Tobago : l'invasion des plages par les sargasses pourrait-t-elle être une opportunité ?

Sargasses sur le rivage

Des algues sargasses. Photo de Mark Yokoyama sur Flickr partagée sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt].

Cet article signé par Sean McCoon a été initialement publié sur le site Internet du réseau Cari-Bois News. Une version modifiée est republiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

À Tobago, plusieurs plages sont à nouveau devenues méconnaissables après l'arrivée de grandes quantités d'algues sargasses sur le rivage. Ce phénomène a été récemment mis en avant par des chercheurs de l’Institut des affaires marines (IMA) de Trinité-et-Tobago, venus sur l'île pour réaliser des travaux de suivi.

Sur les réseaux sociaux, l'IMA a rapporté que ses équipes avaient observé un volume important d'algues sargasses dans la baie de Little Rockly, située sur la façade atlantique de l'île, où les impacts de la présence de cette macroalgue brune sont les plus prégnants.

Le fléau de la sargasse est peu à peu devenu un phénomène saisonnier dans de nombreuses îles des Caraïbes qui dépendent du tourisme. Face à cette situation, la population a commencé à s'interroger sur les origines du problème : Pourquoi cela se produit-il ? Est-il possible de l'arrêter ? Peut-on utiliser les algues sargasses à bon escient ? Les réponses pourraient vous surprendre.

Que sont exactement les algues sargasses ?

Comme son nom l'indique, cette algue est originaire de la mer des Sargasses [fr]. Les températures sont plutôt chaudes dans cette aire géographique importante sur le plan écologique et localisée dans la partie médiane et septentrionale de l'océan Atlantique.

Amas de sargasses sur la plage de Speyside à Tobago

Sargasses sur une plage de Speyside à Tobago le 12 avril dernier. On peut voir des résidus de plastique parmi les algues. Photo de Sean McCoon, utilisée avec son aimable autorisation.

La sargasse est un type d'algue brune. En général, elle flotte librement à la surface sans jamais se fixer au fond de l'océan. Elle sert ainsi de refuge aux espèces migratrices. La mer des Sargasses n'est délimitée que par les courants océaniques, contrairement aux autres mers du monde qui sont bornées, du moins en partie, par des terres. L'algue est donc nomade. Sa récente prolifération est attribuée à la hausse des températures des océans découlant de la crise climatique.

La sargasse est un habitat essentiel pour quelque 120 espèces de poissons et plus de 120 espèces d'invertébrés. C'est également une nurserie importante pour des espèces menacées comme les tortues de mer et pour des poissons prisés par les pêcheurs tels que le thon, qui peuvent y trouver de la nourriture et s'y réfugier.

Les algues responsables de ce phénomène sont les Sargassum natans et les Sargassum fluitans. Elles constituent presque des écosystèmes à elles toutes seules. L'entremêlement des amas de sargasses forme une masse compacte où des débris marins, notamment du plastique, ont tendance à s'accumuler. Ces résidus peuvent causer la mort des poissons et autres organismes qui les ingèrent.

La température de l'eau de mer et sa richesse en nutriments favorisent la reproduction asexuée des algues par fragmentation. Lorsque des éléments extérieurs tels que le vent, la houle, les animaux ou les bateaux, éparpillent les tapis flottants de sargasses, de petits fragments se forment alors puis se multiplient rapidement. Ils peuvent ainsi recouvrir l'océan sur plusieurs hectares lorsque les conditions sont favorables.

Les tas d'algues dégagent une odeur caractéristique et âcre à cause du sel et des micro-organismes accumulés en route. L'algue « puante » a même envahi certaines plages comptant parmi les plus isolées de Tobago, comme celle de Speyside, située au nord de l'île et prisée des plongeurs.

Les conséquences de cette prolifération sur le littoral

La présence évidente des sargasses dans les régions côtières et sur les plages locales est préoccupante et ce, non seulement pour l'île de Tobago, mais aussi pour l'ensemble des Caraïbes. Les pêcheurs, les voyagistes, les responsables d'entreprises installées sur le littoral et les personnes travaillant dans des secteurs tributaires du tourisme estiment que ce phénomène nuit à leur activité et à la qualité de leurs services.

