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La Barbade retire une statue de l'officier de Marine britannique Horatio Nelson à cause de son rôle dans la traite négrière

Catégories: Caraïbe, Barbade, Ethnicité et racisme, Histoire, Médias citoyens, Politique
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La statue d'Horacio Nelson après son retrait du National Heroes Square (place des héros nationaux) de La Barbade, le 16 novembre 2020. Capture d'écran depuis le direct Facebook [1] de l'événement.

La plupart du temps [2], l'histoire eurocentrée se souvient du vice-amiral Horatio Nelson [2] comme d'un commandant de la marine courageux et astucieux. On peut voir des statues honorant ses exploits dans le monde entier, depuis Trafalgar Square [3] à Londres jusqu'au National Heroes Square [4] [en] (en français : Place des héros nationaux) à Bridgetown, où la Barbade l'honore pour sa victoire lors de la bataille de Trafalgar [5] [en] pendant les guerres napoléoniennes [6], une victoire qui a empêché l'île [7] [en] de devenir une colonie française et a protégé un accès clé du commerce britannique.

Pourtant, le 16 novembre 2020, après des années de demandes de suppression de la statue [8] à cause du rôle de Nelson dans la traite négrière de l'Atlantique, le gouvernement de la Barbade l'a finalement retirée [9] [en]. Avec le drapeau national flottant au-dessus du parlement, la Première ministre Mia Mottley a présidé la cérémonie, qui a été rediffusée en direct [10] [en] sur Facebook. La date correspond à la célébration de la journée internationale de la tolérance [11] des Nations Unies.

L'événement, durant lequel ont eu lieu des spectacles de musique, de danses et de percussions, a commencé avec une lecture de Cyndi Celeste, dont le poème « This Space » (en français : Cet Espace) transmet avec justesse une chronologie de la manière dont la colonisation a transformé les esclaves passant « d'humain à bovin, de personne à bien meuble » et de la manière dont les Barbadiens réclament désormais leur propre espace :

It is interesting how many tales the cobblestones of a place can hold
How many times a space can dawn a new face,
How many new stories unfold:
Watch this space.
Watch the way this square transforms before your very eyes […]

C'est intéressant de voir combien de récits le pavé d'un lieu peut détenir
Combien de fois un espace peut changer de visage
Combien de nouvelles histoires se déroulent :
Regarde cet espace.
Regarde le chemin que cette place transforme sous tes yeux […]

Quand la statue a été ôtée de son socle au rythme de percussions africaines, des danseurs ont joué les horreurs de l'esclavage pendant qu'un chanteur interprétait « Slave » [12] (en français : Esclave) de The Mighty Sparrow [13] [en]. Les Barbadiens ont regardé tomber de son piédestal la sculpture de bronze de l'homme que Hilary Beckles, le président de la Commission des Réparations de la CARICOM (Communauté des Caraïbes) [14], décrit comme [15] (lien introuvable)
« un abominable suprémaciste blanc raciste qui a aliéné le peuple noir ». À la fin de la cérémonie, on sentait qu'un poids avait été enlevé.

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La Première ministre de la Barbade s'adresse à la foule lors de la cérémonie de retrait de la statue de la statue de Nelson, le 16 novembre 2020. Capture d'écran depuis le direct Facebook [1] de l'événement.

Dans son discours, la première ministre Mottley disait que cette statue représentait la domination et un étalage de pouvoir et que son démantèlement symbolisait l'exigence d'une Barbade moderne.

It is important that we understand that this is a struggle that doesn't end today with the moving of this statue.

Il est important pour nous de comprendre que c'est une lutte qui ne finit pas aujourd'hui avec l'enlèvement de cette statue.

Elle a dit que libérer les esprits est un aspect intégrant de la liberté et elle a révélé que son fond d'écran de téléphone est une photo de l’icône jamaïcaine du reggae Bob Marley [16], pour se rappeler [17] que « la mission de notre génération est l'émancipation mentale de notre peuple ». Elle a aussi félicité le travail de la Commission des Réparations de la CARICOM en déclarant que cette réparation est vitale pour aller de l'avant et pour que « les choses justes soient faites pour les mauvaises qui ont été perpétrées ».

Tout en notant que l'histoire de la Barbade n'est pas « aussi simple que tout blanc ou tout noir », Mme Mottley a nommé de nombreuses micro-agressions qui sont le résultat de la colonisation, dont le blanchiment de la peau [18] et le contrôle des cheveux au naturel [19] [en] :

If we do not know who we are, if we are not clear what we will fight for, then we are doomed to be exploited and to be colonised again, not necessarily in the same way […] but in the way that will allow the mental spaces to be dominated by stories and songs and messages that are not our own, and that are not intended to be able to lift up our people.

Si nous ne savons pas qui nous sommes, si nous ne sommes pas clairs sur ce pour quoi nous nous battrons, nous serons alors condamnés à être exploités et colonisés à nouveau, pas nécessairement de la même manière […] mais d'une manière permettra que notre espace mental soit dominé par des histoires, des chansons et des messages qui ne sont pas les nôtres et qui ne sont pas conçus pour permettre à notre peuple de grandir.

