Mort de l’écrivain et militant trinidadien Colin Robinson, auteur d’un « travail d’histoire social »

Portrait en trois-quarts de Colin Robinson en train de s'exprimer devant un micro

L’écrivain et militant Colin Robinson à une scène ouverte lors du festival littéraire de Calabash en 2007. Photo de Georgia Popplewell sur Flickr, CC BY-NC-ND 2.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

L’écrivain trinidadien et ardent défenseur des droits des personnes LGBTQ+, Colin Robinson, est décédé le 4 mars après une longue bataille contre le cancer du côlon. Il avait 58 ans.

Colin Robinson était l’un des fondateurs de la CAISO (Coalition Advocating for the Inclusion of Sexual Orientation [Association luttant pour l’inclusion de la diversité sexuelle, ndt]), une organisation de la société civile qui défend les droits des personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuel·les, transgenres et intersexes) à Trinité-et-Tobago et a noué des liens étroits avec d’autres organisations militantes, notamment féministes.

La CAISO l’avait fort justement surnommé « responsable de l’imaginaire ». Dans une déclaration diffusée à sa mort, elle a loué la manière dont il « incarnait la lutte pour la justice en utilisant l’imagination créatrice et avait inculqué en nous tous l’importance d’une voix et d’un effort collectifs ».

C. Robinson s'enthousiasmait pour son rôle au sein de l’organisation qui consistait en trois points : analyser, revendiquer et forger des alliances.

Leadership in CAISO provides opportunities to learn so much about policy and government, like how easily anyone can engage officials in a small place. I’ve grown to understand and own concerns of movements CAISO’s built alliances with—children’s advocates, violence survivors, people with disabilities, the highway rerouters—and admire the generosity and passion of other leaders. CAISO’s given me space to practise imagination. Imagination is as critical to social justice as power. Unless we imagine more just futures and how we get there, change won’t come.

Être l’un des responsables de la CAISO permet d’apprendre énormément en matière de politique et de gouvernance ; il est par exemple facile d’engager la discussion entre quatre murs avec des fonctionnaires. J’en suis venu à comprendre et me soucier des organisations dont s’est rapprochée la coalition (défenseur·es des droits de l’enfant, survivant·es de violence, personnes souffrant de handicap ou déplacées lors de la construction d’autoroutes), et j’admire la passion et la générosité des autres responsables. La CAISO m’a donné un espace où laisser libre cours à mon imagination. Celle-ci est aussi essentielle à la justice sociale que le pouvoir. À moins d’imaginer des futurs plus justes et les moyens d’y arriver, le changement n’aura pas lieu.

Il avait parfaitement compris [fr] que le concept de justice individuelle doit se traduire en une justice pour toutes et tous [fr]. Sa mort a suscité de très nombreux hommages provenant d’organisations partageant les mêmes idées, comme Cause An Effect [Ayez un impact, ndt] qui vise à améliorer la vie des Trinidadiens et Trinidadiennes souffrant de handicap :

Thank you Colin Robinson, for your tireless work in the advocacy space. […] Thank you for your service and all that you did, with the time that you had.

Colin Robinson, merci pour ton inlassable travail de revendication. […] Merci pour ta mission et tout ce que tu as fait avec le temps qui t’avait été imparti.

Dr Gabrielle Hosein, une amie et collègue qui enseigne à l’université des Indes occidentales au sein de l’Institut d’études sur le genre et la sociologie du développement, a remarqué la façon dont Colin Robinson établissait automatiquement des liens entre des groupes apparemment disparates :

More than ten years ago, Colin gave a speech I’ll never forget. It was on reproductive rights, but he somehow wove in Spiritual Baptists, LBGTI folk and others you wouldn’t think share the same cause. If all who understood discrimination or life at the margins of state law and social acceptance were able to connect to each other’s desires for inclusion, then we could strengthen each other’s struggle to equally belong as many different bodies.

