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Oppression croissante en Iran alors qu'Ebrahim Raisi entame son mandat présidentiel

Catégories: Iran, Droits humains, Gouvernance, Médias citoyens, Politique, The Bridge

Ebrahim Raisi a voté pour l'élection présidentielle à la mosquée Ershad, le 18 juin 2021. Photo de Maryam Kamyab, sous licence [1](CC BY 4.0) [2]

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

Par Naveed Sadeghi

Le huitième président de la république islamique d'Iran est entré en fonction le 5 août.

Ebrahim Raisi, ancien président de la Cour suprême et chef de l'appareil judiciaire du régime, a remporté l'élection présidentielle [3]du 19 juin avec une très large avance.

De nombreux observateurs, tant à l'étranger qu'en Iran, n'ont guère été surpris par sa victoire. Le régime avait pris en amont toutes les mesures possibles pour s'en assurer. Quelques semaines avant les élections, le Conseil iranien des gardiens, un organe de réglementation contrôlé par le guide suprême Ali Khamenei, a promptement et unilatéralement écarté [4] du scrutin la grande majorité des opposants de Raisi, y compris de nombreux candidats réformistes populaires qui avaient obtenu le soutien du peuple au cours des mois précédents.

Raisi a plus été mis en place qu'il n'a été élu. Les ayatollahs le considéraient comme le candidat idéal, de part ses références en tant que parfait adepte du régime. En effet, aucun homme vivant aujourd'hui n'a sans doute davantage contribué à la machine gouvernementale iranienne qu'Ebrahim Raisi. Il a débuté sa carrière à l'âge de 20 ans en intégrant [5]le système judiciaire du gouvernement naissant, une organisation qu'il dirigerait un jour. Après avoir pris part au coup d'Etat de 1979 qui a chassé le Shah [6] [fr] du pouvoir, Raisi aurait été repéré par de proches collaborateurs du fondateur de la Révolution, Ruhollah Khomeini [7] [fr]. Il a rapidement été nommé à des postes prestigieux de procureur au niveau municipal puis régional, jusqu'à être nommé avant même ses trente ans procureur adjoint de Téhéran, la capitale du pays.

Ces premières années sont un échantillon de ce que sera la méthode Raisi tout au long de sa vie : se servir des armes de l'état pour réprimer le peuple iranien. Il a personnellement supervisé d'innombrables affaires impliquant des dissidents politiques et des militants opposés au régime, prononçant des peines sévères allant jusqu'à des ordonnances d'exécution. Plusieurs témoins oculaires [8] attestent que Raisi était lui-même présent lors de la torture et la mutilation de prisonniers politiques incarcérés par son système judiciaire, dont de nombreuses femmes et enfants. Le point culminant de sa carrière de procureur sera son crime le plus infâme : sa participation au massacre de 1988, [9]au cours duquel des milliers de prisonniers appartenant à des groupes opposés au régime ont été exécutés en secret sur une période plusieurs semaines. Selon les groupes de défense des droits humains qui ont enquêté sur l'incident, Raisi, alors âgé de 28 ans, faisait partie du groupe de quatre hommes [10] qui a prononcé chaque condamnation à mort. Selon des déserteurs du gouvernement iranien [11], le massacre a fait près de 30 000 morts ; des milliers d'autres personnes ont été torturées et soumises à diverses formes de violence, laissant un grand nombre d'entre elles handicapées à vie.

Avec ce bilan, on comprend pourquoi les ayatollahs ont choisi Raisi pour diriger le gouvernement iranien. En bref, il est devenu expert dans l'utilisation du pouvoir étatique pour écraser la dissidence et réprimer les activités antigouvernementales. Comme l'explique l’Organisation des moudjahiddines du peuple [12] [fr] (PMO), le groupe d'opposition iranien basé à Paris, Ebrahim Raisi a été directement impliqué [13] dans chaque cas de répression étatique au cours des trente dernières années en Iran.

Ebrahim Raisi a voté pour l'élection présidentielle à la mosquée Ershad, le 18 juin 2021. Photo de Maryam Kamyab, [1] sous licence (CC BY 4.0) [2]

Rien que ces dernières années, alors que les mouvements de protestation à l'échelle nationale prenaient de l'ampleur parmi le peuple iranien, Raisi chapeautait la collusion entre le pouvoir judiciaire et les forces de sécurité dans le but de réprimer brutalement les activités antigouvernementales. En 2009, il était l'instigateur du scandale de Kahrizak, [14] qui a vu des militants participant à des manifestations nationales contre le trucage présumé des élections être emprisonnés et torturés à la prison de Kahrizak, dans le nord de l'Iran. Il a fallu attendre 2016 pour que le régime reconnaisse officiellement l'incident.

En tant que chef de la magistrature, poste qu'il a occupé jusqu'à son élection à la présidence, Raisi a personnellement supervisé des centaines d'exécutions : 251 en 2019, 267 en 2020, et de nombreuses autres au cours de l'année écoulée. Comme l'a rapporté [15]Amnesty International, sous Raisi, « la peine de mort était de plus en plus utilisée comme une arme de répression politique contre les manifestants dissidents et les membres des minorités ethniques. » Un cas particulier qui a suscité un tollé international a été l’exécution brutale [16] du sportif et lutteur iranien, Navid Afkari, condamné pour « guerre contre le régime » en raison de son implication dans des manifestations antigouvernementales.

En 2019, lorsque l'Iran a connu sa plus grande vague de troubles depuis la Révolution, Raisi était en première ligne pour assurer la répression violente des groupes militants. Il a collaboré avec des unités policères et paramilitaires, leur donnant carte blanche pour  réprimer les manifestations [17] et dissuader toute opposition supplémentaire, par tous les moyens nécessaires. Suivant ses directives, des milliers d'hommes, femmes et enfants ont été arrêtés lors de rafles de masse, et nombre d'entre eux ont été soumis à la torture, à d'autres formes de harcèlement et de violence, ou victimes de disparitions forcées.

Le signal envoyé par « l'élection » de Raisi est clair : le régime compte intensifier ses tactiques répressives. Comme l'a récemment publié [18] le PMO, le régime doit maintenir l'oppression puisqu'il ne connaît « aucun autre moyen de maîtriser les dissidents ». Les Ayatollahs craignent en permanence un autre soulèvement [19], rendant la violence et la brutalité de l'état absolument nécessaires.

Le régime a clairement fait connaître sa position. Et, avec l'ascension d'Ebrahim Raisi au pouvoir, la répression du régime n'en sera que plus féroce.

Naveed Sadeghi est un journaliste indépendant des droits humains basé à Londres, spécialisé dans les affaires de l'Iran.