Tout en reconnaissant que la statue de Nelson est « une relique historique importante », Mme Mottley disait qu'elle n'avait pas sa place sur la National Heroes Square [4] [en] (en français : Place des héros nationaux) de la Barbade. Le but est de déplacer la sculpture [20] [en], qui a plus de 200 ans, à un emplacement de stockage temporaire jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau visible pour le public au Barbados Museum and Historical Society [21] [en] (Musée et société historique de la Barbade).

Ce déplacement est une étape clé du redéveloppement du Centre historique de Bridgetown [22],  que l'UNESCO a désigné comme un Patrimoine mondial [23]. Étant donné la volonté [24] de la Barbade de révoquer la reine Elizabeth II en tant que chef d'État et de devenir une république avant le 55e anniversaire de son indépendance le 30 novembre 2021, cela représente aussi une rupture symbolique avec son passé colonial.

La cérémonie s'est terminée avec le groupe de calypso The Mighty Gabby [25] [en] qui a chanté « Take Down Nelson » (en français : Retirez Nelson).

L'interprète de créations orales Luci Hammans, qui a participé à la manifestation à la Barbade en soutien au mouvement Black Lives Matter le 13 juin, a déclaré sur Facebook [26] [en] qu'elle regrettait « l'absence de reconnaissance pour les jeunes, les derniers combattants de cette lutte », qui n'ont pas été célébrés « aussi vigoureusement » qu'elle aurait voulu. Mais elle notait également la symbolique de la présence dans la cérémonie d'un groupe de musique Tuk [27] [en] et d'hommes sur échasses [28] [en] :

[…] the choice to play Tuk is not one made lightly. Tuk is our sound of resistance. It is the “engine of the landship,” a survival tactic in which we deliberately display our defiance in the face of colonialism. Those drums and whistles which thundered [Nelson] out of town played the melody of perseverance, the music of generations of black people protecting black people. And I loved to hear it.

Then the Stiltmen, the representation of our ancestors on high looking down on us. A fitting reminder to all of us that we can move him now because of the fight our ancestors started. We are because they were. And I loved to see it.

[…] La musique Tuk n'a pas été choisie à la légère. C'est notre musique de résistance. C'est le «moteur du vaisseau terrestre », une tactique de survie où nous affichons délibérément notre défiance vis-à-vis du colonialisme. Ces percussions et ces sifflets qui ont poussé Nelson hors de la ville ont joué la mélodie de la persévérance, la musique de générations de noirs protégeant des noirs. Et j'ai aimé entendre cela.

Puis les hommes sur échasses, représentant nos ancêtres nous regardant depuis là-haut. Un rappel pertinent pour nous tous que nous pouvons avancer aujourd'hui parce que nos ancêtres ont commencé le combat. Nous sommes là parce qu'ils y étaient. Et j'ai aimé voir cela.

L'historien barbadien Richard Drayton, qui vit en Grande-Bretagne, a écrit un article [29] [en] pour la revue Third Text il y a tout juste un an, où il compare la statue barbadienne de Nelson avec celle de l'impérialiste Cecil Rhodes à Oxford [30] [en]. Il a remarqué que « les opposants à l'enlèvement des statues de Nelson et Rhodes, depuis leur position privilégiée à Bridgetown et Oxford ont expliqué que ces statues sont très anciennes et qu'elles sont devenues une partie de la culture populaire qui doit être préservée sans modification ».

To remove them would be to “erase” history, in Mary Beard’s phrase. But is leaving these objects as they are not also a kind of historical erasure, a silencing of the past […]?

Is the argument from “heritage” not bound up with an odd contemporary imbalance of attention towards the needs of the present and future vs the legacies of the past, the retrogressive temporality of the neo-liberal moment? The point is not the destruction of “the past,” as if there was ever one monolithic uncontested past, but the renegotiation of which past the present holds up to its face.

Selon Mary Beard, les enlever serait « effacer » l'histoire. Mais les laisser tels quels n'est-il pas aussi une forme d'effacement de l'histoire, une mise sous silence du passé […] ?

Cet argument « d'héritage » n'est-il pas lié à un étrange déséquilibre contemporain entre les nécessités du présent et du futur et les legs du passé, la temporalité rétrograde de cette époque néo-libérale ? La question n'est pas celle de la destruction « du passé », comme s'il existait un passé monolithique et incontesté, mais la renégociation de quel passé le présent garde sous ses yeux.

Dans une mise à jour postée sur Facebook après l'enlèvement de la statue de Nelson, M. Drayton a observé [31] [en] que « 2020 a brisé le sort du passé ».

There is an odd feeling emanating from that now empty plinth. It does feel like a magic spell has been broken. The forbidden has been done […] a powerful energy is being released from where the idol has been broken.

Un sentiment étrange émane de ce socle, désormais vide. On se sent comme si on avait brisé un sortilège. L'interdit a été accompli […] une énergie puissante est libérée d'où l'idole a été brisé.