Il y a plus de dix ans, Colin a prononcé un discours que je n’oublierai jamais. Celui-ci portait sur les droits à la reproduction, mais il y avait en quelque sorte intégré les baptistes spirituels, les personnes LBGTI, et d’autres encore dont on n'aurait pas imaginé qu’ils partagent la même cause. Si toutes celles et ceux qui comprenaient la discrimination ou la vie en marge de l’État de droit et de l’acceptation sociale pouvaient se reconnaître dans les désirs d’inclusion des un·es et des autres, alors nos luttes se renforceraient mutuellement, puisque chacune serait équitablement partagée entre autant d’organisations différentes.

Dans leurs hommages en ligne, collègues et ami·es rappellent son courage et sa propension à encadrer les jeunes, l’importance de son travail et son amour de la vie même à l’article de la mort.

Un « travail de mémoire »

Colin Robinson passait par sa chronique hebdomadaire dans le Trinidad and Tobago Newsday pour raconter son combat contre le cancer ; c’est là qu’il avait annoncé en mai 2020 que sa maladie était en phase terminale. Cet article d’une rare franchise avait alors été largement partagé sur les réseaux sociaux :

My genes had bred a cancer that’s a better activist than me, which had promptly spread. I was Stage IV. […] And I am going to cuss the next person who tells me that, despite the bad news, they are praying for my total recovery.

There comes this moment when you realise—or decide—that what you are doing is dying. And that you need to quickly learn how to.

Mes gènes ont donné naissance à un cancer qui se révèle bien meilleur activiste que moi vu sa vitesse de diffusion. J’en suis au stade terminal. […] Alors le prochain ou la prochaine à prétendre prier pour ma guérison complète malgré ces mauvaises nouvelles va se faire copieusement insulter.

Arrive un moment où il faut bien reconnaître, ou décider, qu’on est en train de mourir. Et on a intérêt à vite apprendre comment.

Cela fait partie de ce que C. Robinson appelait « le travail de mémoire » :

[…] recording what I remember; and helping others to remember the paths I have trodden by leaving better markers of them—memoir-writing and archiving. This is not work only for the well-known. Indeed, in some ways it is work that is far more important for those not in the public record to undertake. […] It is the work of social history.

[…] Enregistrer ce dont je me souviens, aider autrui à retrouver les chemins que j’ai empruntés en y laissant de plus profondes empreintes – mémoires écrites et archives. Ce travail n’est pas seulement pour les figures reconnues. En fait, d’une certaine façon, ce travail est même bien plus important pour celles et ceux loin du regard public. […] C’est le travail de l’histoire sociale.

Une œuvre littéraire

En tant qu’écrivain, Colin Robinson a participé à plusieurs publications dont Beyond Homophobia [Par-delà l’homophobie, ndt] qui visaient à changer notre perception de la région considérée comme profondément homophobe, en s’intéressant à « l'agentivité » [le pouvoir agir des individus, ndt] et aux expériences des personnes LGBTQ dans les Caraïbes.

La maison d’édition Peepal Tree Press, qui a publié en 2016 son premier recueil de poésie, You Have You Father Hard Head [Toi Père, Toi et ta tête dure, ndt], décrit son style comme « pleinement conscient de l’histoire agitée de la race, de la politique et de l’identité dans la société caribéenne […], un style acéré, ironique et foisonnant des divers paysages et cultures ayant façonné le poète au fil des ans ». (« Hard head » est une expression caribéenne signifiant l’entêtement.)

Il était un auteur très apprécié du Bocas Lit Fest [Festival littéraire de Bocas, ndt], qui a présenté ses poèmes lors de plusieurs conférences en direct et événements en ligne. Ce festival caribéen de premier plan a publié suite à son décès un communiqué louant son militantisme et son travail en faveur des droits humains, ainsi que ses « chroniques journalistiques toujours provocantes » et, bien entendu, sa poésie :

We will return to his poems and other writings for the intrigue of his ideas and the pleasure of his wit. The difference he made, and the difference he was, will endure.

Nous nous replongerons dans ses écrits et ses poèmes, savourant son esprit brillant et la trame de sa réflexion. Son influence et sa différence perdureront.

