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La Marche Aurat (Marche des femmes) au Pakistan fait l’objet d’une sévère résistance depuis son lancement en 2018. Cette année n’a pas fait exception, puisque les organisatrices ont fait face à une dure opposition sous la forme de campagnes de désinformation, d’accusations de blasphème et même de menaces de l’organisation terroriste interdite Tehrik-e-Taliban Pakistan [fr].
Pour la quatrième année consécutive, le collectif féministe Hum Aurtein a organisé des marches à travers le Pakistan, le 8 mars, Journée internationale des femmes, qui incluaient des expositions d’art public et des présentations pour mettre en lumière les défis auxquels les femmes sont confrontées. La marche s’est également concentrée sur les dommages causés par l’épidémie de COVID-19 au Pakistan, la qualifiant de « pandémie patriarcale ».
À lire : La “Marche de l'Aurat” 2021 présente un manifeste féministe sur les soins de santé au Pakistan
Des images de la marche Aurat d’Islamabad montrant un drapeau français parmi les pancartes ont donné lieu à des accusations selon lesquelles les évènements faisaient partie d’un « plan étranger » ; le Women Democratic Front, [WDF, en français : Front démocratique des femmes, ndlt] a réagi avec ce tweet :
The WDF flag represents grassroots feminism in Pakistan and has nothing to do with the French flag. We, at WDF, stand against all forms of imperialism and the accusation that we would ever wave the flag of a former colonial power is ridiculous. pic.twitter.com/oZIjDB8XGu
— Women Democratic Front #AuratAzadiMarch2021 (@wdf_pk) March 10, 2021
Le drapeau du WDF représente le féminisme de base du Pakistan et n’a aucun rapport avec le drapeau français. Au WDF, nous sommes opposées à toutes les formes d’impérialisme et l’accusation selon laquelle nous brandirions le drapeau d’une ancienne puissance coloniale est ridicule.
À Lahore, des témoignages de victimes de harcèlement et d’agressions sexuels étaient inscrits sur une couverture #Metoo. L’un d’entre eux disait, « J’avais 9 ans, il en avait 50. J’ai été réduite au silence. Mais on entend toujours sa voix lorsqu’il lance l’appel à la prière. » Ce témoignage a été considéré comme blasphématoire et qualifié d’insulte au prophète Mahomet [fr]. Les hashtags #Blasphemy_at_Aurat March, #BanAuratMarch [en français : blasphème à la Marche Aurat et Interdisez la Marche Aurat, ndlt] sont devenus viraux. Condamnant cette campagne de diffamation, les organisatrices ont tweeté :
Statement by Aurat March Lahore condemning slander against the march.#AuratMarch2021 #AuratMarchLahore pic.twitter.com/Mq0IFNTe6I
— عورت مارچ لاہور – Aurat March Lahore (@AuratMarch) March 10, 2021
Communiqué de la marche Aurat Lahore condamnant la diffamation circulant contre elle. #AuratMarch2021 #AuratMarchLahore
Lire le communiqué contenu dans le tweet ci-dessus [PDF en ligne, en français, 97 ko]
Une vidéo de la marche Aurat de Karachi montrant les participant·e·s scander des slogans est devenue virale avec les mauvais sous-titres. Les organisatrices de la marche Aurat de Karachi ont réagi en postant la vidéo originale avec les mots exacts qui étaient scandés, pour que les gens comprennent qu’elles appelaient à l’« azadi » [la liberté, ndlt] pour se défaire du patriarcat.
