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Des points à relier : le programme « Motus » mise sur la technologie pour localiser les oiseaux migrateurs dans les Caraïbes

Catégories: Caraïbe, Jamaïque, Environnement, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Technologie
Illustration représentant un Tournepierre à collier en vol au-dessus des îles et de l'océan

Illustration du réseau Caribbean Motus Collaboration, utilisée avec l'aimable autorisation de BirdsCaribbean. Les stations réceptrices du réseau Motus ont le même type de fonctionnement que les automates des postes de péage sur les autoroutes. Elles comptabilisent chaque oiseau qui passe au-dessus d'une borne de la même manière qu'un portique enregistre les plaques d'immatriculation. Leur portée est d'environ 9 miles, soit 15 km. Dessin représentant un Tournepierre à collier réalisé par Maikel Cañizares.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Partout dans les Caraïbes, des milliers d'oiseaux de toutes les tailles et de toutes les espèces s'affairent pour préparer le long voyage qui va leur permettre de retourner dans leurs aires de reproduction situées plus au nord. C'est l'heure de la migration. Ce phénomène est célébré par la Journée mondiale des oiseaux migrateurs [1] qui a été créée en 1993 par le centre de recherche Smithsonian Migratory Bird Center [2]. Depuis, les passionné·e·s de faune aviaire d'Amérique du Nord se mobilisent pour cet événement qui se tient chaque année au mois de mai. En octobre, celles et ceux vivant dans les Caraïbes, en Amérique centrale ou en Amérique du Sud se retrouvent à leur tour pour fêter le retour des migrateurs.

L'un des enjeux des défenseurs de l'environnement est de réussir à savoir quelles espèces d'oiseaux, parmi les 200 recensées, vont débuter leur migration à un instant T. Vers où vont-elles se diriger ? Leur voyage comprend-il des centaines ou des milliers de kilomètres ? Où s'arrêteront-elles pour se reposer et se ravitailler ? Aujourd'hui, un programme novateur pourrait contribuer à mettre en lumière certains aspects de la migration des oiseaux [3].

Le système de surveillance faunique Motus [4] [fr] a été créé pour suivre les mouvements des animaux dans le cadre de recherches sur l'écologie et la protection des espèces. Cet outil est le fruit d'un travail collaboratif mené par un important réseau de recherche et impulsé par l'organisation non gouvernementale Oiseaux Canada [5] [fr]. Décliné du terme latin signifiant « mouvement », Motus utilise la radiotélémétrie [6] automatisée pour étudier les déplacements et les comportements des animaux volants, comme les oiseaux, les chauves-souris et les insectes. Des nano-émetteurs sont placés sur les spécimens étudiés qui peuvent ensuite être suivis par les récepteurs Motus.

Paruline de Kirtland équipée d'un transmetteur et posée sur la main d'un scientifique

Une Paruline de Kirtland équipée d'un nano-émetteur léger. Ces minuscules transmetteurs, qui ne pèsent que 0,2 g, permettent aux scientifiques de détecter les mouvements de petits animaux avec précision à des milliers de kilomètres de distance. Photo de Scott Weidensaul, utilisée avec l'aimable autorisation de BirdsCaribbean.

Le système comprend des centaines de stations réceptrices et des milliers de nano-émetteurs déployés sur plus de 236 espèces animales, majoritairement des oiseaux. Les données recueillies par ce dispositif ont déjà permis aux scientifiques de mieux comprendre le comportement de l'avifaune. Ils ont pu ainsi localiser les routes de migration et les haltes migratoires majeures. Ce système va faciliter l'analyse des mouvements et des comportements des espèces en période et hors période de reproduction. Il permettra également de mieux étudier les habitats fréquentés par l'avifaune. Par ailleurs, ce nouveau système, le développement du réseau de partenaires et le partage des données sont une combinaison qui offre de grandes perspectives en matière de conservation des oiseaux et des animaux.

Cette technologie est un outil pédagogique précieux [7] pour promouvoir l'éducation à la préservation de l'environnement en classe ou à l'extérieur. Les organisations Oiseaux Canada et Northeast Motus Collaboration [8] ont élaboré un programme qui associe au système Motus des activités interactives en classe. Ce projet peut servir à initier les enfants locaux au phénomène de migration, à la découverte de l'avifaune et à la protection de l'environnement.

Implantée largement au Canada et aux États-Unis, la plate-forme Motus commence également à être répandue en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Toutefois, aucune station réceptrice active n'est encore présente dans les Caraïbes. Plus il y aura de stations Motus, plus il sera facile de comprendre où les oiseaux bagués se déplacent. Par ailleurs, de nombreuses espèces menacées ou vulnérables qui vivent ou migrent dans cette région du monde n'ont pas encore été baguées.

L'organisation non-gouvernementale régionale, BirdsCaribbean [9] est désireuse de combler les trous de couverture dans la distribution géographique. Elle sera fer de lance de l'organisation partenariale Caribbean Motus Collaboration (CMC) qui aura pour objectif d'étendre le réseau Motus au niveau régional. Le projet est d'installer puis d'entretenir des stations réceptrices à des endroits stratégiques situés dans les différentes îles. Des nano-émetteurs seront positionnés sur des espèces d'oiseaux prioritaires. Un programme éducatif adapté aux spécificités des Caraïbes pourra être établi.

