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[Sauf mention du contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages en espagnol, ndt.]
Cet article a été écrit par Suhelis Tejero pour Connectas, puis édité et mis-à-jour par Global Voices.
En plein jour et à la vue de tous, une femme est allongée sur le sol, le genou d'un policier sur sa nuque dans une rue de la station balnéaire de Tulum, au Mexique. Victoria Salazar Arriaza, une migrante salvadorienne, pousse un cri de détresse et son corps se relâche. Sa mort, qui a suscité l'indignation internationale, a été filmée et montre une fois de plus que la brutalité policière est monnaie courante en Amérique latine.
Quelques jours plus tard, à Villa Altagracia, en République Dominicaine, un couple de pasteurs évangéliques revenait de la prière avec quelques fidèles lorsque la police a « confondu » le véhicule dans lequel ils voyageaient pour celui de présumés criminels. Les survivants ne se souviennent pas avoir entendu la patrouille de police leur ordonner de s'arrêter. Seulement les douze coups de feu qui ont tué le couple de jeunes mariés.
Depuis fin avril, des vidéos montrant des manifestants Colombiens tués par des balles de la police ont été partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Début mai, on comptait au moins 19 personnes mortes [en] et des centaines de blessées lors de ces manifestations qui ont débuté contre une réforme fiscale et se sont ensuite transformées en lutte contre la hausse des inégalités et la répression de l'État. D'autres vidéos révélant l'important appareil de sécurité répressif continuent d'inonder les réseaux sociaux.
Ces épisodes sont les derniers en date d'approches plus répressives, de plus en plus présentes dans les forces de police du monde entier, comme en a témoigné la population de Minneapolis [en] aux États-Unis en avril 2020. En Amérique latine, le phénomène est aggravé par ses problèmes historiques de violence, d'impunité et de faiblesse des institutions.
Los actos de abuso policial en México son cada vez más frecuentes, pero el de Victoria Esperanza Salazar fue uno de los que más conmocionó a México…#AbreLosOjos #ImagenNoticias con @franciscozea @ElOpinadorTV @ImagenZea pic.twitter.com/hD5r5DS3yb
— Imagen Televisión (@ImagenTVMex) April 2, 2021
Les cas de violences policières sont de plus en plus fréquents au Mexique, mais celui de Victoria Esperanza Salazar a été l'un des plus choquant…
« Les violences policières en Amérique latine sont souvent le résultat d'une impunité généralisée, d'un manque de surveillance et d'une culture institutionnelle opaque qui tolère et parfois encourage les abus », déclare César Muñoz, chercheur sur les Amériques à Human Rights Watch, dans un article publié par le New York Times en novembre dernier.
De manière générale, les habitants de la région n'ont pas une grande confiance dans la police. C'est du moins ce qui ressort des enquêtes menées ces dernières années par Barómetro de las Américas. En 2019, le rapport régional a montré qu'au mieux, seulement 53 % de la population fait confiance à la police, comme c'était le cas au Brésil cette année-là. Cependant, dans d'autres pays comme le Mexique, le Paraguay, le Guatemala et le Pérou, à peine un tiers de la population, voire moins, déclare avoir confiance dans les forces de l'ordre.
Un facteur important à l'origine de cette méfiance persiste au fil du temps : la formation de type militaire qui prévaut sur l'idée du service civil que les policiers sont censés fournir. Dans certains pays, cette situation a des origines clairement identifiables : certaines forces de sécurité ont été créées pendant les années des nombreuses dictatures de la région, comme au Chili, au Brésil et en République dominicaine. Dans d'autres, comme en Colombie, la police a été impliquée dans les combats aux pires moments de la guerre contre les groupes armés.
Plus précisément, dans le cas de la Colombie, les enquêtes de Barómetro montrent que le public a, dans une certaine mesure, regagné confiance dans la police lorsque le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont signé un accord de paix [fr] en 2016. De 34,9 % en 2016, la confiance est passée à 42,4 % deux ans plus tard, bien que les événements récents suggèrent que ce pourcentage pourrait avoir considérablement baissé.

L'influence militaire est toujours là. Par exemple, en Colombie, au Brésil et au Pérou, le système juridique ne traite pas les policiers comme des civils, du moins pas sur le plan judiciaire. Lorsqu'un policier commet un abus ou fait un usage excessif de la force dans l'exercice de ses fonctions, il est jugé par des tribunaux militaires, même si, au sens strict, il ne fait pas partie des forces armées.
L'Organisation mondiale contre la torture, qui regroupe plus de 200 institutions non gouvernementales dans le monde, a récemment exprimé son inquiétude face à la « tendance inquiétante à la militarisation » des forces de police civile au niveau international.
Le groupe de réflexion américain Inter-American Dialogue (IAD) écrit dans un rapport que les forces de police en uniforme se sont transformées en « structures hyper-hiérarchiques avec des niveaux élevés de concentration du pouvoir et de prise de décision », avec des divisions similaires à celles de l'armée.
Le groupe souligne également un problème caractéristique du fonctionnement des forces de police de la région : le contrôle des manifestations. L'IAD met en avant le cas du Nicaragua, où la police s'est concentrée pendant des années sur la prévention de la criminalité et a entretenu une relation étroite avec le public, mais qui, depuis 2018, participe à la répression des manifestants et des détracteurs du gouvernement de Daniel Ortega. Un tableau similaire de brutalité policière contre les protestations a été observé au Venezuela en 2014, et au Chili [fr] depuis la fin de 2019.

C'est au Chili que Gustavo Gatica a vécu son pire moment. « J'ai vu des petites étoiles partout, comme dans les dessins animés, puis tout est devenu noir », a-t-il raconté à la BBC. Monsieur Gatica est devenu aveugle après que des carabineros, c’est-à-dire les policiers Chiliens, lui ont tiré des balles de petit calibre au visage. Il est depuis devenu le symbole des victimes de la répression dans le pays. Utilisant des armes non létales contre les manifestants, les policiers ont gravement blessé des centaines de participants au cours des premiers mois du mouvement social national en 2019.
Les actes de violence policière, tels que la répression des manifestants au Chili ou la mort du couple évangélique en République dominicaine, ont suscité suffisamment d'indignation pour que les gouvernements s'empressent d'annoncer des réformes de la police. Chose qui, pendant des années, était absente du débat politique, malgré les appels des organisations de défense des droits de l'Homme.
La tâche est plus difficile qu'il n'y paraît. L'un des policiers arrêtés pour la mort du couple évangélique a admis lors de son interrogatoire que lui et ses collègues avaient tiré « à l'instinct », presque mécaniquement, sur le véhicule. Au Mexique, la mort de Victoria Salazar n'est pas un incident isolé, les forces de police de Quintana Roo ayant une longue histoire d'abus contre la population.
Il reste donc à voir, à mesure que les mois passent et que la fureur s'estompe, si les promesses des gouvernements deviendront réalité et s'ils laisseront derrière eux une culture militariste ancrée depuis de nombreuses années.