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« Olympig » : encore une polémique pour les JO de Tokyo

Catégories: Asie de l'Est, Japon, Femmes et genre, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Sport, COVID-19
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Affiches des Jeux olympiques / paralympiques de Tokyo 2020. Photo de Dennis Amith [1] sur  Flickr [2]. (CC BY-NC 2.0 [3])

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

Le 17 mars, Sasaki Hiroshi, directeur artistique pour les Jeux olympiques de Tokyo, a été contraint de démissionner [4] [fr] suite à des remarques misogynes, devenant ainsi le deuxième haut fonctionnaire à être exclu cette année de la préparation aux JO pour sexisme flagrant. La démission de Sasaki représente un nouveau revers pour les Jeux de 2020, guère populaires, en proie à une série d’impairs et déjà reportés d'un an [5] [fr] en raison de la pandémie de COVID-19 toujours en cours.

Sasaki Hiroshi, qui jusqu’en mars était responsable des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques, avait été détaché à ce poste par le géant de la publicité et des relations publiques Dentsu [6] [fr]. Il a déclaré [7] avoir proposé un an plus tôt que la populaire humoriste et animatrice Watanabe Naomi [8] se déguise en cochon [pig en anglais, ndt.], jouant ainsi sur la dernière syllabe du mot « olympiques ». Suite à la publication [9] [jp] de cette réflexion dans le magazine d'investigation [10] Shukan Bunshun daté du 17 mars, Sasaki a été contraint d’expliciter ses propos.

En février, le président du Comité d’organisation olympique japonais, Mori Yoshiro, avait déjà été poussé à la démission [11] [fr] suite à des propos misogynes réitérés. Des manifestations [12] [jp] avaient alors eu lieu dans le pays et au moins un millier [13] de bénévoles avaient démissionné avant que Mori ne soit poussé vers la sortie.

Chelsea Szendi Schieder, une historienne enseignant [14] à l’université Aoyama Gakuin, a réagi :

Proposing to cast Watanabe Naomi, the most charismatic talent working in Japan today, as the “Olympig” in the opening ceremonies is insulting, and sadly on-brand for Tokyo 2020.

Proposer de déguiser Watanabe Naomi, personnalité la plus talentueuse et charismatique travaillant actuellement au Japon, en « Olympig » lors des cérémonies d’ouverture est insultant et colle malheureusement tout à fait aux JO de Tokyo 2020.

Plusieurs personnes ont fait remarquer que Sasaki, par sa proposition, semblait être un parfait exemple de cette gérontocratie dépassée qui est chargée des Jeux olympiques, tout autant que du pays lui-même (le Japon a été récemment classé au 120ᵉ rang mondial [15] en ce qui concerne l’égalité entre les sexes). Le journaliste indépendant Thoton Akimoto a déclaré :

Who on earth could think dressing up Watanabe Naomi as a pig, and then making her say “I'm an Olympig” would ever be a good idea for the opening ceremony of the Olympics? It's not only demeaning to Watanabe, but also to anyone self-conscious of their own appearance. The idea could also be perceived as being anti-women. It's as though Sasaki confused the Olympics with a vulgar variety television show with a 60s or 70s sensibility.

Qui diable a jamais pu penser que déguiser Watanabe Naomi en cochon puis lui faire dire « Je suis un Olymporc » serait une bonne idée pour la cérémonie d’ouverture ? C’est humiliant non seulement pour Watanabe, mais aussi pour toute personne préoccupée par son apparence. Cette idée pourrait également être perçue comme dirigée contre les femmes. On a l’impression que Sasaki a confondu les Jeux olympiques avec une vulgaire émission télé de variétés dont la subtilité remonterait aux années soixante ou soixante-dix.

Dans un communiqué officiel, Watanabe a déclaré que sa participation aux cérémonies d’ouverture n’était plus envisagée suite au report des Jeux olympiques de l’année précédente, et qu’elle n’était pas au courant des remarques de Sasaki.

Elle a ensuite ajouté [18] :

As Naomi Watanabe, a person in the public eye, it is true that there are times when people have told me my physique is large, and I have been working with the understanding that there will be times when I will be taunted for it.

In reality, I am very happy with my figure. Therefore, I want to continue to express myself not only as someone who is large but as ‘Naomi Watanabe.’

However, as one human being, I truly hope from the bottom of my heart that the world can become a joyous place where each person’s individuality and ideas are respected and accepted by all.

Moi, Watanabe Naomi, suis un personnage public. Il est vrai que l’on m’a parfois fait remarqué la largeur de ma taille, et j’ai toujours gardé à l’esprit que cela pourrait devenir un sujet de raillerie.

Mais en fait, je suis ravie de ma silhouette. Je veux donc continuer à m’exprimer non seulement en tant que personne de forte corpulence, mais aussi en mon nom propre.

Cependant, en tant qu’être humain, j’espère du fond du cœur que le monde puisse devenir un endroit joyeux où l’individualité et les idées de chacun·e sont respectées et acceptées de toutes et tous.

Au milieu de ces incessantes controverses, un nombre croissant de célébrités et autres personnalités a renoncé à participer au relais de la flamme olympique [19] [jp], partie le 25 mars de la préfecture de Fukushima. La plupart d’entre elles, comme le très apprécié comédien et animateur télé Shofukutei Tsurube [20] et le gentleman crooner Itsuki Hiroshi [21], a prétexté des conflits d'emploi du temps [22] [jp] pour se retirer du relais.

