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La Guinée maintient porte close pour certains voisins à l'occasion de la Journée africaine des frontières

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Côte d'Ivoire, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Sierra Léone, Economie et entreprises, Élections, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Médias citoyens, Migrations & immigrés

Capture d'écran d'une vidéo de CGTN [1] sur les problèmes de transport de produits à la frontière guinéenne.

Alors que le continent africain vient de célébrer la Journée africaine des frontières, le gouvernement guinéen maintient deux de ses frontières fermées dans ce qui ressemble à un isolationnisme politique renforcé et finit par accentuer la crise économique.

Le 7 juin est célébré en Afrique la Journée africaine des frontières [2], suite à une décision adoptée par l’Union Africaine [3] (UA) en 2010. Chaque année une thématique différente est choisie pour organiser des activités sur tout le continent. Pour 2021 l'UA a choisi comme thème: “Arts, cultures et patrimoine: leviers pour construire une Afrique que nous voulons”.

La Guinée, qui partage des frontières terrestres avec six pays – la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Sénégal et la Sierra Leone, a limité sa participation à cette journée internationale au seul Mali.

Le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, le Général Bouréma Condé décrit ainsi les activités organisées [4] dans son pays à cette occasion:

La 11ème journée africaine des frontières est célébrée cette année en Guinée à travers des activités artistiques, socio-culturelles et sportives entre Guinéens et Maliens dans la Sous-préfecture de Doko, préfecture de Siguiri, dans la stricte observation  des directives de santé et de sécurité publiques. Ces activités marquent à la fois la volonté des Gouvernements Guinéen et Malien d’œuvrer ensemble au renforcement de l’Unité Africaine par la promotion de l’intégration de proximité à travers la coopération transfrontalière et de bâtir un espace sans distinction de sexe, de religion, de race ou d’ethnie.

Une politique isolationniste qui exclut certains pays limitrophes

Le gouvernement guinéen a instauré une fermeture des frontières avec certains de ses voisins depuis septembre 2020, comme l’explique [5] agenceecofin.com, un site panafricain :

C’est le 27 septembre 2020, avant la présidentielle (18 octobre), que le chef de l’Etat guinéen Alpha Condé avait ordonné la fermeture des frontières avec trois de ses six voisins : la Guinée-Bissau, la Sierra Leone et le Sénégal où réside la plus importante diaspora guinéenne. Sur les raisons de cette décision, il avait mis en avant des questions d’ordre sécuritaire.

La frontière avec la Sierra-Leone a certes été réouverte le 18 février 2021, après une visite officielle du président sierra-léonais Julius Maada Bio. [6] Toutefois la principale question est de savoir ce qui motive cette politique isolationniste. La réponse est probablement à chercher du côté de la politique d’Alpha Condé [7], le Président de la république de Guinée au pouvoir depuis 2010 quand il a fait modifier la constitution [8] pour obtenir un troisième mandat.

Les populations qui se trouvent des deux côtés de la frontière avec la Guinée et le Mali sont de l'ethnie mandingue [10], et constituent justement le bastion électoral du Rassemblement du peuple de Guinée [11] (RPG) – arc-en-ciel, le parti au pouvoir,  ce qui pourrait expliquer pourquoi le Mali est le seul pays associé aux célébrations.

Par contre, la région frontalière avec le Sénégal et la Guinée-Bissau, le Fouta-Djalon, est majoritairement habitée par l'ethnie peule, présente dans les deux autres pays, qu'elle soit autochtone ou issue de l'immigration.

De fait, Cellou Dalhein Diallo [12], le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée [13] (UFDG), principal parti d'opposition guinéenne peut compter sur un soutien dans les hautes sphères gouvernementales de plusieurs pays voisins: les Présidents du Sénégal, Macky Sall [14] et de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló [15], ainsi que le vice-président de la Sierra-Leone, Mohamed Juldeh Jalloh [16], sont tous des Peuls.

