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À l’approche de la Coupe du monde de la FIFA, les préoccupations autour du travail des migrants au Qatar persistent

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Droits humains, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Sport

Photo aérienne du Khalifa International Stadium

Khalifa International Stadium, Doha, 20191029 [1] [Le Khalifa International Stadium, 10/09/2019] de G · RTM [2], sous licence CC BY-NC-ND 2.0 [3].

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent à des pages en anglais.]

À l'approche de la Coupe du monde de la FIFA de 2022 au Qatar, des inquiétudes continuent d'être soulevées concernant les conditions de travail dans le pays.

En mars dernier, un certain nombre de pays participant aux éliminatoires de la Coupe du monde de 2022 ont  [4]organisé des manifestations [4] contre les autorités qatariennes en réponse à la mort de plus de 6 500 travailleurs migrants entre 2010 et janvier 2021, un chiffre révélé en février 2021 dans une  [5]enquête [5] du journal The Guardian.

L'Allemagne et la Norvège ont participé aux manifestations lors des matchs internationaux de qualification ; elles ont été rejointes par les Pays-Bas, comme l'indique ce tweet :

Les Pays-Bas se sont joints à la Norvège pour protester contre le bilan du Qatar en matière de droits humains avant les éliminatoires de la Coupe du monde.

En 2010, le Qatar a obtenu le droit d'accueillir la Coupe du monde de la FIFA de 2022, et cela avait provoqué des inquiétudes compte tenu de l’arrivée massive de travailleurs migrants venant dans le pays pour l'occasion, et qui seraient employés via le système controversé du système de la kafala [8].

La kafala est un système de travail qui oblige les travailleurs migrants non qualifiés à avoir un parrain dans le pays, nominalement leur employeur, qui devient responsable de leur visa ainsi que de leur statut juridique. Le système s'applique à la plupart des  travailleurs du bâtiment et des domestiques de la région du Golfe, y compris le Qatar.

Dans le système de la kafala, les employeurs ont un pouvoir presque total sur la liberté de mouvement des travailleurs, et notamment sur leur possibilité de résider au Qatar, de changer d'emploi ou de quitter le pays. Les travailleurs soumis à la kafala ont souvent peur de signaler les abus dont ils sont victimes par crainte des représailles. Le système a été critiqué par les organisations de défense des droits humains [9] [PDF en ligne] car il donne l'opportunité aux employeurs d'exploiter et de maltraiter ces travailleurs.

Un  rapport 2012 [10] [PDF en ligne] du BSR™ [Business for Social Responsibility, réseau mondial d'entreprises dédié au développement durable, ndt] financé par la fondation MacArthur révèle :

Le Qatar prévoit d'investir plus de 250 milliards de dollars pour construire 12 stades, 70 000 chambres d'hôtel et un réseau de liaisons routières et ferroviaires. L'investissement devrait déclencher un développement économique rapide au Qatar, un pays déjà enrichi par les réserves de pétrole et de gaz, et comptant déjà le revenu par habitant le plus élevé au monde. Les risques humains et commerciaux associés à l'organisation de la Coupe du monde par le Qatar, « l'effet méga-sportif », viennent de l'afflux des quelque 500 000 à 1 million de travailleurs étrangers que l'on va faire venir pour la construction des infrastructures de l'événement. Le rapport de 2012 de Human Rights Watch (HRW) a averti que ces travailleurs migrants pourraient faire face à des abus liés au recrutement et aux salaires ainsi qu'aux conditions de travail et de logement au Qatar.

Selon le rapport de 2012 de Human Rights Watch [9] [PDF en ligne] mentionné ci-dessus, le Qatar a le ratio de migrants par citoyen le plus élevé au monde, avec seulement 225 000 nationaux sur une population de 1,7 million d'habitants. Malgré cela, le pays perpétue certaines des lois de parrainage les plus restrictives de la région du golfe Persique et a connu plusieurs cas d'exploitation et d'abus à l’égard des travailleurs sur leurs lieux de travail. Dans le même rapport, des cas de travail forcé et de traite des êtres humains sont relatés.

En novembre 2013, la FIFA avait invité « les dirigeants économiques et politiques à s’associer à la communauté du football pour veiller à ce que les normes fondamentales du travail de l’Organisation internationale du travail soient rapidement mises en place au Qatar, de manière systématique et soutenue. »

La majorité des travailleurs migrants du Qatar viennent du Bangladesh, d'Inde, du Pakistan, des Philippines, du Népal et du Sri Lanka. Environ 506 000 d'entre eux travaillent dans la construction, secteur actuellement concentré sur les infrastructures d'accueil de la Coupe du monde 2022. Un rapport de la Confédération syndicale internationale (CSI) publié en 2014 et intitulé « Le Qatar : un cas difficile à défendre [11] » [fr, PDF en ligne], indique :

Les contacts fréquents avec les autorités qataries depuis fin 2011 ne permettent pas d’entrevoir de volonté politique du Qatar ni la mise en œuvre des engagements en matière de travail, tels qu’ils figurent dans le document « Qatar National Vision 2030 », pour réformer la kafala et ratifier 14 autres conventions de l’OIT.

Un certain nombre de cas documentés dans le rapport de la CSI ont fourni plus de preuves des incidents de harcèlement, de discrimination et de menace de la sécurité des travailleurs.