Ils réagissent probablement au sentiment populaire sur ces Jeux olympiques. En effet, un récent sondage de l’agence de presse Kyodo a révélé que 80 % [23] [jp] des Japonaises et Japonais pensaient qu'ils devraient être annulés ou de nouveau reportés en raison de la pandémie actuelle.

Ce sondage avait été mené à la suite des remarques misogynes de Mori Yoshiro en janvier et février derniers, qui avaient également provoqué la désertion des bénévoles.

Malgré les revers et le faible soutien populaire apparent pour ces Jeux, les organisateurs ont insisté pour que le relais de la flamme olympique se poursuive comme prévu [24] (une étape « réservée aux hommes [25] » a été annulée [26] suite à l’indignation du public), alors même que le nombre de cas de Covid-19 est toujours en hausse dans les villes situées sur le trajet, dont Osaka et Tokyo.

Pendant ce temps, le Japon et sa population de 126 millions d’habitant·e·s connait sa « quatrième vague [27] » de Covid-19. Plus d’un million  [28][jp] de cas positifs ont été recensés dans le pays depuis le début de la pandémie en février 2020 et, d’une semaine à l’autre, le nombre d’infections continue d’augmenter dans certaines régions.

Au début de ce mois d’avril, on dénombrait une moyenne hebdomadaire de 440 nouveaux cas par jour [29] [jp] chez les quinze millions de Tokyoïtes, chiffre supérieur aux 376 et 303 cas des deux vendredis précédents.

Dans la préfecture d’Osaka, forte de ses 8,8 millions d’habitant·es, les 559 nouveaux cas identifiés [30] le 1er avril constituaient un nombre record en une journée depuis le 23 janvier. Le gouvernement central japonais, qui conserve la maîtrise globale des dispositifs régionaux concernant le Covid-19, a été contraint [30] de reconduire et durcir ses mesures afin de réduire le nombre d’infections.

Le gouvernement japonais n’est pas le seul à s'inquiéter du nombre croissant d’infections. L’armée américaine, elle-même impliquée [31] [fr] dans la propagation initiale de la maladie à travers le pays, a identifié plusieurs « zones rouges » :

Il est intéressant de comparer ce qu’elle considère comme des « zones rouges » de Covid au Japon avec l’approche beaucoup plus décontractée adoptée par le gouvernement Suga. On pourrait croire qu’il s’agit de deux pays différents.

Les vaccins ne sont peut-être pas une solution miracle pour sortir de la pandémie. Le programme de vaccination japonais, bien que s’accélérant, a démarré lentement, et moins de 1 % [38] de la population est aujourd’hui vaccinée. Le gouvernement a signé des accords [39] avec les fournisseurs de vaccins et se focalise en premier lieu sur le personnel de santé [40] et les personnes âgées.

Face à la pandémie actuelle de Covid-19, le gouvernement japonais a décidé d’organiser des Jeux olympiques « réservés aux athlètes », ce qui maintiendrait en théorie le nombre de visiteurs et visiteuses de l'étranger sous la barre des quinze milles [41]. Le règlement permettrait cependant aux familles, coachs, médias et sponsors de venir au Japon, qui accueillerait alors cent à deux cent mille personnes.

Le Japon a clos ses frontières et ne les ouvre que pour ses citoyens et citoyennes, ce qui bloque [42] à l’étranger des résidentes et résidents allochtones. La situation est particulièrement difficile pour les étudiant·es étranger·ères, beaucoup ne pouvant revenir au Japon depuis plus d’un an. Même si les restrictions concernant l’entrée dans le pays ont été assouplies [43], il peut encore être difficile pour les étudiant·es et certain·es travailleuses et travailleurs d’obtenir l’autorisation de revenir.

On craint que le Japon ne laisse entrer les étrangers, y compris les étudiant·es, visiteurs, visiteuses, détenteurs et détentrices de visa, qu’une fois les Jeux olympiques terminés, c'est-à-dire pas avant septembre 2021 [44].

Des impairs à répétition, un modèle de misogynie pure et simple parmi les hauts dirigeants, et le sentiment que la pandémie de Covid-19 est ignorée ont concouru au faible soutien populaire [45] pour ces Jeux, ce que le Comité d’organisation olympique japonais ne semble pas disposé à reconnaître.

Au contraire, après que le magazine d’information Shukan Bunshun a révélé l’idée de « l'olympig » de Sasaki Hiroshi et qui a abouti à sa démission, Hashimoto Seiko, remplaçante de Mori Yoshiro au sein du nouveau comité d’organisation, a exigé [46] [jp] que l'hebdomadaire se rétracte et retire de la circulation tous les exemplaires papier concernés.

Le magazine a catégoriquement refusé [47] [jp], et cette affaire est venue s’ajouter aux autres polémiques concernant les Jeux olympiques de Tokyo. Dans sa réponse, le Shukan Bunshan faisait remarquer qu’il est dans l’intérêt du public de tenir au courant des événements financés par les contribuables, et concluait par cette question :

東京オリンピックは、誰のためにあるのか。組織委員会や電通、政治家など利益を得る一部の人々のために、オリンピックがあるのではないか。

Who are the Tokyo Olympics for? It shouldn't just be an “Olympics for some people,” such as the organizing committee, Dentsu, and politicians.

Pour qui sont les Jeux olympiques de Tokyo ? Ils ne devraient pas être réservés uniquement à quelques-uns comme le comité d’organisation, Dentsu et les politiciens.