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Une campagne de dénigrement menace la société civile serbe et les médias indépendants

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Serbie, Droits humains, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique
Photo de groupe en vue plongée des membres de l'équipe de CRTA. [1]

L'équipe du CRTA (Center for Research, Transparency and Accountability), une organisation de la société civile indépendante et non partisane, qui vise à promouvoir la culture de la démocratie et de l'engagement civique en Serbie. Photo : CRTA, publié avec autorisation.

[Les liens renvoient vers des contenus en serbe, sauf mention contraire, ndlt.]

Ce récit a été initialement publié [2] [en] par Meta.mk. Nous le republions ici dans le cadre d'un partenariat de partage de contenus entre Global Voices et Metamorphosis Foundation. Le CRTA est un partenaire éditorial de Global Voices

Au cours des dernières semaines, les politiciens serbes et les médias pro-gouvernementaux ont lancé une campagne de dénigrement contre les organisations de la société civile (OSC) de premier rang et les médias indépendants de Serbie.

Le Center for Research, Transparency and Accountability [Centre pour la recherche, la transparence et la responsabilité publique, CRTA [3]], qui est à l'origine de l'initiative de surveillance Open Parliament [4] et du site de vérification des informations Istinomer [5], a été la cible de cette campagne de haute volée, de même que le site d'enquêtes journalistiques KRIK [6], qui gère le site de lutte contre la désinformation Raskrikavanje [7].

Début mars, deux députés du Parti progressiste serbe (le SNS) au pouvoir, Aleksandar Martinović et Vladimir Orlić, ont agressé verbalement le CRTA en l'accusant d'une prétendue participation à une tentative de coup d’État et d'assassinat du président. Ces accusations sont intervenues suite à un signalement de violation du code de conduite des parlementaires adressé par le CRTA au bureau parlementaire concerné à l'encontre de Vladimir Orlić pour promotion de la discrimination, de la haine et de la violence envers certains sites de médias d'information.

Le 13 mars, en réponse aux accusations, le CRTA a soumis une requête [8] [PDF en ligne] auprès du bureau des procureurs pour demander une enquête concernant ces déclarations. Les procureurs n'ont pas encore répondu à cette demande ni lancé de procédure pouvant amener les parlementaires à s'exprimer publiquement (en tant que témoins) et justifier leurs accusations de complicité à l'organisation d'une conspiration contre l'État.

Ces graves accusations contre le CRTA et le KRIK ne sont que l'une des manifestations de la propension aux attaques institutionnelles dirigées contre la société civile et les médias indépendants qui, par l'apport de preuves grâce à un journalisme d'investigation professionnel, soulèvent les préoccupations d'ordre public à propos de la responsabilité des représentants et institutions de l'État.

Alors que les tabloïdes et politiciens pro-gouvernementaux continuent d'aviver les tensions au sein de la société serbe, de nombreux observateurs craignent que la chasse aux sorcières initiée au Parlement ne se propage dans les rues et mette en danger journalistes, activistes de la société civile, ou quiconque émettant des critiques, et qualifiés « d'ennemis du peuple » ou « d'ennemis de l'État ».

Puisque les parlementaires bénéficient d'une immunité en matière de responsabilité civile et pénale pour les déclarations qu'ls font au sein de la chambre du Parlement, une enquête portant sur leurs allégations concernant une conspiration supposée est le seul moyen pour qu'ils témoignent officiellement et étayent leurs déclarations.

Le CRTA a préconisé [9] que si Vladimir Orlić et Aleksandar Martinović avaient des preuves incriminantes à propos de ces prétendus crimes majeurs, alors ils devaient immédiatement coopérer avec les procureurs.

Dans les faits, les attaques se sont poursuivies avec une intensité grandissante, comme l'a rapporté [10] le site d'investigation Insajder. Lors de la séance parlementaire du 17 mars, A. Martinović a de nouveau lancé plusieurs accusations contre les médias indépendants et les OSC, affirmant qu'elles étaient des « organisations criminelles qui ne paient pas de taxes en Serbie et mènent des projets obscurs » pour le compte de gouvernements étrangers. Cette fois-ci, le parlementaire a également accusé et menacé à plusieurs reprises M. Raša Nedeljkov et Mme Vukosava Crnjanski, tous deux directeurs des programmes du CRTA. Ces menaces indiquaient notamment qu'il connaissait le lieu de résidence de Vukosava Crnjanski et avait des informations sur son appartement ainsi que sur le modèle de sa voiture.

A. Martinović a de plus déclaré, sans apporter aucune preuve, que le CRTA et le rédacteur en chef du KRIK, Stevan Dojčinović, étaient impliqués dans le blanchiment de millions de dollars. Cette diffamation a été suivie de menaces de mort [11] [en] sur les réseaux sociaux.

Le CRTA a réagi [12] à ces menaces qui ont été suivies d'incitations à la violence par les adeptes du parti au pouvoir et les personnes prêtes à faire justice contre les citoyens qualifiés de traîtres envers l'État ou de profiteurs criminels.

