Au Kenya, la popularité sur internet se monnaie parfois au prix de la vie privée et d'une perte de propriété intellectuelle

A screen grab of a re-enacted video that went viral featuring Charles Odongo now popularly known as Ugali man

Une capture d'écran d'une vidéo reproduite qui est devenue virale, mettant en scène Charles Odongo connu désormais comme Ugali man. La vidéo lui a rapporté un contrat publicitaire avec la société de pari sportif en ligne Odibets.

La culture internet du Kenya est actuellement en proie à un changement de paradigme.  Les points d'appui habituels de l'industrie publicitaire et du monde des affaires, le triptyque personnalités de la télévision, des médias et des sports, sont peu à peu remplacés par une nouvelle génération de stars d'internet dont les posts sur les réseaux sociaux ne leur apportent plus uniquement de la popularité. Beaucoup tirent désormais profit de leurs contenus viraux pour bâtir de vastes fortunes. Cependant, ces tendances soulèvent des inquiétudes concernant le droit à la vie privée, les aspects juridiques liés au droit d'auteur et les conséquences inattendues d'une notoriété et d'une réussite si soudaines.

De la viralité à la signature de contrats publicitaires

Il y a cinq ans, les Kenyan·es ont constaté de quelle manière internet pouvait catapulter la vie des citoyen·nes ordinaires, faire d'eux des stars et leur permettre de décrocher des contrats de sponsoring lucratifs. Joseph Mburu (Jose the Witnesser), Jane Anyango Adika (Serikali saidia), Francis Kimani (Bonoko), et Alice Wambui (« Kifikifi Witness ») sont devenus les premières stars kenyanes sur internet à être recrutées par des marques à la suite de la publication de leurs vidéos virales respectives.

Leur succès considérable s'est produit lorsque l'entreprise principale de télécommunications du Kenya, Safaricom Ltd, les a recruté·es pour une campagne publicitaire afin de promouvoir leurs offres de téléphonie mobile. La vie des quatre stars d'internet a été transformée à jamais selon le documentaire de Citizen TV.

Aujourd'hui le précédent établi par le géant des télécommunications semble être devenu une formule gagnante et une référence pour de nombreuses marques tant au niveau local qu'international. Pour le milieu publicitaire et le monde de l'entreprise dans le pays, cette évolution vers une collaboration avec des Kenyan·es ordinaires trouve un écho parmi la nouvelle génération des “millenials”, des consommateur·rices qui, selon des études récentes, sont à la recherche d'expériences plutôt que de biens matériels.

Un nombre élevé d'internautes

Les réseaux sociaux occupent désormais une grande partie de la vie quotidienne des citoyen·nes du Kenya dont 75 % ont moins de 35 ans. Bien qu'une majorité utilise Facebook, Twitter est devenu le créateur de tendances du pays et exerce une influence récurrente sur le programme du pays en matière de politique, de questions sociales et d'affaires courantes. Par exemple, à l'approche des élections générales de 2017 au Kenya, le président Uhuru Kenyatta figurait parmi les dix personnalités politiques de l'Afrique les plus influentes sur Twitter. Le vice-président William Rutto utilise son identifiant Twitter pour promouvoir son programme politique et partager ses opinions sur des questions diverses. Un article publié récemment sur Global Voices a révélé de quelle manière la police du Kenya se servait de Twitter pour redorer son image ternie.

La puissance des réseaux sociaux kenyans s'est maintenant étendue au-delà de leur capacité à produire uniquement des stars d'internet. Pour certains, cela a permis de lancer une carrière.

Lorsqu'une vidéo de Charles Odongo, propriétaire de salle de gym et préparateur physique, a été postée sur Twitter le 25 mai, les utilisateur·rices ont été impressionné·es par son originalité et ses performances exceptionnelles dans la consommation de nourriture.

Dans la vidéo, on aperçoit une montagne d'ugali (un plat kenyan incontournable à base de maïs) et un plat de viande, que Charles Odongo dévore voracement et de manière théâtrale devant la caméra. Son attitude et son enthousiasme ont exercé une grande fascination sur de nombreuses personnes en ligne. Rapidement, des mèmes de #Ugaliman, pour reprendre le nom qu'on lui a donné, ont fait leur apparition un peu partout.

Avant #UgaliMan

Quant à « Ugali man », cette vidéo lui a récemment permis de décrocher un contrat publicitaire lucratif avec une société de pari sportif en ligne, Odi Bets. L'entreprise a confirmé ce partenariat au travers d'un post sur leur page Instagram.

Le contenu viral soulève des questions de vie privée et de droits d'auteur

À mesure que les exemples de vidéos et de contenus viraux augmentent, des préoccupations relatives à la vie privée et aux droits d'auteur commencent à apparaître alors que les commentateurs se demandent si les créateurs de contenus en tirent effectivement un profit réel.

Je me suis entretenue avec Wandiri Karimi, une avocate et experte kenyane en matière de propriété intellectuelle à propos de cette nouvelle tendance. Elle a donné des clarifications sur plusieurs questions, notamment l'application éventuelle des lois relatives à la propriété intellectuelle, l'attribution du droit d'auteur et les facteurs déterminant la compétence des tribunaux en cas de litige.

Selon Wandiri Karimi,

The technical term under the copyright act would be audiovisual works and if they meet the threshold for the relevant branch of intellectual property law in this case copyright they would.