L'un de ces cas est raconté par Jago (anonymisé pour des raisons de sécurité), un ouvrier du bâtiment âgé de 34 ans et originaire des Philippines :

Je suis arrivé à Doha par l’intermédiaire de l’agence de recrutement Mayon International afin de gagner assez d’argent pour que mes enfants puissent aller à l’école et construire ma propre maison aux Philippines. Je suis arrivé au Qatar en octobre 2011 et j’ai dû donner mon passeport aussitôt.

Je suis hautement qualifié et formé au logiciel de plans architecturaux AutoCAD, donc je m’attendais à travailler dans la conception architecturale. Mon contrat stipulait un paiement de 330 dollars par mois, comprenant le logement et des indemnités de repas.

En arrivant au Qatar, j’ai découvert que j’allais travailler comme ouvrier du bâtiment sur un chantier de construction résidentielle à raison de 60 heures par semaine pour un salaire mensuel de 261 dollars. Au début, j’étais nourri mais cela n’a pas duré longtemps. Quand je prends un jour de repos, deux jours de salaire sont déduits de ma paie. C’est aussi le cas lorsque je suis malade.

Je suis particulièrement inquiet au sujet de la sécurité au travail. Mon employeur ne nous fournit pas de chaussures de sécurité ni aucun autre équipement de sécurité, pas même un uniforme. Jusqu’à
maintenant, j’ai la chance de ne pas avoir eu d’accident de travail, mais j’ai vu de nombreux collègues se blesser. C’est ce qui me préoccupe avant tout, parce que mon employeur ne m’a pas donné de carte de santé et que je ne pourrais pas payer l’hôpital avec mon salaire actuel.

J’en ai assez de cette situation et je ne vois pas pourquoi je devrais supporter ces conditions. J’ai donné ma démission, mais mon employeur a déchiré la lettre et l’a jetée à la poubelle en me disant qu’il ne me rendrait pas mon passeport.

Le rapport fait également état des incidents mortels survenus lors de précédentes grandes manifestations sportives, entre l’attribution de l'événement et le coup d'envoi de la compétition. Lors de la  Coupe du monde en Russie, cinq travailleurs sont décédés, et sept autres lors de la Coupe du monde au Brésil. À ce jour, le Qatar détient le plus grand nombre de cas, avec 6 500 décès avant même le coup d'envoi.

Accidents du travail ou de la circulation, décès naturels et suicides sont les causes rapportées. Les conditions de travail et la chaleur extrême [12] survenant pendant l'été sont également quelques-unes des autres causes du nombre élevé de décès au Qatar.

Un article de février 2021 paru dans The Guardian indiquait [5] que les migrants en provenance d'Inde étaient les plus touchés avec 2 711 décès, contre 1 641 décès pour le Népal, et 1 018 pour le Bangladesh selon les chiffres indicatifs pour la période 2010-2020.

Des pays comme le Bangladesh et le Pakistan dépendent des envois de fonds des travailleurs migrants pour leurs fragiles économies nationales. Cela signifie que les pays d'origine des migrants n'interviendront que peu pour défendre leurs droits à l'étranger. The Guardian explique que le complexe mélange d'agences de recrutement du pays d'origine, avec peu ou pas de protection consulaire, et le système de la kafala rendent les conditions de travail intenables.

Le Qatar Supreme Committee for Delivery and Legacy [13] (SC) [Comité suprême d'organisation du Mondial, ndt] responsable de la livraison des infrastructures pour la Coupe du monde 2022 a publié la déclaration suivante :

Nous avons toujours été transparents sur l'état de santé et la sécurité des travailleurs concernant les projets directement liés à la Coupe du monde de la FIFA qui se tiendra au Qatar en 2022. Depuis le début de la construction en 2014, il y a eu trois décès sur les lieux travail et 35 décès non liés aux activités professionnelles. Le CS a enquêté sur chacun des cas afin d'en tirer des leçons et éviter que cela ne se reproduise. Le CS a signalé chaque incident via des déclarations publiques ou lors des rapports d'étape annuels sur le bien-être des travailleurs.

En définitive, il convient de noter qu'il faudra bien plus que l'accueil de la Coupe du monde pour que les conditions de travail s'améliorent au Qatar et que les problèmes des travailleurs migrants soient résolus. Le Dr Sebastian Son [14], chercheur et expert sur les États arabes du Golfe au Centre de recherche appliquée en partenariat avec l'Institut d'Orient (CARPO) à Bonn, [15]déclaré [15] à Qantara.de, un projet mené par la Deutsche Welle [16] [service international de radio et de télévision d'Allemagne, ndt] :

Il faudra plus que des critiques à l’encontre du Qatar pour briser ce cercle vicieux. Ce qu'il faut, c'est un dialogue constructif et inclusif qui mette en commun les efforts des organisations internationales telles que l'Organisation internationale du travail (OIT), de tous les États du Golfe, ainsi que des acteurs de la société civile dans les pays d'origine de main-d'œuvre et en Europe. Ces dernières années, de nombreux États du Golfe ont manifesté une volonté accrue de s'engager dans un tel échange, comme en témoigne l’Abu Dhabi Dialogue [17] [Le dialogue d'Abou Dhabi]  (…).

Les États du Golfe et la communauté internationale doivent faire davantage pour reconnaître leur responsabilité – non seulement sur leurs territoires, mais aussi dans les pays d'origine des migrants. Un effort plus important devrait également être fait pour intégrer les représentants des communautés de la diaspora à ce dialogue. Après tout, ce sont leurs droits qui nécessitent une protection transnationale.