Des organismes locaux, comme la Tobago Environmental Management Authority (TEMA) ont signalé que la présence d'algues sargasses échouées sur le littoral de Tobago fait courir un risque important aux conducteurs de bateaux, aux professionnels de la mer et même aux visiteurs qui souhaitent simplement profiter des plages.

De grandes quantités de sargasses dans les environs de Scarborough, la plus grande ville de Tobago

Le littoral dans les environs de Scarborough, la plus grande ville de Tobago, le 14 avril dernier. Photo de Sean McCoon, utilisée avec son aimable autorisation

Les équipages rencontrent souvent des difficultés à manœuvrer leurs navires à travers les sargasses. Ramasser des amas d'algues aussi volumineux sur le littoral est une tâche fastidieuse qui nécessite de la main-d'œuvre, des outils spécifiques de nettoyage et des procédures particulières.

La sargasse peut être perçue comme une nuisance. Pourtant, au fond de ses filaments se cachent des opportunités pour les petits États insulaires en développement (PEID). Cette algue pourrait stimuler les économies régionales, voire créer des industries entièrement nouvelles, à condition d'engager des travaux de recherches appropriés et de travailler dur. Alors, que pourraient faire les États des Caraïbes lors de la prochaine invasion de sargasses ?

Transformons la « peste » en atout

La solution consiste à trouver des façons innovantes de valoriser ces algues qui sont une source très prometteuse de biocarburant [fr]. Cette forme de carburant regroupe toutes les énergies produites à partir de matière biologique, provenant de l'agriculture ou de la méthanisation par exemple. Elle s'oppose à celles issues des processus géologiques et obtenues par l'extraction des énergies fossiles telles que le charbon ou le pétrole.

À l'échelle mondiale, l'utilisation de carburants différents et plus durables continue d'être étudiée. Il y a donc de la place pour des sources d'énergie renouvelables innovantes, des modes de pensée plus écologiques et des pratiques « vertes ». Les Caraïbes pourraient bien profiter de cette opportunité post-pandémie si les gouvernements collaborent avec les particuliers pour investir. Ceci pourrait ouvrir les portes au développement durable et à la croissance économique. Année après année, les sargasses envahissent les plages de la région, pourquoi ne pas en faire un atout ?

Algues sargasses sur l'estran de Lambeau à Tobago

Les algues sargasses sur l'estran de Lambeau à Tobago le 18 avril 2021. Photo de Sean McCoon utilisée avec son aimable autorisation

Des opportunités pour les industries déjà existantes

Ces algues absorbent, stockent et transportent de grandes quantités de sel marin. Elles sont également riches en éléments nutritifs. L’idée de les utiliser comme engrais pour les plantes n'est pas nouvelle. Depuis longtemps, les agriculteurs locaux se rendent sur le littoral pour les récolter de façon artisanale. Ceci leur permet d'améliorer leur production agricole grâce à des moyens naturels.

Extraire [PDF en ligne] les algues directement en mer pourrait être une autre solution pour la région. Le principe serait de définir une zone marine, suffisamment éloignée des côtes, où il serait possible de ramasser de grandes quantités de sargasses. Cela permettrait d'éviter l'échouage des algues sur le littoral, de réduire les moyens nécessaires aux opérations de nettoyage et donc de réaliser des économies.

Les sargasses pourraient être encerclées grâce à un barrage flottant conçu à cet effet et qui retiendrait également les déchets plastiques et différents résidus nocifs. Les navires pourraient ensuite les récupérer pour qu'ils soient valorisés ou recyclés de manière écologique. Les tortues de mer et les autres espèces marines ne seraient pas impactées par ce système s'il est convenablement installé et opérationnel.

De tels moyens limitant la présence de sargasses offrent de nombreux avantages. Ils peuvent non seulement impacter positivement l'économie des îles des Caraïbes, mais également permettre aux populations locales et aux visiteurs de profiter des plaisirs simples de la vie insulaire.

Sean McCoon est responsable de l'administration et de la communication pour l'organisation non gouvernementale et à but non lucratif Environment Tobago, qui œuvre pour la défense, l'éducation et la sensibilisation à l'environnement sur l'île.

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