In order for it to be considered as work subject to copyright, the video creator would have to be creating something original, they have to have put work/effort into creating that work and then communicate it to the public in a permanent form which is the audiovisual work.

In cases where the video goes viral, it often becomes a challenge for the original content creator to enforce copyright laws against replicas and/or variations of the same content shared online especially on social media.

Le terme technique approprié en vertu de la loi sur le droit d'auteur serait des œuvres audiovisuelles, et si les vidéos répondent aux critères de la branche applicable du droit relatif à la propriété intellectuelle, en l'occurrence le droit d'auteur, elles seraient qualifiées ainsi.

Pour qu'elle soit considérée comme œuvre soumise aux droits d'auteur, le créateur de vidéo doit créer quelque chose d'original, il faut que cette personne ait fourni des travaux/efforts en créant cette œuvre et qu'elle soit ensuite communiquée au public dans une forme permanente, ce qui constitue l'œuvre audiovisuelle.

Dans la mesure où les vidéos deviennent virales, cela constitue souvent un défi pour le créateur original du contenu de faire appliquer les lois relatives au droit d'auteur à l'encontre des répliques et/ou des variations du même contenu partagé en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux.

En privé, Wandiri Karimi a exprimé ses inquiétudes concernant le nombre croissant d'enfants qui sont impliqués dans les contenus viraux en ligne.

L'une de ces affaires concerne Gracious Amani, 13 ans, qui a fait l'objet d'un enregistrement vidéo de la part de Brit Chantel, une Américaine qui était impliquée dans des œuvres caritatives à Nairobi lorsqu'elle a fait la rencontre d'Amani. Elle a réalisé une vidéo d'Amani Gracious interprétant la chanson d'Alicia Keys « Girl on fire » et l'a publiée sur sa page Facebook. La vidéo est devenue virale et a même valu à Amani un compliment de la part de la musicienne. Cependant, comme la mère d'Amani l'a révélé lors d'une interview avec une chaîne de télévision locale, sa fille et elles ont appris l'existence de la vidéo seulement lorsque leurs amis et leurs proches les ont appelées pour leur adresser des messages de félicitations.

Comme l'a noté Wandiri Karimi,

There is a worrying trend of minors (children under the age of majority 18) who go viral for all the wrong reasons and in my view, there should be the protection of children even in these spaces because a lot of the time some of these uploads are to drive traffic and hence increase monetisation without consideration of what that means for the minors on screen.

Il existe une tendance inquiétante concernant les mineur·es (les enfants âgés de moins de 18 ans) qui deviennent viraux pour toutes les mauvaises raisons et selon moi, les enfants devraient bénéficier de protection même dans ces espaces, du fait que fréquemment, certaines de ces publications sont destinées à générer du traffic et donc à augmenter la monétisation sans tenir compte de ce que cela implique pour les mineur·es présenté·es à l'écran.

Dans l'affaire d'Amani Gracious, bien que la vidéo ait lancé sa carrière musicale — lui permettant même d'obtenir un contrat d'enregistrement — sa famille est devenue victime de menaces et d'attaques, certaines personnes ayant voulu exploiter leur nouveau statut de célébrité. Comme la mère d'Amani l'a expliqué pendant l'interview avec les médias, les auteurs ont présumé que la famille avait reçu de l'argent suite aux différentes interviews auxquelles Amani avait participé.

J'ai demandé à Wandiri Karimi ce qu'elle pensait de la nouvelle du contrat publicitaire de #UgaliMan :

My concerns are centred on the ability to engage with advertisers on the value of the content creators work. The revenue from new media has not been favourable towards the creator in the past for example for a long time the ringback tone revenue split is heavily skewed towards the conduit disseminating it rather than the actual creator of the content and many discussions have been had on that and they are allegedly still ongoing.

Another concern is while there is a measurable audience available online via these content creators there is a danger for actual content creator versus meme culture. This is the creation of a huge amount of traffic at the expense of a netizen going about their lives there are underlying issues of privacy and furthermore the dumbing down of content creators who actually expend effort into creating work being overlooked by meme culture type content. This also goes for children being part of the content that is detrimental to their development.

Mes inquiétudes sont centrées sur la capacité de collaborer avec les publicitaires sur la valeur du travail des créateurs de contenus. Les revenus issus des nouveaux médias n'ont pas été favorables envers le créateur par le passé. Par exemple, pendant longtemps, le partage des revenus des tonalités d'appel étaient  lourdement déséquilibrés en faveur de l'intermédiaire qui les diffuse plutôt que le créateur réel du contenu. Beaucoup de discussions ont émergé à ce sujet et elles seraient encore d'actualité.

Alors qu'il y a une audience mesurable disponible en ligne au travers de ces créateurs de contenus, on craint qu'il existe un risque de face-à-face entre création réelle et culture du mème. Il s'agit de générer une immense quantité de trafic aux dépens des internautes qui vivent simplement leur vie. Il y a des problèmes sous-jacents de vie privée et d'autre part, le nivellement vers le bas des créateurs de contenus qui consacrent réellement beaucoup d'efforts dans la création d'œuvres se trouvant négligées en faveur d'un contenu de type culture mème. Il en va de même pour les enfants prenant part au contenu nuisible à leur développement.

Comme Wandiri Karimi l'a expliqué, le droit d'auteur au Kenya est beaucoup mieux compris qu'il y a dix ans. Cependant, il y a encore une marge de progression et d'augmentation de la prise de conscience autour de la vie privée et de la création de contenus.

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