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A. Merkel, E. Macron ou J. Biden? Non, c'est sur la Chine que compte l'Amérique latine pour les vaccins

Catégories: Amérique latine, Chine, Médias citoyens, Santé, COVID-19, The Bridge
Un fond noir et blanc sur lequel se trouvent 3 photos : une représentant des personnes portant un masque, une autre représentant des personnes dans la rue avec un petit bâtiment en arrière plan, et une dernière représentant des seringues pour le vaccin. Au centre de cette photo, on peut voir un dragon chinois rouge et jaune qui entoure le continent latino américain.

Illustration créée par Connectas et publiée par Global Voices avec leur autorisation.

L'article original a été écrit par Iván Ruiz, un membre du comité éditorial de Connectas [1] [es]. Il a initialement été publié en espagnol sur Connectas [1] [es] et une version modifiée est parue sur Global Voices. 

En cette période difficile, la Chine est à nouveau venue à la rescousse des pays d'Amérique latine. Fin 2020, le taux de mortalité augmentait au Brésil, en Équateur, et au Pérou, mais aussi dans d'autres pays de la région. L'Europe et les États-Unis ont obtenu des millions de vaccins, mais ces doses ne sont jamais parvenues en Amérique latine. Ici, la Chine a décelé à la fois une opportunité politique et économique. Aujourd'hui, la quasi-totalité des pays latino-américains ont commencé à vacciner leur population avec les vaccins chinois, sans hésitation.

Un membre de votre famille, un ami, ou même le professeur de votre enfant a probablement déjà reçu une dose du vaccin BBIBP-CorV [2] ou CoronoVac [3] (Sinovac). Toutefois, la politique de « diplomatie vaccinale », comme l'appellent les experts, n'est que le dernier épisode d'une série d'actions montrant l'intérêt croissant de la Chine pour la région. On peut notamment le voir dans l'émergence récente de la section latino-américaine de l'énorme projet d'infrastructure et d'investissement chinois plus connu sous le nom de la nouvelle route de la soie  [4][fr], qui progresse depuis quatre ans dans la région, sous l'œil indifférent de l'ancien président américain Donald Trump.

Au début, Pékin a étendu son influence sur les matières premières d'Amérique latine. Par la suite, la Chine a commencé à financer des gros projets d'infrastructure (principalement focalisés sur l'énergie) et, pour finir, elle a accordé des prêts aux pays qui, autrement, n'auraient pas pu obtenir de financement sur le marché international.

Des conteneurs réfrigérés avec 1 000 000 de vaccins Sinovac à Hong Kong. Ils sont déjà en route. Ils arriveront tôt demain matin à l'aéroport CDMX [au Mexique]. Cela montre le soutien indéniable de la Chine !

Tout d'abord, la Chine était intéressée par les produits alimentaires qu'elle achète encore au Brésil et à l'Argentine, mais a ensuite diversifié sa gamme en incluant d'autres pays de la région, comme l'Équateur, où la Chine finance d'énormes projets énergétiques. La position d'opposition aux États-Unis a rapproché le Venezuela de la Chine, qui est devenu son plus gros créancier. Comme le dit l'adage, l'ennemi de ton ennemi est ton ami. Avant la pandémie, la Chine avait déjà commencé à construire une relation forte avec le Mexique, le Chili et le Pérou – des pays avec de gros marchés intérieurs – pour investir dans leurs secteurs des services.

« Quand vous discutez avec un pays aussi puissant que la Chine, un énorme portefeuille d'investissements est mis en jeu. Dans ce contexte, les vaccins ne sont qu'un énième sujet à l'ordre du jour », a déclaré Federico Merke, un professeur de relations internationales à l'université de San Andrés en Argentine. « La Chine a une très grande place en Amérique latine, une place qui n'a cessé de s'étendre au cours de ces 10 dernières années. Travailler avec la Chine est à la fois une chance et un risque. C'est une chance car cela permet d'avoir accès au vaccin, mais c'est aussi un risque car cela signifie que l'on s'associe à un pays qui ne respecte pas les droits de l'homme, qui ne se soucie pas de la protection de l'environnement, et qui n'a aucun scrupule à accepter ou verser des pots-de-vins », a-t-il ajouté.

Federico Urdinez, un expert de la Chine à l'Université catholique du Chili, a réalisé une étude dans sept pays latino-américains, demandant aux participants de donner leur avis sur la Chine. Les personnes interrogées avaient tendance à donner toutes la même réponse : le coronavirus. Les souvenirs du marché de Wuhan [7] [en] étaient clairement encore frais dans les esprits de nombreux Latino-américains, pour qui la Chine est responsable des épreuves qu'ils traversent encore.

