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La police aurait coupé les dreadlocks d'une jeune femme rasta, et les Jamaïcains se demandent où en est leur émancipation

Catégories: Caraïbe, Jamaïque, Droit, Droits humains, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Histoire, Jeunesse, Médias citoyens, Religion

« [Pourquoi] célébrer l'émancipation alors que nous sommes toujours piégés ? » [1]

Les rastafariens revendiquent souvent le drapeau de l'Éthiopie de l'époque du règne de Haile Selassie comme symbole de leur foi. Photo [1] bdeCJ on Flickr, sous licence CC BY 2.0 [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndt.]

Il y a des vestiges douloureux de l'histoire coloniale de la Jamaïque, dont beaucoup sont liés aux droits humains, et que ses citoyens aimeraient avoir l'impression d'avoir laissés derrière eux. Indépendamment des lois archaïques de l'ère coloniale [3] qui restent en vigueur, il y a une bataille contre les attitudes obsolètes et discriminatoires [4], comme en témoigne la relation historiquement troublée entre les rastafariens et les forces de sécurité jamaïcaines.

Malgré les efforts pour réparer et guérir les blessures des injustices passées, notamment les excuses officielles [5] du Premier ministre Andrew Holness pour les attaques [6] notoires de la police et du personnel militaire contre la communauté rastafarienne de Coral Gardens en 1963, les Jamaïcains ont récemment été exaspérés par une autre forme de violence contre la communauté, après qu'une jeune femme ait  [7]affirmé [7] qu'un policier avait coupé ses dreadlocks dans un poste de police rural le 22 juillet.

Nzinga King, une étudiante en soins infirmiers de dix-neuf ans, et sa mère, Shirley McIntosh, ont déclaré que l'officier avait utilisé une paire de ciseaux pour couper les cheveux de Mlle King alors qu'elle était détenue au poste de police de Four Paths dans la paroisse sud de Clarendon [8] [fr]. Elle a été condamnée à dix jours de détention après avoir été interpellée pour non-port de masque et pour avoir fait preuve de “conduite désordonnée” lors d'une altercation avec un policier. Quatre jours plus tard, sa mère a payé son amende et Mlle King a été libérée. Les allégations ont rapidement fait la une des journaux [9] et provoqué une vague d'indignation dans les médias grand public et sociaux.

Une lettre [10] indignée [10] à l'éditeur du Jamaica Gleaner a rappelé aux gens l’ [11]incident de Coral Gardens [11] :

Emancipation and Independence remain a scam, a fleeting illusion, as are constitutional and human rights. Queen Nzinga King, the liberation movement has begun in this another ‘Bad Friday’ Coral Gardens that is unearthed all over again…The curriculum at all educational and training institutions, including the security forces, must include teaching history and human rights.

L'émancipation et l'indépendance restent une arnaque, une illusion passagère, tout comme les droits constitutionnels et humains. Reine Nzinga King, le mouvement de libération a commencé en cet autre « mauvais vendredi » de Coral Gardens qui refait surface encore une fois… Le programme de tous les établissements d'enseignement et de formation, y compris ceux des forces de sécurité, doit inclure l'enseignement de l'histoire et des droits humains.

Une affaire faisant l'objet d'une enquête

Le commissariat de police a réagi rapidement, promettant une enquête « juste et transparente », soulignant dans un communiqué [12] du 2 août :

The claims of Human Rights abuses made by the young woman and her mother are viewed by the High Command as very serious in nature and are, therefore, being treated as such. While investigations into the matter are ongoing, it must be stated categorically that the cutting of people’s hair — particularly that of Rastafarians — has NO place in the modern JCF [Jamaica Constabulary Force].

Les allégations d'atteintes aux Droits Humains formulées par la jeune femme et sa mère sont considérées par le Haut Commandement comme de nature très grave et sont donc traitées comme telles. Alors que les enquêtes sur la question sont en cours, il faut affirmer catégoriquement que l'acte de couper les cheveux des gens – en particulier celle des rastafariens – n'a AUCUNE place dans la JCF [Force de police jamaïcaine] moderne.

La Commission indépendante d'enquêtes (INDECOM), l'organisme chargé des enquêtes sur les abus commis par la police et l'armée, suit cette affaire, notant dans un communiqué [13] du 3 août :

INDECOM views the allegation, as expressed by the complainant in video footage, as a breach of rights as afforded to all citizens, under the Charter of Fundamental Rights and Freedoms.

L'INDECOM considère l'allégation, telle qu'exprimée par la plaignante dans une séquence vidéo, comme une violation des droits reconnus à tous les citoyens, en vertu de la Charte des droits et libertés fondamentaux.

Le Bureau du Défenseur public se [14]penche [14] également sur la question :

Le Bureau du Défenseur public a déclaré avoir ouvert une enquête sur une plainte selon laquelle Nzinga King, une rastafarienne de 19 ans, a eu les cheveux coupés de force par une policière.

