Un nouvel outil en ligne a aidé les électeurs tibétains apatrides et dispersés dans le monde à faire des choix éclairés

Capture d’écran d’une vidéo de la chaîne SmartVote Tibet sur Youtube qui encourage les Tibétains vivant en exil à participer au prochain scrutin.

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent à des contenus en anglais, ndt.]

La Nation tibétaine, pourtant apatride et dispersée dans le monde, tient à instaurer un processus démocratique pour élire ses représentants. Ainsi, le cyberespace est le milieu idéal permettant aux Tibétains de faire un choix éclairé en politique.

On estime à 6,5 millions le nombre de Tibétains dans le monde. Si la majorité d'entre eux vit au Tibet, il existe des communautés d’exilés en Inde, au Népal et dans les pays occidentaux suite à l’annexion du Tibet à la République populaire de Chine en 1959. S’il est vrai que les Tibétains du Tibet occupé sont dirigés par un gouvernement non élu, l’Administration centrale tibétaine [ACT], basée à Dharmsala en Inde, organise des élections tous les cinq ans pour choisir leur dirigeant. Bien que le gouvernement tibétain en exil ne soit officiellement reconnu par aucun État, tous les Tibétains, en particulier ceux qui sont expatriés, considèrent ce corps administratif comme légitime. Depuis que le Dalaï-Lama [fr], chef spirituel et politique du Tibet, s’est retiré de ses fonctions politiques en 2011, l’année en cours marque la troisième occasion pour les Tibétains de se rendre aux urnes afin d’élire les membres de leur Parlement et leur président. 

Comment informer un électorat dispersé dans le monde ?

Considérant la dispersion mondiale des membres de la diaspora tibétaine, le défi de joindre les électeurs prend d'autant plus d'ampleur à cause de la pandémie du COVID-19.

Les élections tibétaines se déroulent en deux étapes : des élections préliminaires dans le but de sélectionner les candidats au Parlement, qui ont eu lieu le 4 janvier 2021 avec un taux de participation de 77 % de l’électorat en exil. Les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix peuvent ensuite se présenter aux élections générales, tenues le 11 avril 2021. À cette date, les électeurs ont voté pour le nouveau président et les 45 membres du Parlement tibétain en exil.

Les votes pour ces élections transnationales ont nécessité une logistique importante. L’aspect le plus important, sans doute, a été l’organisation de la campagne pour informer les électeurs avant le jour du scrutin.
À cette fin, un groupe de Tibétains vivant en Suisse a eu l’idée de créer une plateforme fiable et en ligne pour faciliter l’échange entre candidats et électeurs.

Inspiré par les applications de systèmes d'aide au vote (SAV) [fr] et soutenu par l'organisation suisse Politools [fr] qui a développé en 2003 une base d’information transparente appelée Smartvote pour des élections suisses, le groupe d’exilés a conçu une application smartvote Tibet.
Le principe général repose sur deux phases : les candidats répondent à des questions en ligne touchant à des sujets spécifiques (environnement, politiques sociales) et, par la suite, les électeurs répondent aux mêmes questions. Ces informations sont ensuite compilées afin de déterminer quel candidat(e) semble le plus proche de l’orientation politique de l’électeur.

Grâce à ces plateformes, les candidats ne peuvent pas éluder les questions délicates

Non seulement ces systèmes d'aide au vote favorisent [de] un meilleur niveau de connaissances, mais elles permettent aussi d'augmenter la participation électorale. Mais ce qui est sans doute le plus important, c’est que ces plateformes rééquilibrent les relations de pouvoir existant entre les candidats, qu'ils soient avantagés ou non.

Le principal objectif de la plateforme Smartvote Tibet est d’aider les électeurs à se faire une idée sur les candidats au cours de leur processus de formation d’opinion. Ainsi, les positions politiques des candidats sont communiquées de manière comparable et transparente, de façon à ce qu'ils puissent y être confrontés et n'aient pas d'autre choix que de les assumer par la suite.

L’équipe en charge de la plateforme a créé un questionnaire complet qui accompagne à la formation d’opinions politiques dans une société relativement jeune à l'égard des processus démocratiques. Avec l’intention d’accroître la diversité, la société civile tibétaine a été conviée à soumettre des questions à l’aide d’un groupe de réflexion international dans le but de préserver objectivité et équilibre. L'un des atouts du système est la structure du questionnaire qui empêche les candidats d’éluder des questions et les amène à s’exprimer sur des sujets sensibles dans la société tibétaine, comme le mariage entre personnes de même sexe.

