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Une activiste féministe russe risque la prison pour des dessins “body positive”

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Arts et Culture, Censure, Cyber-activisme, Droits humains, Femmes et genre, LGBTQI+, Liberté d'expression, Médias citoyens, RuNet Echo

“Mon corps n'est pas pornographique!”, affiche la manifestante. Le policier s'interroge : “ça rentre dans l'article 242 ?”. Cet article du Code Pénal russe criminalise la création et l'échange de contenu pornographique. Image (c) : Yulia Tsvetkova, utilisée avec sa permission.

Yulia Tsvetkova, artiste féministe et activiste LGBT, risque 6 ans de prison pour publication d'images à caractère pornographique, après avoir publié ses dessins sur les réseaux sociaux, considérés comme faisant partie du mouvement « body positive » par ses abonné·e·s.

Le 12 avril, au tribunal Kosmomolsk-on-Amur, dans la région Khabarovsk à l'est de la Russie, a démarré le dernier procès de l'affaire Tsvetkova. Le procès a lieu en huis clos, car des images à caractère pornographique y seraient dévoilées.

Yulia Tsvetkova, une artiste et directrice de théâtre de 27 ans, est accusée d'avoir « réalisé et distribué du contenu à caractère pornographique » (Article 242 (3b) du Code Pénal russe) suite à la publication de plusieurs de ses dessins de femmes nues et de vulves sur sa page VKontakte. Ces dessins font partie de son projet artistique body positive intitulé « Une femme n'est pas une poupée ». La peine encourue pour non respect de l'Article 242 peut s'élever jusqu'à 6 ans de prison.

La mère de Yulia Tsvetkova, Anna Khodyreva, a révélé à l'AFP qu'elle n'était pas autorisée à assister à l'audience et trouve le procès « absurde ». Selon elle, tout « a été fait pour avoir le moins d'information possible ».

Natalia Zvyagina, la directrice russe d'Amnesty International, a critiqué la décision de mener le procès en huis clos et a demandé aux autorités russes de « garantir une audience ouverte au public » dans l'affaire Tsvetkova. Accompagnée de Mémorial, un centre de défense des droits humains, Amnesty considère madame Tsvetkova comme une prisonnière d'opinion. L'organisation appelle la Russie à renoncer à toutes les charges portées contre elle et à « arrêter de cibler les activistes, notamment féministes et LGBT ».

Les poursuites contre Yulia ne datent pas d'hier

Yulia Tsvetkova a déjà mené plusieurs projets éducatifs à Khabarovsk, comme du théâtre pour enfants, des groupes féministes en ligne et de l'éducation à la sexualité pour les jeunes, ainsi qu'un groupe de Monologues du Vagin qui célébrait la puissance et la singularité du corps féminin.

Elle est d'abord détenue en Novembre 2019, et placée en maison d'arrêt [1] jusqu'au 16 mars 2020. En décembre 2019, elle est déclarée coupable d'avoir enfreint la loi russe pour avoir fait de la « propagande de relations sexuelles non-traditionnelles entre mineur·e·s ». Elle reçoit alors une amende de 50 000 roubles (environ 580 €). En juillet 2020, lorsqu'elle publie une photo d'un couple de même sexe avec des enfants, mentionnant que « La famille, c'est là où est l'amour. Soutenez les familles LGBT+. », elle reçoit une amende de de 75 000 roubles (environ 870 €).

Dans une interview [2] [en] pour l'AFP l'année dernière, elle raconte que selon elle, les autorités utilisent les poursuites pour pornographie pour rendre illégitime son activisme LGBT. En effet, il est plus facile de culpabiliser les citoyen·ne·s et de leur infliger une peine lourde en invoquant la pornographie.

Yulia Tsvetkova, devant le tribunal. Photo (c): Yulia Tsvetkova.

Dans une interview [1] de 2020 à oDR, une section openDemocracy‘s sur la Russie et l'espace post-soviétique, madame Tsvetkova s'est exprimée sur l'impact de son passage en maison d'arrêt et les menaces qu'elle a reçues d'activistes anti-LGBT. Les poursuites en cours contre madame Tsvetkova, ont été lancées à la suite d'une plainte [3] [ru] déposée par Timur Bulatov, un activiste anti-LGBT connu.

Elle partage [1] aussi son avis sur son statut de prisonnière politique :

Мне кажется, что у нас в стране сейчас очень много невидимых женщин-политзаключенных: это матери, жены, те женщины, которые из-за политических процессов несут на себе дичайшую нагрузку. Про них особо не говорят и не пишут, а если и пишут, то как про “чьих-то мам”, “чьих-то жен”. Политзеки — это герои, а это так, невидимый обслуживающий персонал.

J'ai l'impression qu'aujourd'hui, il y a énormément de femmes incarcérées pour leurs opinions, et invisibilisées : des mères, des épouses − des femmes qui portent un fardeau énorme à cause des procès politiques. Les gens n'en parlent pas, n'écrivent pas sur elles, et quand ils le font, ils les décrivent comme « la mère de, l'épouse de». Les prisonniers politiques sont des héros, alors que les femmes, invisibles, passent pour le personnel de service.

Yulia Tsvetkova a débuté une grève de la faim [4] [en] le 1er Mai 2021, demandant au tribunal d'accélérer le processus juridique et d'ouvrir son procès au public.