Pourquoi Twitter a-t-il soutenu #EndSARS au Nigeria et non #FixTheCountry au Ghana ?

La société civile, et non les gouvernements ou les entreprises technologiques, devrait protéger la liberté d'expression en ligne

Accra Central, Accra, Ghana. Image de Muntaka Chasan publiée sur Wikimedia commons, 14 janvier 2019 (CC BY-SA 4.0).

[A moins d'indication contraire tous les liens mènent vers des sites en anglais]

Au Nigeria, lorsque les sociétés de médias sociaux ne se sont pas conformées aux demandes des gouvernements, ceux-ci ont eu recours à des modèles de contrôle autoritaires pour restreindre l'engagement civique et démocratique dans l'espace public.

Lorsque ces modèles sont mis en place, certaines entreprises de médias sociaux succombent ou résistent. Twitter, face à la répression gouvernementale de l'expression en ligne au Ghana et au Nigeria, a choisi de capituler dans un cas et de résister dans un autre. Twitter peut-il continuer à défendre les droits numériques et la liberté d'expression en Afrique ?

Twitter a choisi son camp dans la politique nigériane

La décision de Jack Dorsey de prendre parti dans la politique nigériane a rendu la société de médias sociaux impopulaire auprès du gouvernement du président Buhari. Lors de la manifestation #EndSARS au Nigeria, M. Dorsey a tweeté pour soutenir la manifestation et invité les gens à faire des dons pour mettre fin aux brutalités policières en cours contre les Nigérians. Le hashtag #EndSARS a été amplifié par Twitter, atteignant des millions d'utilisateurs.

Lire également notre couverture spéciale : #EndSARS: A youth movement to end police brutality in Nigeria (#EndSARS : Un mouvement de jeunesse pour mettre fin à la brutalité policière au Nigeria)

Au Ghana, une manifestation non partisane similaire utilise le hashtag #FixTheCountry. Le mouvement met en évidence les défis auxquels sont confrontés les jeunes Ghanéens, notamment un taux de chômage élevé, une corruption croissante et la brutalité militaire contre les manifestants et les militants sociaux.

Le 3 mai 2021, un jeune influenceur des réseaux sociaux, Joshua Boye-Doe, a tweeté sa frustration, en utilisant le hashtag #FixTheCountry, à propos des jeunes diplômés qui ne trouvent pas d'emploi après plusieurs années d'études.

Après [avoir terminé le] NSS [National Service Scheme], de nombreuses personnes que je connais sont toujours à la maison parce qu'elles n'ont pas pu trouver d'emploi…

Son tweet a trouvé un écho auprès des jeunes Ghanéens sur Twitter et a abouti à un effort coordonné pour organiser une manifestation à Accra, la capitale. Cette tentative a été stoppé net par la police et une ordonnance du tribunal de la Cour suprême du Ghana.

De jeunes Ghanéens ont à M. Dorsey, lui demandant de soutenir la manifestation #FixTheCountry comme avec #EndSARS, mais ni lui ni Twitter n'ont répondu. Au lieu de cela, le compte Twitter de l'initiateur du hashtag a été suspendu alors que celui sponsorisé par le gouvernement #FixYourself était en sujet tendance sur la plateforme.

Pourquoi Twitter était-il politiquement actif dans #EndSARS au Nigeria et non dans #FixTheCountry au Ghana ?

La police a restreint les manifestations #OccupyFlagStaffHouse #OccupyGhana de 2014. Image de Dieu-Donné Gameli, publiée sur Wikimedia Commons, 1er juillet 2014 (CC BY-SA 3.0).

La population du Nigeria dépasse les 200 millions, tandis que celle du Ghana est inférieure à 40 millions. Ce pays ne compte qu'un petit nombre d'utilisateurs de Twitter, alors que le Nigeria contribue à l'expansion mondiale du réseau avec quelque trois millions d'utilisateurs actifs par mois, total le plus élevé d'Afrique. Si Twitter a du mal à établir de bonnes relations avec le gouvernement nigérian en vue de pénétrer le plus grand marché d'Afrique, alors la solution est de laisser les citoyens [utilisateurs] tomber amoureux du réseau social.

La décision de Twitter, telle que divulguée dans le blog de l'entreprise, d'ouvrir un bureau au Ghana, était basée sur le fait que le pays est un « champion de la démocratie, un partisan de la liberté d'expression, de la liberté en ligne et de l'Internet libre ». Le Nigeria, dont le marché est plus important que celui du Ghana, a ferraillé avec Twitter qui, contrairement à Facebook, n'était pas dans les petits papiers du gouvernement de Buhari, qui a interdit la plateforme en juin.

