En Azerbaïdjan, une manifestation pour les droits des femmes devant le ministère de l'Intérieur

Un cercueil symbolique a été placé devant le ministère de l'Intérieur à Bakou pour représenter les récentes victimes de violences domestiques. Capture d'écran d'une vidéo de Meydan TV.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en anglais, ndlt.]

Un cercueil arborant le noms des victimes de violences domestiques a été déposé à l'entrée du ministère de l'Intérieur à Bakou, le 30 juillet. Cette installation a été organisée par trois membres d'une association féministe locale dans le but de lutter en Azerbaïdjan contre la violence croissante liée au genre. Au moins cinq femmes ont été tuées dans le pays en juillet dans le cadre de violences familiales.

La dernière victime [fr], Nargiz Mustafayeva, est morte étranglée par son mari le 25 juillet. Les militantes luttant pour l'égalité des genres affirment [fr] que la loi azerbaïdjanaise échoue à assurer la sûreté et la sécurité des femmes en situation de violence. Selon l'une des organisatrices de la manifestation, le cercueil symbolique, portant les noms des cinq victimes mortes le mois précédent, a été placé devant le bâtiment gouvernemental dans un effort de mettre en lumière les conséquences de cette inaction.

Des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur ont rapidement retiré le cercueil, tandis que la police arrêtait les trois femmes, avant de les relâcher peu après les avoir interrogées au commissariat local.

Les militantes affirment que, lorsque les survivantes de violence demandent de l'aide aux forces de l'ordre, la première réaction des agents est souvent de chercher une réconciliation, ce qui peut les mettre encore plus en danger. « En Azerbaïdjan, lorsque les victimes de violences s'adressent à la police, celle-ci essaie de les réconcilier avec leur agresseur et les décourage de porter plainte. Résultat : une femme meurt, » a expliqué l'une des participantes à la manifestation, Aytaj Aghazade, à OC Media.

Cependant, Elshad Hajiyev, directeur de la communication au ministère de l'Intérieur, a rejeté ces arguments dans un entretien [az], non exempt toutefois de quelques controverses, accordé aux journalistes suite à la manifestation :

De manière générale, les déclarations faites ici [lors de la manifestation] n'ont aucun fondement. Nous enquêtons sur toutes les affaires de meurtres en collaboration avec toute autre autorité gouvernementale concernée. Il est impossible qu'une affaire ne suscite aucune action. Le personnel du ministère de l'Intérieur applique les normes et procédures existantes selon la législation en vigueur. Je peux vous assurer qu'aucune des affaires/plaintes reçues n'a été prise à la légère.

Comme vous le savez pertinemment, notre société possède certaines valeurs morales. Nous ne pouvons donc pas mettre un agent en faction devant chaque maison. Nous ne pouvons pas non plus publier tous les renseignements dont nous disposons sur les affaires de violences – des enfants et d'autres membres de la famille sont également concernés. Par conséquent, nous devons aussi tenir compte des valeurs morales. C'est donc naturel dans de telles circonstances que les policiers s'efforcent d'aider le couple à reconstruire sa relation.

La police n'intervient que dans les affaires où il y a une victime ou des marques de violence. Cependant, tout dépend des enquêtes menées non seulement par la police, mais aussi par les autres institutions concernées. Si nous avons des preuves et si un citoyen a vraiment été victime de pression, et si [cette pression] continue et qu'un examen médical révèle de réelles blessures, alors il s'agit d'une violation des droits. Ces victimes-là sont alors placées dans des refuges et leurs droits sont donc protégés.

En réponse à une question, Hajiyev a également refusé de considérer que les féminicides sont un sujet politique. « Dire qu'ils relèvent de la politique, c'est en soi une déclaration politique. Cela n'existe pas en Azerbaïdjan. De telles affirmations ne reposent ni sur des faits ni sur des preuves quelconques. » Les militantes affirment toutefois que la mort des cinq victimes le mois dernier dépeint une réalité bien différente.

Certaines activistes font campagne pour que l'Azerbaïdjan adopte la Convention d'Istanbul, un accord international visant à éliminer les violences faites aux femmes.

Gulnara Mehdiyeva, l'une des organisatrices ayant participé à la manifestation, a affirmé à OC Media que ces meurtres étaient une affaire politique et découlaient d'un manque de mesures légales et protectrices :

Nous estimons que les meurtres de femmes sont politiques et qu'ils résultent d'un manquement à la sécurité que l'État doit assurer aux femmes, de lacunes dans l'aide dont les victimes ont besoin, et de l'indifférence policière face à leurs plaintes. C'est pourquoi nous avons manifesté devant le ministère.

Selon le Comité des Statistiques de la République d'Azerbaïdjan, au moins 1 180 cas de violences conjugales envers des femmes ont été constatés en 2020. Les militantes affirment que ce nombre est sans doute plus élevé, étant donné la stigmatisation de ces violences liées au genre en Azerbaïdjan, mise en lumière dans un rapport publié en 2020.

Nombre de militantes luttant pour sensibiliser l'opinion aux féminicides et aux violences domestiques ont elles-mêmes subies violences et mauvais traitements. Cette année, un grand nombre de femmes a été la cible de ce qui semblait une offensive coordonnée de harcèlement en ligne. La police et les fonctionnaires locaux n'ont jamais autorisé les militantes à organiser une marche pour la Journée internationale des femmes, ce qui pousse certaines à mettre en doute la détermination gouvernementale à éliminer les inégalités et les violences faites aux femmes.

Cinq jours après la déclaration d'Elshad Hajiyev assurant que l'État réagissait aux plaintes pour maltraitance, Sevinc Maharramova, 23 ans, qui avait cherché de l'aide en mars dernier après avoir accusé son mari de violences conjugales, aurait été tuée par ce dernier. Elle a été décapitée.

Alors que des activistes l'avaient aidée avant sa mort, les forces de l'ordre locales avaient refusé de lui venir en aide. Les militantes locales lui avait trouvé un refuge, un avocat et du travail. Dans une vidéo en direct [désormais indisponible, ndlt.] que Gulnara Mehdiyeva a partagé sur Facebook au sujet de la mort de Sevinc Maharramova, elle a souligné que la police n'avait mené aucune enquête suite à la plainte déposée en mars.

La police n'a jamais arrêté son mari pour les violences physiques qu'elle a subies. Lorsque son avocat a finalement pu lancer une procédure pénale pour des faits de torture, le mari ne s'est jamais présenté devant le tribunal. Il a simplement appelé pour dire qu'il était positif au covid, sans fournir aucune preuve. Alors que Sevinc Maharammova se remettait peu à peu, elle m'a appelée un jour pour dire qu'elle ne supportait plus cette situation et que, pour les enfants, elle retournait chez son mari. Il s'est servi de ses enfants contre elle.

Cet billet a été actualisé le 3 août 2021 pour inclure le cas le plus récent de violence familiale.

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