Les Caraïbes insulaires sont des « zones sensibles pour la biodiversité mondiale [10] ». Elles abritent plus de 700 espèces d'oiseaux, environ la moitié d'entre elles sont présentes à l'année et 171 sont endémiques aux Caraïbes. Le reste des espèces, soit l'autre moitié, sont migratrices et partagent leurs temps entre les milieux tempérés et tropicaux, dans des habitats situés dans les trois sous-continents américains. Ces oiseaux peuvent être observés dans de nombreux pays tout au long de leurs routes migratoires [11].

Stations réceptrices représentées sur une photo satellitaire prise au-dessus de l'Amérique du Nord et de l'Amérique centrale

Il s'agit d'un plan des stations réceptrices. Celles en activité sont identifiées par les points jaunes. Les îles des Caraïbes sont situées dans le carré blanc. Certaines stations Motus ont été endommagées dans plusieurs de ces îles suite aux tempêtes et aux ouragans. Elles doivent être réparées. Image de BirdsCaribbean, utilisée avec l'aimable autorisation de BirdsCaribbean.

Les Caraïbes offrent des zones d'hivernage idéales pour certaines espèces d'oiseaux migrateurs qui s'y installent au début de l'automne pour repartir au printemps. D'autres font halte sur une ou plusieurs îles. Elles s'arrêtent sur les sites pour se reposer et se ravitailler avant de poursuivre leur voyage qui les conduit de leurs aires de reproduction et à celles d'hivernage situées plus au sud. Qu'ils restent ou qu'ils repartent, les oiseaux migrateurs sont des visiteurs très appréciés. Ils témoignent du passage des saisons et inspirent l'expression culturelle dans cette région du monde, allant du folklore [12] à la musique [13].

Les populations d'oiseaux voient cependant leurs effectifs décliner. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature [14], 59 espèces présentes dans les Caraïbes sont menacées d'extinction, 30 sont considérées comme vulnérables, 24 en danger et 5 en danger critique. Une étude récente révèle qu'en Amérique du Nord, près de 30 % des populations d'oiseaux ont disparu depuis 1970. Les espèces des Caraïbes ne font pas exception et beaucoup d'entre elles sont menacées.

Les oiseaux des Caraïbes sont confrontés à un large éventail de menaces dont la perte et la fragmentation de leurs habitats [15] [fr], la pollution et l'implantation d'espèces invasives. Par ailleurs, la région subit les effets de la crise climatique [16] qui constituent un danger permanent, pas seulement pour ses habitants, mais aussi pour son environnement naturel. On observe [17] de plus en plus d’ouragans dévastateurs [18] [fr], de longues périodes de sécheresse et de profondes modifications [19] [fr] de l'environnement marin.

La recherche sur les oiseaux des Caraïbes a fait des progrès considérables au cours des dernières décennies. On manque néanmoins de données de base sur certaines espèces. Les connaissances acquises grâce au projet Motus constituent des éléments essentiels pour protéger les oiseaux tout au long de leur cycle annuel et pour inverser le déclin des populations.

Des gestionnaires des ressources naturelles et des organisations environnementales basées dans les Caraïbes vont utiliser les données collectées par le réseau Motus. Ils pourront ainsi déterminer les sites majeurs d'alimentation et de repos des migrateurs et des espèces sédentaires qu'il est possible d'observer. À partir de là, les membres du réseau Motus vivant dans les Caraïbes et au-delà pourront concentrer leurs travaux sur ces zones. Leur objectif sera d'atténuer les menaces et de protéger ces sites.

Ce projet contribuera également à développer la recherche régionale et les programmes d'éducation à l'environnement. On espère ainsi améliorer les connaissances à l'échelle locale et accroître l'intérêt de la population pour l'avifaune. C'est un scénario gagnant-gagnant pour les oiseaux et pour ceux qui travaillent à leur préservation dans cette région du monde.

Une annonce de l'administration Joe Biden laisse des raisons d'espérer. Les autorités en place ont récemment déclaré leur intention de retirer [20] une décision très controversée de l'ancien président des États-Unis, Donald Trump, qui fragilisait la portée d'une loi de protection de l'avifaune migratrice appelée Migratory Bord Treaty Act [21]. Cette réglementation instaurée en 1918 protégeait les oiseaux migrateurs, leurs œufs et leurs nids. Il était alors illégal de les chasser, de tirer, de les blesser, de les piéger, de les capturer et de les collectionner ou de tenter de le faire sans en avoir obtenu l'autorisation. Cette modification controversée de la loi initiale est entrée en vigueur le 8 mars dernier. Elle sera toutefois remplacée prochainement par de nouvelles mesures. L'issue de cette affaire est considérée comme une grande victoire par les ornithologues amateurs et les défenseurs de la nature à travers les Amériques.

Aujourd'hui, il est difficile de savoir quelle sera la première île des Caraïbes à accueillir une station réceptrice. Grâce à cet outil, ces fragiles populations d'oiseaux seront suivies au cours de leurs trajets Sud-Nord. Il faut espérer que ce projet va se développer rapidement et densément dans tout l'archipel.