Les réseaux sociaux répondent

Sur Twitter, il y a eu des explosions de fureur et de sympathie pour Mlle King :

Notre cœur va à #NzingaKing aujourd'hui. Nous espérons que l'esprit de la grande reine Nzinga d'Angola la portera à travers cette épreuve . #Jamaïque … #Jamaïque 2021. …… Soupir
J'ai entendu dire qu'il y avait un rapport d'enquête. J'espère sincèrement que l'État a fourni un soutien psychologique à cette jeune femme

Étant donné que la nouvelle de l'incident a surgi au cours du week-end du Jour de l’émancipation [21], un utilisateur de Twitter a laissé entendre que le concept de liberté restait insaisissable :

Ce que @JamaicaConstab a fait à #NzingaKing [est] tellement honteux et dégoûtant. Aucune excuse du tout. Pourtant, nous sommes censés célébrer l'Emancipation quand nous sommes encore piégés

La militante de la société civile Carol Narcisse s'est fâchée  :

C'est Nzinga King dont Babylone a jugé bon de couper les locks, dont les droits à la religion, à la liberté d'expression, etc. ne signifiaient rien. Elle a défendu ses droits avec véhémence et a été arrêtée, accusée, condamnée et tondue. A votre place, peuple noir. Qui pensez-vous être ? L'émancipendance [sic] est une illusion.

Enraciné dans le colonialisme

Un groupe rastafari basé à Clarendon souhaite [28] que la policière, qui n'a pas encore été nommée, soit démise de ses fonctions pendant la durée de l'enquête. Le chef du groupe, Ras Ivi Tafari, a demandé :

How can Jamaica put up Bob Marley’s image to attract foreigners to the country when Rastas in Jamaica are being disenfranchised and disrespected? It looks like some of these police have that old trend in their mind that, when them see Rasta, them must think ‘trim and brutality’.

Comment la Jamaïque peut-elle mettre en avant l'image de Bob Marley pour attirer des étrangers dans le pays alors que les rastas jamaïcains sont privés de leurs droits et ne sont pas respectés ? Il semble que certains de ces policiers aient en tête cette vieille tendance selon laquelle, lorsqu'ils voient Rasta, ils doivent penser à « rasage et brutalité ».

À la veille de la fête de l'indépendance de la Jamaïque, le 5 août, les rastafariens de Montego Bay ont [29]organisé [29] une manifestation de rue, tandis que Mercia Frazer, la mère de Mario Deane, décédé [30] en 2014 après un violent passage à tabac par la police, a manifesté [31] son soutien aux rastafariens. Chronixx, un chanteur de reggae populaire, qui est lui-même rastafari, a [32]rendu [32] visite à Mlle King et à sa famille après l'incident. Partageant ses réflexions dans une vidéo [33] sur sa page Instagram, il a suggéré que le comportement de la policière était enraciné dans le colonialisme.

L'idée de la violation des droits religieux de Mlle King – elle aurait laissé pousser ses dreadlocks depuis son enfance – a été reprise dans la réaction de la ministre de la Culture Olivia “Babsy” Grange, qui a noté que laisser pousser [34] ses cheveux était une “pratique religieuse sacrée” pour la foi rastafarienne, dans le cadre de leur “vœu nazaréen” :

Grange accueille favorablement l'ouverture d'une enquête sur la coupe de cheveux présumée d'une femme rasta par la police

Pour de nombreux Jamaïcains, cela ressemblait fort à un énième exemple de contrôle des cheveux noirs. Au fil des années, il y a eu des conflits réguliers concernant les cheveux naturels et les dreadlocks ; des enfants ont même été [37]interdits [37] d'école à cause de leurs choix de coiffure – et certains internautes n'arrivaient pas à croire que cela se produisait encore :

Nous sommes en 2021. @JamaicaConstab coupe toujours les cheveux des rastafariens. Allez chercher la logique dans tout ça. #nzingaking

Kristen Gyles, étudiante diplômée à l'Université des Antilles, a [40]suggéré [40] que cette tendance illustrait le rejet des Jamaïcains de leur propre identité culturelle :

The colonialised Jamaican mind is truly a force to be reckoned with. It has parents scolding their children for speaking patois, high schoolers stocking their book-less school bags with cake soap, and schools turning away students for wearing ‘chiney bumps’ [a Bantu knot-inspired hairstyle]. Unfortunately, we are still suffering the lingering effects of our enslavement, which seems to have crippled our sense of identity. This manifests itself in the disdain we have for that which characterises our heritage and culture.

Some time ago I remember overhearing a conversation between two men within a particular corporate space. One boldly told the other that his father told him from early that as his child, there are three types of people he should forget about ever becoming: 1) a thief; 2) a homosexual; and 3) a Rasta.

L'esprit jamaïcain de colonisé est vraiment une force avec laquelle il faut compter. Il y a des parents qui réprimandent leurs enfants parce qu'ils parlent patois, des lycéens remplissent de savonnettes leurs sacs d'école dépourvus de livres, et des écoles refusent des élèves parce qu'ils portent des « bosses chinoises » [une coiffure inspirée de la pratique bantoue]. Malheureusement, nous souffrons toujours des effets persistants de notre asservissement, qui semble avoir paralysé notre sens de l'identité. Cela se manifeste dans le mépris que nous avons pour ce qui caractérise notre patrimoine et notre culture.

Il y a quelque temps, je me souviens avoir entendu une conversation entre deux hommes dans les locaux d'une certaine entreprise. L'un a hardiment dit à l'autre que son père lui avait dit très tôt qu'étant son enfant, il y avait trois types de personnes qu'il ne devrait jamais s'aviser de devenir : 1) un voleur ; 2) un homosexuel ; et 3) un Rasta.

Pendant ce temps, certaines personnes qui se présentent comme des connaissances de Mlle King ont réfuté [41] toute l'histoire, affirmant qu'elle s'était coupé les cheveux elle-même. À ce jour, leur histoire n'a pas reçu beaucoup de crédit.

Alors que le pays attend les résultats des enquêtes sur la question, beaucoup de gens se sont demandé si, selon les mots du héros national jamaïcain, Marcus Garvey [42] [fr], ils étaient entièrement « émancipés de l'esclavage mental ».