4].

Aujourd'hui, il y a 6 ans, le décor était planté et nous n'avons jamais fait machine arrière.

Nous n'avons peut-être ni le POUVOIR ni l'ARGENT, mais nous avons des IDÉES, de puissantes IDÉES – ce qu'il n'ont pas. Nous avons l'Esprit, l'Énergie, le Talent, le Rythme. Les idées PUISSANTES sont en route !

Job Amupanda, 33 ans, est un ancien maître de conférences [10] et vice-doyen [11] de l'université de Namibie et possède un doctorat en sciences politiques. Au moment de l'occupation du terrain, il était secrétaire à l'information pour la Ligue de la jeunesse de la SWAPO (SPYL [12] – pour SWAPO Party Youth League, ndlt).

La mobilisation des activistes a mené à la formation du mouvement radical de gauche Affirmative Repositioning, qui s'est transformé en parti politique [13] en 2020. L'action ne s'est pas limitée à l'initiative d'occupation du terrain : en novembre 2014, peu de temps après la création du mouvement, ils appelaient la population à réclamer des terres [14], un appel entendu par plus de 14 000 personnes. En mars 2015, plus de 35 000 Namibien·ne·s [15] avaient soumis leurs demandes. Une flambée de réclamations qui faisait écho à l'impossible accès aux terres, de mise dans le pays.

Les trois activistes ont reproché à l'Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO [16], pour South West African People's Organisation, ndlt), le parti majoritaire au Parlement, de ne pas lever les inégalités qui règnent en Namibie, et ont ainsi fait de la résolution de ce problème et de la mobilisation de la société leur cheval de bataille.

Les membres de la SWAPO, fondée en 1960, se sont battus pendant des décennies contre la domination coloniale et pour l'indépendance de la Namibie. Leur ténacité, en tant que défenseurs de la liberté, leur a valu d'être reconnus par les Nations unies [17] en juillet 1966 comme les seuls représentants du peuple namibien.

Lors des premières élections libres et équitables de 1989 (auparavant, seuls les Blancs avaient le droit de vote), le leader de la SWAPO Sam Nujoma [18] est devenu le premier président de la Namibie indépendante. Depuis cette date, la SWAPO est restée le parti dominant du pays, mais a perdu près de 30 % des votes aux élections nationales de 2019 [19] [PDF en ligne].

Les inégalités héritées de la colonisation perdurent en Namibie

Il y a des raisons au fait que les électeurs se soient détournés des combattants pour l'indépendance autrefois admirés. Les effets de la colonisation et de l'apartheid se ressentent encore en Namibie.

Dans les villes, la ségrégation entre les différents groupes de population est encore très importante [20] et les prix de l'immobilier sont élevés, en particulier à Windhoek où l'accès aux terrains [21] est atrocement difficile en plus d'être exorbitant. Si le problème persiste, c'est parce que 70 % des terres agricoles [22] commerciales de Namibie sont toujours détenus par la minorité blanche, trente ans après que ce pays d'Afrique du Sud-Ouest ait acquis son indépendance.

De ce fait, les inégalités sociales en Namibie sont parmi les plus fortes au monde [23], et un grand nombre de citoyen·ne·s sont pauvres et sans-abri. L'indépendance n'a que peu amélioré les conditions de vie de beaucoup de Namibien·ne·s. L'héritage colonial se fait toujours sentir. Trente ans après l'indépendance, actée en 1990, la déception gagne la société namibienne.

En prenant ses distances [24] avec la SWAPO, Job Amupanda s'est affranchi du scepticisme que les Namibien·ne·s entretiennent envers l'élite dirigeante. Ce qui a probablement contribué à son accès au pouvoir. Il a continué à parler de la lutte contre les inégalités qui prévalent dans la société namibienne. Il a été très clair à ce propos lors de son discours d'investiture [25] [vidéo] en tant que maire de Windhoek, prononcé en décembre 2020, promettant de privilégier les services à la politique interne du parti : « Sachez que votre responsabilité est à l'intendance. Pas du leadership politique, mais de l'administration de la ville », aurait-il déclaré [4].

Une réelle action politique

Cadrage en gros plan sur Job Amupanda pendant la manifestation et parlant dans un amplificateur de voix portable

Job Shipululo Amupanda à une manifestation de la jeunesse sur un terrain à Windhoek. Image de ShopLeft [26], 21 avril 2019, CC BY-SA 4.0 [27]

Job Amupanda a promis de lutter contre le manque d'efficacité et d'efficience qui a caractérisé les piètres prestations de service de la municipalité pendant des années. Le 2 mars, l'administration de la ville a coupé l'approvisionnement en eau de cinq ministères pour leur incapacité à s'acquitter d'une facture d'eau cumulée de 47 millions de dollars namibiens (soit environ 3,1 millions de dollars US) :

ACTU : mercredi, la municipalité de Windhoek a suspendu l'approvisionnement en eau de cinq ministères. La porte-parole de la ville Lydia Amutenya a confirmé les interruptions ce matin et a indiqué que les ministères avaient cumulé 47 millions NAD de factures impayées.

La décision a eu un impact immédiat : le gouvernement a réglé sa dette. Et, pour la première fois depuis des décennies, la municipalité a ainsi été également en mesure de régler celles qu'elle avait auprès de ses fournisseurs [30] d'eau et d'énergie, NamWater et NamPower.

Autre exemple : un projet d'agriculture urbaine. Concernant les denrées alimentaires, la Namibie dépend essentiellement des importations [31] depuis l'Afrique du Sud, raison pour laquelle l'administration de Job Amupanda souhaite réaliser sa propre production via une exploitation agricole de 2 000 hectares dont la ville serait propriétaire.

Compte tenu de la situation, promouvoir une agriculture moderne et nationale est facteur d'autonomisation pour les Namibien·nes.

Nous avons de grandes aspirations quant à l'agriculture urbaine. Nous voici à la périphérie de notre ville. Sur ces terres d'environ 2 000 hectares, nous bâtirons une exploitation agricole pour notre propre production. Nous nous inspirons de Thomas Sankara : « Qui te nourrit a le contrôle sur toi. »

Le mouvement de la jeunesse de Job Amupanda, Affirmative Repositioning, est devenu un parti politique. De combattants de la liberté pour l'indépendance, la SWAPO est également devenue un parti politique.

L'avenir dira si Job Amupanda et son parti continueront à tenir leurs promesses. Dans le cas contraire, ils risquent de subir le même sort que le parti autrefois dominant dans cette nation d'Afrique australe.