Films indiens alternatifs sur Netflix : enfin la diversité culturelle ?

Illustration d'une cassette audio avec le nom de la série inscrit dessus

Capture d'écran de la bande-annonce Youtube [hindi, avec sous-titres en anglais] de la série Taj Mahal 1989.

Il ne fait aucun doute que la pandémie de Covid-19 a profité aux plateformes de streaming mondiales, le confinement imposé dans la plupart des pays entraînant la fermeture des cinémas et obligeant les gens à rester chez eux et à créer leurs propres programmes de divertissement. L'une des plateformes les plus florissantes, Netflix, a atteint le record de 37 millions de nouveaux téléspectateurs en 2020 [en], et ne se contente pas de diffuser mais produit également ses propres séries, films et documentaires.

Mais si Netflix, comme ses concurrents [en] HBO, Amazon Prime Video, Apple TV et d'autres, connaît une expansion mondiale en termes de téléspectateurs, la plateforme est longtemps restée centrée sur l'Occident avec des titres majoritairement diffusés en anglais. Pourtant, un changement s'est opéré, et aujourd'hui la plateforme ainsi que d'autres offrent un large éventail de contenus en d'autres langues que l'anglais, produits ou réalisés en dehors du monde occidental.

L'Asie du Sud est une région qui a connu une représentation croissante et beaucoup plus nuancée. Netflix continue de produire et de diffuser des stéréotypes occidentaux de l'Asie du Sud, comme le film d'action Tyler Rake, mais la plateforme s'est également ouverte à un certain nombre de films qui se distinguent de l'industrie typique de Bollywood et permettent une diversité sans précédent de langues, de récits et de genres.

Pour comprendre cette tendance, Global Voices s'est entretenu avec Shumona Sinha, une écrivaine bengalo-française qui a gagné une reconnaissance internationale grâce à son roman primé Assommons les pauvres ! Affectée dans sa résidence en France, comme beaucoup de citoyens, par un confinement rigoureux, elle a pu renouer avec sa jeunesse au Bengale grâce à de nouveaux films et séries indiens qu'elle perçoit comme un changement bienvenu dans la production cinématographique du sous-continent. N'ayant pas la télévision, elle admet avoir passé beaucoup plus de temps sur Netflix qu'avant le début de la pandémie et explique la différence avec ce que propose la télévision française :

Netflix investit dans les productions cinématographiques qui déjouent l’eurocentrisme ou l’occident-centrisme, explorent les cultures diverses peu représentées. Ces productions sont des collaborations entre les pays occidentaux et orientaux, africains, asiatiques, sud-asiatiques… Puis aussi il y a des films, des docus et des séries déjà produits par des pays divers et désormais disponibles sur Netflix. En tout cas, il y a une vraie diversité ethnoculturelle qui est totalement absente à la télé classique, française ou autre.

Quand on lui demande quelle est son émission d'Asie du Sud préférée sur la plateforme de streaming, elle explique :

Taj Mahal 1989 ! La production me semble presque artisanale : peu de moyens et beaucoup de rêve. Elle ressemble davantage au théâtre engagé qu’à une série. Dès la première scène on entend le nom de Safdar Hashmi [en], dramaturge-poète-comédien communiste assassiné en janvier 1989 lors de sa performance de théâtre de rue par les suppôts du parti de droite Congress-I. C’est inédit dans une série ou un film indien. L’histoire de la série évolue autour de cet axe : l’assassinat de Safdar Hashmi et sa perception chez les protagonistes. Deux clans se dessinent : les politiquement engagés et les apolitiques, égoïstes, considérés comme peu cultivés ou de la culture commerciale massive et capitaliste. Le décor de la série est le milieu des universitaires, on y découvre le militantisme communiste et la politique de droite quasi féodale. Tous ces éléments me rappellent mon adolescence et ma jeunesse militante communiste à Calcutta : j’avais écrit un poème en hommage à Safdar Hashmi quand j’avais quatorze ans ; plus récemment dans mon dernier roman, Le testament russe, j’ai évoqué l’assassinat de Safdar Hashmi. Autant de raisons d’aimer cette série !

Comme on peut le voir dans la bande-annonce de Taj Mahal 1989, la série joue sur une ambiance vintage :

Mais au-delà de la pure nostalgie, Shumona Sinha souligne qu'il existe une nouvelle génération de films et de séries indiens, qu'elle attribue en partie à trois noms principaux : le producteur Anurag Kashyap, qui a également créé la première série indienne de Netflix, une adaptation du roman de Vikram Chandra Le Seigneur de Bombay, et qui a d'ailleurs débuté comme acteur dans la distribution de Safdar Hashmi, ainsi que Vishal Bhardwaj, un autre producteur de films qui sera le producteur principal de la série Netflix Midnight's Children, adaptée du roman de Salman Rushdie.

Selon elle, cette nouvelle vague cinématographique indienne constitue une véritable alternative aux récits de Bollywood :

Regardez les séries comme Le Seigner de Bombay, Pataal Lok, Leila, Delhi Crime ; les films comme Pink, Talvar, Haider… qui explorent l’Inde réelle de façon néoréaliste, la violence et les discriminations de la société indienne, le fondamentalisme religieux hindouiste mêlé de sale politique nationaliste, sanguinaire. Puis il y aussi des films et séries néoréalistes plus agréables, qui se détachent de Bollywood sans être complètement des films ou des séries d’auteur, comme A suitable boy, Dil dikhane do.

Le récit typique de Bollywood, explique-t-elle, est traditionnellement construit sur une opposition clairement marquée entre le bien et le mal, et comprend des histoires d'amour romantiques filmées dans des décors magnifiques, en Inde comme dans d'autres pays, et inclut des chansons et des danses qui apparaissent à intervalles réguliers. Ce type de film est parfaitement incarné par l'acteur culte Amitabh Bachchan qui domine Bollywood depuis les années 1970.

Mais quelles que soient les différences entre le style de Bollywood et celui du cinéma d'art et d'essai, ce qui est clair pour Netflix, c'est que l'Inde est devenue une source croissante de contenus, et un marché en pleine expansion : 41 nouveaux titres indiens [en] viennent d'être annoncés pour 2021.

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