Le décompte des mètres carrés de l'appartement de notre directrice Vuka Crnjanski par Aleksandar Martinović du SNS aujourd'hui au Parlement n'est rien en comparaison au message d'intimidation – ‘Nous savons où vous habitez.’

L'organisation internationale Civil Rights Defenders (Défenseurs des droits civils) a soumis une requête [17] [en] pour que les membres du parti au pouvoir de Serbie cessent de menacer les organisations de la société civile et en a appelé au procureur général pour qu'une enquête sur les récentes menaces formulées contre le CRTA à l'Assemblée nationale soit faite.

La campagne de diffamation a aussi attiré l'attention du Parlement européen. Un amendement a été ajouté à la résolution adoptée le 25 mars 2021, concernant le rapport 2019-2020 de la Commission sur la Serbie (2019/2175(INI) [18], fr), et condamnant les attaques des députés et tabloïds contre le KRIK, l'initiative Open Parliament et le CRTA. Cette condamnation fait l'objet d'une partie dédiée de la Résolution officielle du Parlement européen sur la Serbie [19] [fr] :

39.  souligne que les propos injurieux prononcés par les députés durant les séances plénières de l’Assemblée nationale et leurs campagnes d’intimidation et de diffamation à l’encontre des opposants politiques et des représentants des médias constituent des violations de la pratique démocratique et des valeurs démocratiques fondamentales qui doivent être fermement condamnées et sanctionnées, conformément au règlement intérieur ; est consterné par les récentes attaques dirigées par plusieurs députés et tabloïds pro-gouvernement contre des journalistes d’investigation et des acteurs de la société civile, notamment ceux appartenant au KRIK, le réseau de médias indépendants, et d’ONG comme le CRTA et Open Parliament, les qualifiant de complices de groupes de la criminalité organisée et les accusant de préparer un coup d’État, ce qui constitue une violation flagrante du code de conduite des députés récemment adopté ;

Les représentants de la communauté internationale [20] [en] en Serbie ont aussi condamné la campagne de dénigrement lors de plusieurs réunions avec les représentants de la société civile.

J'ai parlé avec la directrice de @CRTArs, @vukac, pour lui faire part de ma solidarité et de mon soutien suite à la récente attaque. La société civile joue un rôle important pour informer et nous appeler à nos responsabilités. Cela mérite toute notre considération.

— L'ambassadeur de l'Union européenne en Serbie

Un haut fonctionnaire serbe a commenté la résolution du Parlement européen, contestant sa véracité. Le président Aleksandar Vučić a annoncé [23] qu'il allait demander à ses partisans de cesser d'émettre des menaces et de révéler au public les adresses ou numéros de téléphone des équipes du CRTA et du KRIK, mais qu'il maintenait son avis très négatif sur leur travail. La Première ministre Ana Brnabić a déclaré [24] que les affirmations de la résolution du Parlement européen étaient complètement fausses.

En ouverture de la conférence « Les citoyens ont le pouvoir » du 8 avril dernier, la directrice du CRTA Vukosava Crnjanski a répondu à la question du modérateur quant à savoir s'ils s'attendaient à des attaques d'une telle violence de la part des forces au pouvoir et qui ont réussi à « capturer l'État », selon la formule [25] du quotidien Danas.

Vukosava Crnjanski posant solennellement, mais en souriant, dans le couloir richement orné d'un bâtiment que l'on suppose officiel. [26]

Vukosava Crnjanski, directrice du CRTA. Photo : Dalibor Danilovic.

« La réaction du Parlement européen et de la communauté internationale a montré qu'il y a des limites qu'ils ne laisseront pas outrepasser [par le régime], même si nous, les activistes, ne pouvons pas nous permettre de compter sur leur seul soutien. Le problème ici est le droit à l'activisme et le droit des citoyens et activistes à combattre la corruption », faisait-elle remarquer.

Elle a également répondu que le danger auquel est confronté le CRTA était moins grave que les menaces faites à l'encontre des lanceurs d'alerte tels que Aleksandar Obradović [27] [en] et Marija Lukić [28] [en] ainsi que des organisations locales d'activistes comme Red Badges [29] de Smederevo et Defend Tesla [30] de Pančevo.

« Il est important de montrer que nous n'avons pas peur et que nous sommes aux côtés des citoyens », a-t-elle conclu.

Correctif [12 april 2021] : une version antérieure de ce billet incluait l'expression d'une opinion non attribuée et non conforme à la charte éditoriale [31] [en] de Global Voices. La phrase indiquait : « Sinon il serait certain qu'ils utiliseraient leur immunité parlementaire pour continuer de propager leur discours de haine, de manière irresponsable et sans la moindre preuve, en incitant au lynchage d'individus et d'organisations. » La version précédente incluait aussi un commentaire éditorial interne. La phrase et la note personnelle ont toutes deux été retirées. Global Voices présente ses excuses à ses lecteurs pour cette erreur.