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Sur Netflix, la série d'animation « Trese » nous transporte dans l'univers des créatures surnaturelles philippines

Catégories: Asie de l'Est, Philippines, Arts et Culture, Film, Médias citoyens
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Capture d'écran de la page Netflix présentant Trese.

[Tous les liens renvoient à des pages web en anglais, ndlt.]

Trese est l’adaptation en animation par Netflix [1] de la bande dessinée éponyme créée par Kajo Baldisimo et Budjette Tan. Dans une ville rongée par d'effroyables crimes, les violences policières, la corruption gouvernementale, les expulsions des familles défavorisées et d'autres réalités sociales contemporaines, des êtres surnaturels issus de la mythologie philippine classique font leur apparition.

Cette série de six épisodes sortie en 2021 a pour personnage principal Alexandra Trese, policière et shaman. Ses missions : résoudre les crimes commis par des êtres mythiques et défendre le royaume humain des intrusions venues d'ailleurs.

Comme on pouvait s'y attendre, Trese a attisé l'intérêt des citoyens philippins curieux de savoir comment la série portait leurs légendes à l'écran.
Les avis sont mitigés concernant la manière dont elle s'approprie le folklore philippin. Le journaliste DLS Pineda s'en prend à sa représentation des créatures mythiques :

C'est bon, je peux y aller ?

Le problème de Trese est qu'il confond folklore et mutants aux pouvoirs surhumains. Il n'y a aucun lien avec la réalité. Lorsqu'il y en a, ça ne fonctionne pas et c'est un échec cuisant. Le folklore explique l'inexplicable, il rend l'inexplicable explicable. Avec Trese ce n'est pas le cas.

Je pense que cette opinion n'est juste que parce qu'elle part d'un point de vue qui n'est pas nécessairement celui des réalisateurs. Je veux dire est-ce que ceux-ci souhaitaient détailler le folklore ou réaliser une série d'animation qui déchire, inspirée du folklore ?

Bien que ta critique soit tout à fait légitime, l'histoire originale m'a fait l'effet d'un croisement entre les légendes urbaines des années 90 et une série d'enquêtes policières centrées autour d'un personnage principal. Espérons que la mythologie philippine sera davantage présente dans une deuxième saison, avec un scénario s'aventurant au-delà de la bédé originale.

Sortie en 2005, la bande dessinée Trese compte à ce jour sept volumes tous couronnés de succès aux Philippines [5] et acclamés dans le monde entier [6]. En 2013, les éditions Akashic Books publient même un chapitre de la série dans leur recueil de nouvelles Manila Noir [7], témoignant ainsi de son importance culturelle.

Dans Trese, les croisements entre le paranormal et la mythologie philippine [8] sont fréquents : de Nuno, semblable à un nain et habitant une bouche d'égout, à Tikbalang, être à moitié cheval fonçant sur l'autoroute, en passant par le monstrueux Aswang qui approvisionne en chair humaine les marchés de Manille, la capitale.

Ce fascinant mélange d’univers gothique et de film noir se retrouve autant dans les enquêtes policières, résolues par magie et de manière inexplicable, que dans une vision sombre de la vie urbaine marquée par le crime et la corruption.

Certains internautes considèrent que Trese condamne les violences policières :

Trese dénonce les violences policières aux Philippines. Je le répéterai jusqu'à ce que justice soit faite aux innocents #EndPoliceBrutality #StopTheKillingsPH

D'autres lui reprochent d'excuser la brutalité policière en ressortant la formule du « bon flic » :

Trese est… sans plus. C’était sympa et rafraîchissant de voir le folklore philippin devenir réalité et de pouvoir comprendre le contexte qui entoure certains mots locaux, mais la propagande pro-flic m'a vraiment dégoûtée et vu le niveau de brutalité policière ici, je doute que ce soit une bonne idée.