Le Ghana, cependant, n'a pas un bilan impeccable en matière de droits humains, de sorte que le blog n'explique pas pleinement pourquoi Twitter a choisi ce pays plutôt que le Nigeria pour son bureau. Au Ghana, des journalistes et des militants sociaux ont été agressés et tués pour avoir manifesté ou s'être exprimé contre un gouvernement qui bafoue leur liberté d'expression. Le président du Ghana, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, et le corps législatif ont publiquement refusé de respecter les droits humains des groupes minoritaires, y compris la protection des droits de la communauté LGBTQ. Le Parlement du Ghana, dirigé par le Président du Parlement, travaille actuellement sur une loi visant à criminaliser les activités de cette communauté.

Bien que la raison n'en soit pas claire, les actions de Twitter suggèrent que l'entreprise ne veut pas s'immiscer dans la politique intérieure du Ghana comme il l'a fait au Nigeria, même si cela signifie s'abstenir de défendre les droits numériques des citoyens. De plus, rester au Ghana protège Twitter de la politique arbitraire et capricieuse du gouvernement nigérian, couplé avec un environnement commercial difficile. En outre, la mise en place du hub africain au Ghana permet toujours à Twitter d'accéder au marché nigérian et à son expertise technologique.

Les organisations de la société civile doivent collaborer pour protéger la liberté d'expression

Les organisations de la société civile sont engagées dans une bataille juridique avec le gouvernement nigérian afin d'annuler la décision de suspendre Twitter, qui sert d'espace civique aux citoyens pour dialoguer. Le récent procès, qui s'est tenu devant le tribunal de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et dont le Projet sur les droits et la responsabilité socio-économiques (SERAP) est à l'origine, a statué que le Nigéria ne pouvait pas arrêter ou poursuivre des personnes ou des entreprises qui contournent l'interdiction. Ce cas montre que les organisations de la société civile peuvent devenir une entité unifiée et puissante qui tiendrait Twitter et le gouvernement responsables du respect des droits numériques des citoyens et de la garantie d'un Internet libre en Afrique de l'Ouest.

Twitter a déclaré avoir contacté le gouvernement nigérian dans le but d'avoir « une discussion ouverte afin de répondre aux préoccupations mutuelles et de rétablir le service ». Le gouvernement a exprimé sa volonté de discuter avec l'entreprise.

En permettant à Twitter de négocier seul avec le gouvernement pour discuter des questions concernant la restauration de l'accès à la plate-forme et la liberté d'expression au Nigeria, le modèle commercial des sociétés de médias sociaux pose un conflit éthique. Lorsque ces entreprises prévoient de perdre une grande partie de leur base d'utilisateurs en raison des politiques restrictives du gouvernement, elles s'y conforment au détriment des droits numériques de leurs citoyens.

Après une récente réunion entre Twitter et le gouvernement du Nigeria pour régler leurs différends, le porte-parole gouvernemental a déclaré qu'ils étaient d'accord sur certains points, y compris que Twitter accepte de créer un bureau au Nigeria en 2022. Cette demande pourrait être une tactique du gouvernement pour pouvoir réprimer les droits numériques des citoyens, car avoir un bureau local soumet les employés de Twitter à la loi locale. Une telle demande a été faite à Twitter en Inde afin que le gouvernement ait accès au personnel local qu'il peut tenir responsable.

Dans ce pays, également crucial pour la stratégie d'expansion mondiale de Twitter, ce dernier n'a pas pu résister aux requêtes de suppression de compte du gouvernement indien. Au contraire, il s'est conformé à plusieurs demandes de suspendre définitivement environ 500 comptes et a supprimé les tweets critiques à l'égard du gouvernement.

Mais Twitter n'est pas le seul coupable.

Facebook est un complice historique [fr] lors des tentatives visant à réduire au silence les militants des droits humains. Il a censuré et signalé [fr] le contenu #EndSARS nigérian, l'estampillant « fake news », ce qui n'est pas surprenant, car Facebook a consolidé ses relations avec le gouvernement du Nigéria pour dominer le marché, suite à la deuxième visite de Mark Zuckerberg au président nigérian Buhari.

Lorsque le gouvernement du Nigéria introduira des mesures plus strictes (un nouvel ensemble de règles sur les médias sociaux obligera ces sociétés à s'enregistrer au Nigéria), la défense par Twitter d'un Internet libre et de la liberté d'expression au Nigéria sera affaiblie.

Si les groupes de la société civile veulent s'assurer qu'au Nigeria les négociations du gouvernement et de Twitter ne violent pas leurs droits humains, ils devront collaborer et obtenir un soutien politique de leurs positions. Ils devront également proposer de meilleures résolutions, en utilisant des moyens légaux afin de protéger les droits des citoyens.

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