Certains observateurs avancent la thèse selon laquelle la décision de fermer les trois frontières s'expliquerait par la volonté de M. Condé d’empêcher [17] les Guinéens vivant au Sénégal et en Guinée-Bissau de retourner au pays pour voter lors des élections présidentielles.

Une autre explication est aussi avancée en ce qui concerne le Sénégal. Selon le journaliste sénégalais Sadih Top du site seneweb.com [17]:

C'est dû à un combat politique. Cellou Dalein Diallo a confectionné 400 mille T-shirts au Sénégal. T-shirts répartis dans 5 camions. Alors, pour empêcher son adversaire d'avoir ces T-shirts, Alpha a fait fermer la frontière terrestre

Des conséquences désastreuses pour l'économie guinéenne

Cette fermeture prolongée des frontières représente un coût économique élevé. Ainsi un projet de réhabilitation agricole du Fouta Djallon avait permis de développer [18] plusieurs filières agricoles, de l'élevage et la diffusion de plants fruitiers améliorés. Ces produits sont naturellement vendus au Sénégal et en Guinée-Bissau, car la route menant du Fouta-Djalon à Conakry, la capitale, où il y a la plus grande concentration de consommateurs, est en mauvais état.

Le 8 janvier 2021 Chérif Mohamed Abdallah Haïdara, Président de la section guinéenne du Groupe organisé panafricain des hommes d’affaires (GOHA), a publié un communiqué qui note que [19]:

Tout au long de ces frontières, des centaines de camions sont stationnés de part et d’autre sans avoir une idée sur la fin de leur calvaire. Avec cette fermeture prolongée des frontières, Alpha Condé et son gouvernement mettent commerçants et transporteurs en danger et compromettent la situation des commerçants déjà̀ précaire à cause de sa mauvaise politique…

Ange Gabriel Haba, secrétaire exécutif du Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne [20] a publié le 3 juin 2021 une pétition qui déclare: [21]

Depuis le 27 septembre 2020  les autorités guinéennes ont fermé les frontières du pays avec trois de ses voisins que sont le Sénégal, la Sierra Leone et la Guinée Bissau. Huit mois plus tard, le maintien prolongé de la décision de fermeture a engendré des conséquences énormes sur  tous les plans de la vie des populations. Ces conséquences sont d’autant plus graves que cette mesure est intervenue dans un contexte où les citoyens étaient déjà extrêmement fragilisés par les effets dévastateurs de la COVID 19.

Alaidhy Sow, directeur régional de la radio Espace Foutah et correspondant du site guineenews basé à Labé, la capitale régionale, se fait le porte-parole des agriculteurs de Mali Yembering, localité qui se trouve à côté de la frontière avec le Sénégal:

Les commerçants et les transporteurs ne sont pas les seuls à souffrir de cette fermeture, l'état guinéen en pâtit tout autant. Faisant référence à une émission de bons du trésor avec des taux d'intérêt atteignant 13 pour cent [28], Fodé Baldé, responsable de la cellule Communication digitale de l'Union des forces républicaines (UFR), un parti d'opposition, et membre de la coordination de la communication du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), a tweeté:

#Guinée [29] : Il est établi que le @GouvGN [30] a émis des bonds de trésor avec un taux d'intérêt inimaginable qui pourrait dépasser les 13% et ce, pour combler le déficit budgétaire né de la mauvaise politique éco et financière du régime. Avec la fermeture des frontières aussi !#Kibaro [31]

— Fodé BALDE (@FodBALDE2) March 14, 2021 [32]

A titre de comparaison le taux maximum d'intérêt pour les bons du Trésor émis par le Sénégal est de 3,43 pour cent.

Cette fermeture prolongée des frontières est, en autres dispositions internationales, une violation des obligations du Protocole du 29 mai 1979 [33] de la Communauté économique des états de l’Afrique de l'ouest [34] relatif à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et d’établissement dont la Guinée est signataire. En effet cet instrument juridique garantit à tout citoyen l'entrée et l'établissement d'un citoyen d'un des 15 états dans les autres.