Le journaliste Ansar Abbasi, très critique sur la Marche Aurat et connu pour ses opinions sexistes, a lui aussi retweeté la vidéo, en diffusant de fausses informations, et a demandé au gouvernement de prendre acte. Lorsque, par la suite, la vidéo s’est révélée être fausse, monsieur Abbasi et d’autres ont tenté de revenir sur leurs déclarations, mais il était trop tard. Les organisateur· trice·s de la marche Aurat de Karachi ont tweeté :
We demand @AnsarAAbbasi & @ovaismangalwala to apologize to Aurat March for spreading fake & heinous allegations. As journalists, they are responsible to verify facts & report. Apologize to women & trans women of Pakistan for attacking their movement with false propaganda. https://t.co/188dAuFvzM
— Aurat March – عورت مارچ (@AuratMarchKHI) March 11, 2021
Nous exigeons qu’@AnsarAAbbasi & @ovaismangalwala s’excusent auprès des organisatrices de la Marche Aurat pour avoir répandu des accusations fausses et odieuses. En leur qualité de journalistes, ils sont tenus de vérifier les faits et de les rapporter. Présentez des excuses aux femmes & aux femmes trans du Pakistan pour avoir attaqué leur mouvement avec une fausse propagande.
La Commission des droits de l’homme du Pakistan (HRCP) s’est également exprimée sur ces attaques malveillantes :
HRCP strongly condemns the deliberate, vicious campaign against @AuratMarch, incl. by sections of the media. Once again, allegations of blasphemy have been weaponised, this time against women who bravely drew attention to the harassment & sexual assault they had experienced. 1/2
— Human Rights Commission of Pakistan (@HRCP87) March 12, 2021
La HRCP condamne fermement la campagne vicieuse et délibérée contre l'@AuratMarch, notamment par des personnalités des médias. Une fois de plus, les allégations de blasphème ont été utilisées à des fins répressives, cette fois contre des femmes qui ont courageusement attiré l'attention sur le harcèlement & les agressions sexuelles dont elles ont été victimes. 1/2
et ont exigé que des mesures soient prises contre les auteurs de ces actes :
This is not just repugnant, it is an incitement to violence. We demand that action be taken against all such persons. A mere apology is not enough. Indeed, it is a matter of great shame that such a backlash has become a recurring feature of @AuratMarch. 2/2
— Human Rights Commission of Pakistan (@HRCP87) March 12, 2021
Ce n'est pas seulement un acte odieux, c'est une incitation à la violence. Nous exigeons que des mesures soient prises contre ces personnes. De simples excuses ne suffisent pas. En effet, il est regrettable que de telles représailles contre l'@AuratMarch soient devenues récurrentes. 2/2
Les organisatrices avaient prévu des laissez-passer de presse pour celles et ceux qui s'étaient inscrit·e·s à l’évènement, mais certains administrateurs YouTube ont réussi à s'introduire dans la foule et ont harcelé les participant·e·s, leur posant des questions provocantes et les forçant à parler ; ils ont même cité les noms de celles et ceux qui refusaient de commenter.
AURAT MARCH LAHORE’S STATEMENT ON MEDIA ACCOUNTABILITY
We are naming and shaming the YouTube channels that harassed participants of the #AuratMarch and endangered lives with their disinformation. We will not stand on the sidelines & let lives be ruined:https://t.co/Z4lNNswEJv pic.twitter.com/aqvRNTlO8H
— عورت مارچ لاہور – Aurat March Lahore (@AuratMarch) March 21, 2021
COMMUNIQUÉ DE LA MARCHE AURAT LAHORE SUR LA RESPONSABILITÉ DES MÉDIAS
Nous nommons et dénonçons les chaînes YouTube qui ont harcelé les participant·e·s de la #marcheAurat et ont mis des vies en péril avec leurs fausses informations. Nous ne resterons pas les bras croisés & ne laisserons pas des vies être gâchées.