Ainsi que le montre la capture d’écran ci-dessous, les électeurs peuvent obtenir dans l’instant des informations sur les opinions de n’importe quel candidat sur des questions spécifiques et essentielles telles que l’identité ou la langue.
Les émoticônes en noir et blanc représentent les réponses des électeurs, tandis que les fonds de couleur orange représentent l’opinion d’un candidat en lice. Ceci permet de visualiser le rapprochement ou la divergence des opinions.

Les électeurs et les candidats doivent systématiquement choisir entre quatre réponses : Oui, Plutôt oui, Plutôt non, Non (de gauche à droite). Les questions qui apparaissent sur la capture sont : Culture & Langue 1. Êtes-vous d'accord avec l'idée qu'il faille parler tibétain pour pouvoir se considérer comme Tibétain ? 2. Est-il de la responsabilité de l'ACT de proposer des programmes en tibétain aux enfants tibétains ainsi qu'aux adultes vivant en dehors de l'Inde et du Népal ? 3. Les documents et formulaires de l'ACT devraient-ils être également proposés en anglais en plus du tibétain ? 4. Des groupes ou des particuliers tibétains devraient-ils créer plus de projets et soutenir des initiatives pour préserver la langue tibétaine au Tibet ? 5. Approuvez-vous le fait de devoir porter des vêtements traditionnels tibétains le mercredi (aussi appelé Lakhar [fr]) ?

La campagne en ligne est loin d'être parfaite

Cependant, s’assurer que les candidats et les électeurs soient à l’aise en utilisant cette plateforme demeure un défi. En effet, divers problèmes sont survenus, allant d’un manque de compétences informatiques à un manque de compréhension du principe de base du projet. Par exemple, certains candidats ne voyaient pas de bénéfice à remplir le questionnaire en ligne et à s’exprimer ouvertement sur leurs positions.

Un autre défi a été de faire connaître la plateforme auprès de l’électorat : Comment joindre les électeurs les plus âgés ? Comment faire la promotion de l’outil dans différents pays ? Une partie importante de la communauté tibétaine vit dans des conditions rudimentaires dans des colonies en Inde et au Népal où les infrastructures laissent à désirer. De plus, au Népal, la censure chinoise se fait nettement ressentir.

La mise en œuvre d'un Smartvote dans un nouveau contexte montre également les limites et les risques de ces outils de vote en ligne. Il est notamment difficile d’obtenir de réponses détaillées par le biais de questions très standardisées et simplifiées. Tant les développeurs que les utilisateurs doivent donc être conscients des avantages et des inconvénients de ces systèmes d'aide au vote.

Un travail en constante évolution qui contribue au développement d’une jeune démocratie

Malgré les nombreux défis, l’expérience montre des résultats intéressants : avant la primaire de janvier, environ la moitié des candidats avaient créé un profil Smartvote. Au 7 avril dernier, avec environ 80 000 personnes inscrites pour les élections, l'outil avait déjà proposé plus de 7 400 recommandations de vote.

L'application a aussi fait parler des membres de la communauté tibétaine en exil sur les réseaux sociaux.

Trouvez les candidats qui partagent vos opinions !

Félicitations au projet de démocratie !

Cela étant dit, les premières évaluations montrent un biais de participation en faveur des Tibétains vivant en Occident, probablement parce que l'accès à Internet y est plus aisé. Dans quelle mesure l’application Smartvote informe-t-elle les utilisateurs sur les orientations politiques des candidats et favorise l’intention de vote ? Il est trop tôt pour le savoir. En revanche, ce projet ouvre de nouvelles perspectives dans les domaines de recherche que sont les élections, la démocratie, les diasporas dans le monde et les systèmes d'aide au vote. En outre, cela dynamise la discussion factuelle au sein de la communauté tibétaine en exil.

À NOTER : Sonam Palmo Brunner, l'auteure de cet article, et Dechen Pemba, qui a participé à la traduction de l'article original de l'allemand vers l'anglais, sont toutes deux membres de l’équipe Smartvote Tibet. Aucun des membres  de l'outil ne s’est présenté comme candidat aux élections tibétaines. 

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