Un parcours militant

Colin Robinson a été élevé avec ses trois frères et sœurs par une mère directrice d’école et un père directeur général dans la finance. Une bourse obtenue après son baccalauréat au lycée de Port-d'Espagne lui a permis de partir étudier à Yale en 1980.

Il a toutefois trouvé au sein de cette université de l’Ivy League « un espace culturellement difficile » et a rejoint l’université de New York d’où il est sorti diplômé d’anthropologie. Il a ensuite obtenu une maîtrise en gestion et politique sanitaire à la New School [fr][université privée new-yorkaise, ndt] et a travaillé pendant plus de 20 ans à New York, où il habitait.

Il s’est engagé en faveur des personnes LGBTQ+ à la mort d’une connaissance atteinte du SIDA. « J’ai commencé à travailler dans le domaine du VIH et n’ai jamais vraiment arrêté », a-t-il confié à sa consœur Lisa Allen-Agostini. Son œuvre littéraire s’est naturellement développée en parallèle de son engagement communautaire ; de cette dualité est née une œuvre originale, « puisqu’il est l’un des rares poètes caribéens ouvertement homosexuel », selon Lisa Allen-Agostini.

Amilcar Sanatan, professeur d’université et confrère poète, considère la poésie de Robinson importante en ce qu’elle apporte un nouveau regard sur le patriarcat et la masculinité caribéenne [fr].

C. Robinson estimait quant à lui que ses écrits les plus marquants à l’échelle nationale se trouvaient dans sa chronique hebdomadaire, puisqu’il avait ainsi la possibilité « d’écrire en tant qu’homosexuel sur l’actualité et la culture ».

Un héritage durable

Sa santé se détériorant, il a fait savoir via Facebook que la fin approchait et que, attaché aux relations humaines, il recevrait avec plaisir messages, appels et visites pendant qu'il préparait son dernier voyage.

Illustration de l'invitation, sur laquelle se trouve, à gauche, un dessin coloré représentant un homme noir assis au pied d'un arbre, une main posée au-dessus du cœur. Dans la partie droite se trouvent les informations de la conférence.

Invitation à une conférence en ligne visant à honorer l’écrivain et militant Colin Robinson, partagée via WhatsApp.

Le 26 février, une semaine avant sa mort, l’Institut Lloyd Best pour les Caraïbes avait organisé via Zoom une lecture en ligne de ses poèmes, à laquelle il avait participé avec des ami·es et collègues proches. Ce fut un hommage à la fois à ses écrits et à son travail acharné en faveur des droits humains.

Robinson aurait aimé vivre assez longtemps pour être témoin d’événements importants : la protection offerte par la Loi pour l’égalité des chances [pdf téléchargeable par ce lien, ndt] étendue aux personnes LGBTQ+, la double création d’une institution nationale des droits humains et d’un centre de services pour les organisations non gouvernementales à la gestion partagée, ainsi que l’adoption des directives internationales de santé publique qui permettent aux personnes séronégatives d’avoir accès aux médicaments antirétroviraux (directives auxquelles s'oppose le ministre trinidadien de la Santé, Terrence Deyalsingh). Colin Robinson ne cachait pas son intention de revenir hanter ce membre du gouvernement.

C’est le même sens de l’humour qui a sans doute guidé la décision de la CAISO de nommer « Hard Head Award », en son honneur, le prix récompensant le militantisme transformationnel et l’audace artistique. Reconnaissance appropriée, car l’on se souviendra du poète à la fois pour son œuvre littéraire et pour son engagement en faveur des droits humains.

La militante Stephanie Leitch lui a fait ses adieux en déclarant : « Merci de nous avoir aimé, lorsque personne d’autre ne l'aurait fait », tandis que la poétesse Shivanee Ramlochan se souvenait :

His work has lit a lamp long before I picked up a pen, and I followed that light in part without knowing its source. That is how a writing ancestry works, how a community is made around you.

Son œuvre avait allumé une lampe bien avant que je ne prenne la plume, et j’ai suivi cette lumière en partie sans en connaître la source. C’est ainsi que se crée une ascendance littéraire ; c’est ainsi qu’une communauté se forme autour de vous.

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