En Azerbaïdjan, le gouvernement exploite des failles de Facebook depuis des années

Le mot "Facebook" est écrit un mur revêtu de lattes de bois à la verticale, rétroéclairé de blanc.

Photo d'Alex Haney sur Unsplash. https://unsplash.com/photos/AGqzy-Uj3s4

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages en anglais, ndt.]

Une récente enquête du journal britannique The Guardian révèle qu'en Azerbaïdjan des fonctionnaires abusent constamment de failles du réseau social Facebook pour générer des faux engagements.

L'enquête, qui porte sur 25 pays différents, montre que Facebook tolère des abus majeurs sur sa plateforme dans des pays de petite taille ou non occidentaux – la priorité étant donnée aux problèmes qui attirent l'attention des médias internationaux ou qui touchent les États-Unis et leurs adversaires, comme la Russie et l'Iran.

L'article du Guardian intervient après la fuite d'un mémo interne de Sophie Zhang, une ancienne spécialiste des données chez Facebook, dans lequel elle présente des exemples concrets de la façon dont l'entreprise « a permis à plusieurs reprises à des dirigeants et à des politiciens d'utiliser sa plateforme pour tromper le public ou harceler des opposants, bien qu'elle ait été alertée de preuves de ces actes répréhensibles ».

En septembre 2020, Zhang a été licenciée pour performance. Lors de son dernier jour, elle publie ledit mémo en interne, qui sera obtenu et republié par BuzzFeed News.

L'un des exemples décrit dans le mémo de Zhang porte sur l'Azerbaïdjan, où, selon elle, le parti au pouvoir Yeni Azərbaycan « a utilisé des milliers d'actifs inauthentiques (…) pour harceler en masse l'opposition » en 2019.

La principale faille exploitée par les acteurs azerbaïdjanais, selon le mémo et l'enquête qui a suivi, réside dans le fait que si Facebook limite le nombre de profils qu'un même utilisateur peut administrer, il n'impose aucune restriction comparable pour les pages. Cela signifie qu'une seule personne peut administrer des milliers de pages, et que celles-ci sont capables d'effectuer les mêmes types d'engagements – liker, partager et commenter – que les profils personnels.

Le mémo indique : « (…) Les individus à l'origine de cette activité (…) se sont principalement appuyés sur des comptes authentiques pour créer des pages conçues pour ressembler à des profils d'utilisateurs – en utilisant de faux noms et des images libre d'accès – afin de commenter et ainsi augmenter artificiellement la popularité de certains contenus pro-gouvernementaux ».

Malgré les avertissements, Zhang affirme que Facebook n'a commencé à se pencher sur le cas de l'Azerbaïdjan qu'un an plus tard, en octobre 2020, lorsque l'entreprise a annoncé la suppression de 589 profils, 7 665 pages et 437 comptes sur Instagram liés au parti au pouvoir ou à sa branche jeunesse. Selon Facebook, ces comptes violaient la politique de Facebook sur le « comportement inauthentique coordonné ».

Cependant, selon des rapports récents d'Azerbaijan Internet Watch, une plateforme qui documente les contrôles de l'information en Azerbaïdjan, le problème persiste à ce jour.

En février 2021, Meydan TV, un site d'information indépendant basé à Berlin, publie un appel à candidatures pour un programme destiné aux créateurs de contenu azerbaïdjanais afin de produire des pièces médiatiques sur des questions culturelles et politiques concernant le pays.

La publication reçoit des centaines de commentaires négatifs ; en y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'ils ont été faits principalement par des pages se faisant passer pour de vraies personnes.

Le 24 mars, Mikroskop Media, un autre site d'information en ligne couvrant l'Azerbaïdjan depuis l'étranger, publie sur sa page Facebook une infographie contenant des données sur le déploiement du vaccin COVID-19 dans le pays. Cette publication a suscité plus de 1 600 commentaires, dont beaucoup étaient négatifs. Une fois encore, un examen plus approfondi révèle que la plupart d'entre eux proviennent de pages inauthentiques.

Le dernier rapport de Facebook sur les comportements inauthentiques coordonnés a été publié en mars 2021 ; l'Azerbaïdjan ne figure pas dans la liste des pays où des réseaux inauthentiques ont été supprimés.

Le gouvernement azerbaïdjanais exploite depuis longtemps les réseaux sociaux, en particulier Facebook, pour cibler ses critiques, tant dans le pays qu'à l'étranger.

En 2016, à l'approche d'un référendum que les groupes d'opposition boycottaient, une émission en direct de Radio Azadliq (le service de Radio Free Europe/Radio Liberty en Azerbaïdjan) et de Meydan TV a été fortement spammé dans ce qui s'est avéré par la suite être une action coordonnée liée au parti au pouvoir.

Ces dernières années, de nombreux militants politiques et plateformes médiatiques ont vu leurs pages et profils Facebook compromis par des piratages. Le mois dernier, un groupe de femmes activistes a été visé par une série de fuites de vidéos et de photos intimes. Facebook et Telegram ont tous deux été utilisés pour diffuser le contenu.

Le bilan de l'Azerbaïdjan en matière de droits de l'homme et de liberté d'expression est plutôt médiocre, selon les classements et indices publiés chaque année par les organismes internationaux de surveillance des droits de l'homme et de la liberté des médias. Le classement mondial de la liberté de la presse 2021 de Reporters sans frontières place le pays au 167e rang sur 180. Freedom House classe l'Azerbaïdjan dans la catégorie des « régimes autoritaires consolidés ».

Une grande partie des médias indépendants et de la société civile d'Azerbaïdjan est réduite au silence depuis 2014, le gouvernement ayant drastiquement renforcé son appareil répressif en réaction aux manifestations massives qui ont eu lieu les années précédentes. Les réseaux sociaux font partie des rares voies restantes permettant aux militants de s'organiser et au public de se tenir informé de l'actualité dans le pays.

Pendant que Facebook parait peut-être trop occupé à résoudre des cas plus médiatisés de harcèlement, de désinformation et de comportement inauthentique, sa plateforme affecte également la vie bien réelle de personnes dans des pays comme l'Azerbaïdjan.

Note de l'éditeur : L'auteure de cet article est la fondatrice d'Azerbaijan Internet Watch. Elle a également été interviewée par The Guardian dans le cadre de son enquête sur Facebook.

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