[A moins d'indications contraires, tous les liens mènent vers des sources en anglais, ndt.]
Le gouvernement nigérian a annoncé le 4 juin qu'il suspendait Twitter dans le pays, quelques jours seulement après que l'entreprise a supprimé un tweet préjudiciable du président nigérian Muhammadu Buhari qui suggérait que l'État utiliserait la violence contre le groupe ethnique Igbo.
Malgré la suppression du tweet, le message continue de circuler sur les réseaux sociaux, évoquant des souvenirs douloureux d'une guerre civile qui a fait plus d'un million de morts. Mais le tweet a également déclenché un mouvement sur les réseaux sociaux en faveur des Nigérians de l'ethnie Igbo.
Dans une série de tweets publiés le 1er juin 2021, M. Buhari a menacé de “traiter” les Nigérians de l'est du pays “dans la langue qu'ils comprennent”, en référence à la guerre civile nigériane de 1967 à 1970 contre la République sécessionniste du Biafra, dans le sud-est du Nigeria.
La diffusion de ces tweets menaçants est intervenue après une série d'attaques contre des installations gouvernementales et de sécurité dans la région, imputées à un groupe armé lié au Peuple autochtone du Biafra (IPOB), un mouvement sécessionniste pro-Biafra. Toutefois, l'IPOB a nié toute implication dans l'attaque, selon Voice of America.
“Beaucoup de ceux qui se conduisent mal aujourd'hui sont trop jeunes pour être conscients des destructions et des pertes de vies humaines survenues pendant la guerre civile nigériane”, a écrit M. Buhari dans son tweet, désormais supprimé :
Les tweets ont réitéré les commentaires d'un Buhari visiblement irrité à la State House, à Abuja, la capitale du Nigeria, au sujet de la vague d'incendies criminels contre les agents électoraux. “Je pense que nous leur avons donné suffisamment de latitude. Ils ont plaidé leur cause, ils voulaient juste détruire le pays”, a-t-il déclaré, semblant faire référence aux agitateurs sécessionnistes :
Buhari made the statement himself. pic.twitter.com/CCX4d78SLk
— Karo (@Karovoni) June 1, 2021
Buhari a fait la déclaration lui-même.
M. Buhari, un général à la retraite, a servi dans l'armée pendant la guerre civile au Nigeria.
Cette guerre civile brutale a entraîné la mort de plus d'un million de membres de l'ethnie Igbo et d'autres Nigerians de l'est”, selon Chima J. Korieh, professeur d'histoire africaine à l'Université Marquette des États-Unis. “Pour la plupart des Nigérians, la guerre contre l'État séparatiste du Biafra est généralement considérée comme un épisode malheureux qu'il vaut mieux oublier, mais pour le peuple Igbo qui a combattu pour la sécession, cela reste un événement déterminant pour la vie”, affirme l'écrivain nigérian Adaobi Tricia Nwaubani.
La politique de Twitter sur les conduites haineuses interdit les tweets qui “promeuvent la violence ou menacent” des personnes sur la base de “la race, l'ethnicité, l'origine nationale”. De tels tweets, comme celui de M. Buhari, sont soit supprimés par l'entreprise de technologie, soit l'utilisateur est obligé de “supprimer le contenu enfreignant les règles”.
Lai Mohammed, ministre nigérian de l'Information, a qualifié de “très suspecte” la suppression du tweet du président par la société de médias sociaux :
Twitter’s Mission In Nigeria Is Suspicious, Says Lai Mohammed pic.twitter.com/6hbAKsnjVM
— Channels Television (@channelstv) June 2, 2021
La mission de Twitter au Nigeria est suspecte, déclare Lai Mohammed
Les tweets menaçants supprimés sont toujours visibles
Une enquête menée par l'expert en criminalistique des médias sociaux Digital Africa Research Lab (DigiAfricaLab) révèle que le tweet menaçant de M. Buhari était toujours visible “sur de nombreux fils d'actualité” deux jours après avoir été supprimé par Twitter, “en raison de tweets le citant” :
Over 30 hours after Twitter deleted a Tweet by Nigerian president @MBuhari for violating its rules, the deleted Tweet REMAINS VISIBLE across numerous timelines due to Quote Tweets!
[DigiAfricaLab made this observation whilst signed in to different accounts on different devices] pic.twitter.com/KwUIVmzEoP
— Digital Africa Research Lab (@DigiAfricaLab) June 3, 2021
Plus de 30 heures après que Twitter a supprimé un Tweet du président nigérian @MBuhari pour avoir enfreint ses règles, le Tweet supprimé RESTE VISIBLE sur de nombreux fils d'actualité en raison des Tweets de citation !