F. Urdinez en a conclu que la « diplomatie des masques » de la Chine, qui consistait à faire don de masques en Amérique latine pendant les pires mois de la pandémie, n'a pas marché. Cependant, quand l'Université catholique du Chili a renouvelé l'étude quelques mois plus tard, l'opinion était différente. « L'atteinte à la réputation que les masques n'ont pas réussi à redresser, les vaccins l'ont fait. L'image publique de la Chine s'est améliorée parmi les Latino-américains », a expliqué F. Urdinez.

Ces médicaments indispensables sont arrivés en même temps qu'une énorme vague d'investissements que la Chine a consacrés à l'Amérique latine. Entre 1990 et 2009, les investissements de la Chine dans la région ont totalisé 7 milliards de dollars américains. Cependant, ce chiffre est passé à 64 milliards de dollars sur la période 2010-2015, après que la Chine ait relancé son projet de route de la soie qui comportait un intérêt particulier pour la région. 

En 2019, le Brésil, le plus grand producteur mondial de soja, a vendu 80 % de sa production totale à la Chine. En revanche, le Brésil a cédé le contrôle de 13 ports commerciaux à des investisseurs chinois et compte en céder 15 de plus. L'Argentine vend également 80 % de son soja à la Chine, tandis que le géant asiatique investit dans les hydrocarbures et accorde des prêts au pays pour la construction de trains et de ports.

Nous avons encore 1 million de doses, un avion en provenance de Chine transportant des vaccins Sinopharm a atterri à Ezeiza [aéroport en Argentine]. Sur les 6,8 millions dont nous disposons, nous en avons déjà distribué 5 200 000.

Merci à l'équipe d'Aerolíneas Argentinas et à tous ceux et toutes celles qui ont fait en sorte que chaque Argentin et Argentine puisse recevoir un vaccin.

La côte chilienne dans le bassin du Pacifique a permis au pays de signer un accord de libre-échange avec la Chine, qui est devenue l'un des investisseurs principaux du Chili pour l'énergie et le lithium. De plus, la Chine est déjà le principal créditeur de la Bolivie, tandis que le Venezuela reçoit plus de Pékin que n'importe quel autre pays : les données d’Inter-American Dialogue [10] indiquent que les paiements dépassent les 62 milliards de dollars.

Quoi qu'il en soit, pour le moment, la diplomatie vaccinale chinoise semble fonctionner. « Dans dix ans, nous pouvons tous être sûrs de nous souvenir de qui nous a aidés pendant la crise du Covid-19. Était-ce Angela Merkel, Emmanuel Macron, ou John [Joe] Biden ? Non. La Chine est la seule à être venue en aide à l'Amérique latine et les pays de la région ont tous commencé à se plier aux quatre volontés de la Chine, non pas en raison de leurs idéologies communes mais dans l'optique de résoudre un problème sans précédent », déclare Enrique Dussel Peters [11], coordinateur du réseau universitaire latino-américain sur la Chine.

J'apprécie la réactivité du gouvernement chinois, ainsi que le dévouement des ministres @ItamaratyGovBr @ernestofaraujo , @minsaude Eduardo Pazuello et @Mapa_Brasil @TerezaCrisMS

D'autre part, une telle diplomatie de soft power peut aussi donner à la Chine un avantage à la fois politique et économique. Ainsi, Jair Bolsonaro [18] [fr], le président latino-américain qui a le plus résisté à l'assaut des investissements chinois, a renoncé à exclure Huawei [19] [fr] des enchères du réseau 5G du pays. Ce type d'investissement commercial est très convoité par les plus grands acteurs du marché des télécommunications, et de nombreux pays ont boycotté la firme basée à Shenzhen. Le revirement de Bolsonaro à propos de Huawei s'est déroulé quelques jours après que le Brésil a reçu des matières premières de Chine pour produire le CoronaVac au Brésil.

Qu'il s'agisse simplement de commerce ou d'une expansion géopolitique, le besoin criant de vaccins et l'absence des États-Unis pour s'assurer que les doses parviennent aux pays les plus pauvres avaient créé une marge de manœuvre permettant à la Chine de continuer son expansion. Étant engagée depuis des décennies auprès de l'Amérique latine, la Chine utilise la diplomatie du vaccin pour renforcer sa présence dans la région. Tout semble indiquer qu'après de nombreuses années à cultiver son influence en Amérique latine, la Chine semble désormais prête à endosser un rôle prépondérant dans la région.