Ma petite pensée sur la série Trese. Je n'ai pas apprécié tout le temps qu'elle passe à compatir avec les « bons » policiers. Certes, ils ont abordé les violences policières et les flics «  ripoux » du système, mais ça semblait seulement pour — [tweet 2: — mettre en valeur le capitaine Guerrero, présenté en contraste comme un « bon » policier].

Selon le défenseur des droits humains Philip Jamilla, Trese représente le sentiment d'insécurité ressenti par la classe moyenne citadine face aux menaces pesant sur la sécurité publique, transposées dans la série en menaces surnaturelles :

Retour au maintien de l’ordre. Pour conserver l’ordre social, le maintien de l’ordre consiste souvent à sécuriser les angoisses latentes en les représentant sous la forme de menaces existentielles à l’ordre public. Alexandra Trese joue ce rôle d’une police surnaturelle gardant ces monstres à distance (sans oublier son travail avec les policiers)

L'écrivain Emil Hofileña constate que la série a fait quelques concessions au niveau du récit et de la production afin d'attirer un public international.

So these six episodes can’t stop at individual mysteries. They must promise audiences an epic fantasy story that can span multiple seasons, and several voice dubs have to appeal to demographics across different continents.

Ces six épisodes ne peuvent pas être juste des intrigues centrées sur un personnage. Ils doivent proposer au spectateur un récit fantastique épique qui se développera au fil des saisons, et les nombreux doublages doivent plaire à un large public sur des continents différents.

Le journaliste Alec Joshua Paradez a commenté la situation des œuvres d'animation aux Philippines :

Bagaman malakas ang lukso ng dugo at #PinoyPride, ang Base Entertainment, na siyang namahala sa produksiyon ng Trese, ay isang film company na nakabase sa Jakarta at Singapore. Hindi naman ito kagulat-gulat, dahil sa pagdidiin na bata pa ang industriya ng animation sa bansa, kung masasabi ngang industriya ito.

Nitong nagdaang mga panahon ay malakas ang tulak para kilalanin ang animation bilang nakabubuhay na career, na ligtas sa pandemya, ngunit hindi natatalakay ang katotohanang kalakhan ng mga animators sa Pilipinas ay outsourced ng mga dayuhang kompanya.

Malayo ang agwat ng animation ng Trese kumpara sa mga anime na inilalabas ng Japan dahil sa mahaba nilang tradisyon ng animation. Kinilala naman ito ng mga tagasubaybay: may pagtitimpla sa ekspektasyon kaya itinuon ng marami ang pagtanaw sa patuloy na pag-unlad nito sa mga susunod pang panahon.

Bien qu'ayant certainement inspiré la #PinoyPride, Base Entertainment, qui a produit Trese, est une société basée à Jakarta et Singapour. Ce n'est pas surprenant, étant donné que le secteur de l'animation aux Philippines n'en est qu'à ses balbutiements, si on peut vraiment parler de secteur économique.

Ces dernières années il y a eu une forte pression pour considérer l'animation comme un choix acceptable de carrière, à l'abri de la pandémie, mais on passe sous silence le fait que la plupart des animateurs aux Philippines sont une main d'oeuvre sous-traitée par des sociétés étrangères.

Il y a un abîme entre l'animation de Trese et les animes produits au Japon, ceux-ci bénéficiant d'une longue tradition en ce domaine. Les spécialistes reconnaissent que l'écart diminue entre les niveaux d'exigence, d'où le fait que nombre de personnes se concentrent sur l'évolution continue de la série à l'avenir.

Enfin, malgré le battage médiatique et les avis mitigés, beaucoup pensent que Trese représente un espoir pour le secteur de l'animation philippine :

C'est tellement inspirant et encourageant de penser que trese sur netflix va ouvrir autant de portes aux artistes et aux écrivains philippins qui rêvent de voir leurs œuvres publiées et/ou adaptées?je leur suis tellement reconnaissant d'ouvrir la voie??