[DigiAfricaLab a fait cette observation en étant connecté à différents comptes sur différents appareils]
En se connectant à “différents comptes” via “différents appareils”, DigiAfricaLab était toujours en mesure de voir plus de 17 000 fois le tweet de menace cité par les utilisateurs avant que la société de médias sociaux ne le retire des “fils d'actualité de @MBuhari et @NGRPresident”, deux comptes Twitter vérifiés utilisés par le Président Buhari. De plus, DigiAfricaLab a pu cliquer sur le tweet supprimé du président Buhari et en dérouler le contenu.
pouvaient toujours être mis en cache et donc disponibles pour apparaître dans les résultats de recherche – jusqu'à ce que le site s'indexe à nouveau et se mette à jour avec une nouvelle copie de votre profil Twitter et des messages”.
Retour de bâton avec le hashtag #IAmIgboToo
Le tweet menaçant du président Buhari a suscité une réaction des utilisateurs nigérians du réseau social qui ont utilisé le hashtag #IAmIgboToo (Moi aussi je suis Igbo) pour exprimer leur mécontentement. En outre, les utilisateurs issus de différents groupes ethniques ont également adopté des noms Igbo pour montrer leur solidarité avec ce peuple.
Une analyse menée le 4 juin 2021 par Global Voices sur l'application Brand Mentions a révélé qu'au cours des sept derniers jours, le hashtag #IAmIgboToo avait eu 508 mentions, 319 200 interactions, atteint 457 500 utilisateurs et 313 100 partages sur Twitter et Instagram.
La militante des droits humains Aisha Yesufu – adoptant le nom Igbo “Somtochukwu”, signifiant “joignez-vous à moi pour louer Dieu” –, dans sa condamnation “[d]es menaces [de guerre civile] de 1967 du président Buhari contre le peuple Igbo”, a déclaré “qu'une attaque contre le peuple Igbo est une attaque contre moi” :
My name is Aisha Somtochukwu Yesufu#IAmIgbo.
Any threat to Igbo people is a threat to me.
An attack to Igbo people is an attack on me.
I condemn the 1967 threats from President Buhari to the Igbo people
No Nigerian is more Nigerian than any Nigerian pic.twitter.com/VMHeYkWY2e— Aisha Yesufu (@AishaYesufu) June 2, 2021
Je m'appelle Aisha Somtochukwu Yesufu # IAmIgbo (Je Suis Igbo).
Toute menace envers les Igbo est une menace contre moi.
Une attaque contre les Igbo est une attaque contre moi.
Je condamne les menaces de 1967 du président Buhari au peuple Igbo
Aucun Nigérian n'est plus Nigérian qu'un autre Nigérian
L'artiste de hip-hop nigérian et producteur de disques Jude Abaga (MI Abaga) a exprimé son désir que le pays aille au-delà de ces déclarations haineuses :
The narrative that “Nigeria hates Igbo people” is an outdated context that will leave with the old and bitter generation
Today let us stand with our Igbo family and say #IAmIgboToo #Ozoemena ♥?? pic.twitter.com/B0xGAjnfMG
— Yung denzL (@MI_Abaga) June 2, 2021
Le récit selon lequel “le Nigeria déteste le peuple Igbo” est un contexte dépassé qui partira avec l'ancienne et amère génération
Aujourd'hui, soutenons notre famille Igbo et disons #MoiAussiJeSuisIgbo
L'activiste du mouvement #EndSARS Rinuola [Rinu] Oduala, adoptant le nom Igbo “Ochiaga”, signifiant “chef des forces armées”, a rappelé avec fierté les contributions importantes des femmes Igbo dans l'histoire du Nigéria, faisant référence à la rébellion des femmes Aba [fr] de novembre 1929 :
I remember the Aba Women Rebellion where at least 25,000 Igbo women protested against colonial oppression.
I come from the same land with those dynamic women, born of confidence & resilience to years of oppression & social injustice.
My name is Rinu Ochiagha Oduala.#IAmIgboToo
— Rinu #EndSARS?? (@SavvyRinu) June 2, 2021
Je me souviens de la rébellion des femmes Aba où au moins 25 000 femmes Igbo ont protesté contre l'oppression coloniale.
Je viens du même pays que ces femmes dynamiques, nées de la confiance et de la résilience à des années d'oppression et d'injustice sociale.
Je m'appelle Rinu Ochiagha Oduala. #MoiAussiJeSuisIgbo
Blossom Ozurumba, traductrice de langue Igbo pour Global Voices, a noté que “la violence commence toujours par la déshumanisation” :
“The use of dehumanization makes it easier to remove the moral concern associated with killing, discriminating, or torturing others based on their group identity. If they aren’t seen as human, it is easier to justify acts of violence against them.” https://t.co/nW2OPFBqbM
— Chief Ofu Ji (@blossomozurumba) June 1, 2021
L'usage de la déshumanisation permet de supprimer plus facilement la préoccupation morale associée au meurtre, à la discrimination ou à la torture en raison de l'identité de la victime.