Lire le deuxième communiqué contenu dans le tweet ci-dessus [PDF en ligne, en français, 80 ko]
Les organisatrices de la Marche Aurat de Lahore ont également publié un communiqué condamnant les normes laxistes et dangereuses des entreprises de médias sociaux, et ont affirmé que leur inaction avait mis en danger leurs vies et celles des participant·e·s à la marche tout en portant préjudice au mouvement féministe au Pakistan :
AURAT MARCH’S STATEMENT AGAINST BIG TECH – COLLECTING SIGNATURES
After getting a significant number of signatures, we plan to circulate these endorsed statements amongst big-tech companies. You can endorse the statement through this google form:https://t.co/ZxuWlnVEB5 pic.twitter.com/P6MBjkQIJg
— عورت مارچ لاہور – Aurat March Lahore (@AuratMarch) March 29, 2021
COMMUNIQUÉ DE LA MARCHE CONTRE LES GRANDES FIRMES TECH – RECUEIL DE SIGNATURES
Après avoir reçu un nombre considérable de signatures, nous prévoyons de faire circuler ces déclarations approuvées au sein des grandes entreprises technologiques. Vous pouvez approuver la déclaration par le biais de ce formulaire google : https://t.co/ZxuWlnVEB5
Lire le troisième communiqué contenu dans le tweet ci-dessus [PDF en ligne, en français, 83 ko]
Menaces et arrestations
Quelques jours après la Marche Aurat 2021, des groupes religieux ont bloqué les rues d’Islamabad [fr], la capitale pakistanaise, exigeant l'enregistrement d'un First Information Report [FIR, en français : procès-verbal introductif, ndlt] — un rapport qui fait suite à des plaintes déposées auprès de la police — contre les organisatrices et les participant·e·s de la Marche Aurat. L’administration a promis que des mesures contre les organisatrices seraient prises dans les deux jours.
Le Tehrik-e-Taliban Pakistan [fr] (TTP), une organisation militante interdite responsable de nombreuses activités terroristes au Pakistan, n'a pas fait exception. Il a averti les marcheur·euse·s : « Changez de comportement, il y a toujours de nombreux·ses jeunes musulman·e·s ici qui savent comment protéger l'islam et les limites fixées par Allah ».
La Fondation Shudada a déposé une requête auprès de la Haute Cour d'Islamabad (IHC) afin d'obtenir l'interdiction de la Marche Aurat, au motif que les ONG étaient sponsorisées pour promouvoir un plan occidental laïc au Pakistan. La fondation a demandé à la Cour de soumette l'affaire au Conseil de l'idéologie islamique (CII), afin de déterminer si les femmes sont privées de leurs droits, comme l'affirment les marcheur·euse·s, et si la Marche Aurat est conforme à l'islam et à la Constitution. (Le CII [fr] est un organe constitutionnel qui donne un avis juridique en vérifiant si des parties d'une proposition de loi ne sont pas incompatibles avec l'islam.)
Alors que la police avait préalablement refusé d'ouvrir une enquête au motif que les allégations étaient sans fondement, un juge du tribunal local de Peshawar a ordonné à la police d’ouvrir une enquête contre les organisatrices de la marche Aurat à Islamanad pour blasphème. Un tribunal à Karachi a rendu une ordonnance similaire même si, l'année dernière, la Haute Cour d'Islamabad (IHC) a rejeté une requête visant à mettre un terme à la Marche Aurat.
La loi interdisant le blasphème [fr] punit les propos ou les actes contraires à toute religion reconnue, avec des peines allant d'une amende à la mort. Cette disposition du Code pénal a été rendue plus sévère par l'inclusion d'éléments de la charia [fr] musulmane dans les années 1980, ce qui en fait l'une des lois anti-blasphème les plus strictes.
Soutien du gouvernement et de la société civile
Malgré les menaces, la Marche Aurat a obtenu le soutien de plus de 1 000 journalistes, politiques, universitaires, intellectuel·le·s et militant·e·s. L'assistante spéciale du ministre en chef du Pendjab, Dr Firdous Ashiq Awan, s'est engagée à soutenir la Marche Aurat tant qu'« elle ne bafouait pas l'honneur du Pakistan », même si elle a déclaré par la suite que certains slogans étaient contraires aux valeurs de la société pakistanaise.
Au même moment, le ministre des Affaires religieuses, Noorul Haq Qadri, a déclaré que les autorités avaient relevé les propos de ceux qui ont diffamé la Marche Aurat : « Nous démasquerons les coupables impliqués et nous engagerons des poursuites à leur encontre », a-t-il déclaré, ajoutant que celles et ceux qui ont partagé en ligne des pancartes photoshoppées de la Marche Aurat seraient également punis.