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L'Asie du Sud endeuillée par la disparition de l'icône féministe indienne, Kamla Bhasin

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Inde, Pakistan, Développement, Droits humains, Education, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Liberté d'expression, Littérature, Manifestations, Médias citoyens, Relations internationales

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Kamla Bhasin lors d'une conférence [2] [fr] TEDx MSIT en 2017. Photographie via Flickr réalisée par TEDx MSIT [3]. Sous licence NC-ND 2.0 [4].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Kamla Bhasin, pionnière du mouvement pour les droits des femmes en Asie du Sud, a rendu son dernier souffle [5] le samedi 25 septembre 2021, à New Delhi, en Inde. Elle avait 75 ans et un cancer lui avait été diagnostiqué quelques mois plus tôt. Elle est célèbre pour son féminisme, sa plume, son sens de l'organisation, ses actions de protestation, sa défense de la laïcité et ses connaissances en sciences sociales. Elle était considérée comme l'une des meilleures formatrices en matière de parité dans la région [6] et une icône des droits des femmes. Au cours des cinq décennies [7] où elle a œuvré dans les domaines des droits des femmes, du développement humain, de la paix et de la démocratie, elle a formé et inspiré des milliers de féministes dans de nombreux pays d'Asie du Sud. Les militants l'ont saluée sur les réseaux sociaux et ont exprimé leur tristesse face à sa disparition.

Khushi Kabir, militante bangladaise des droits humains, lui a rendu hommage sur Twitter :

Notre très chère amie, notre collègue, la plus merveilleuse des personnes, Kamla Bhasin, nous a quittés à 2h45 du matin. Il y a trois mois jour pour jour, on lui avait diagnostiqué un cancer. Ayant touché tant de personnes de manière si constructive, Kamla Bhasin continue à vivre en nous et parmi nous. Gloire à toi, Kamla
— Khushi Kabir (@KhushiKabir) 25 septembre, 2021

Cinq brillantes décennies de travail

Kamla Bhasin a vu le jour le 24 avril 1946 dans le village de Shaheedanwali [10], situé dans l'actuel Pakistan, puis sa famille a déménagé au Rajasthan [11] lors de la partition de l'Inde [12] [fr] en 1947. Elle a décroché une maîtrise à l'Université du Rajasthan et s'est ensuite installée en Allemagne de l'Ouest [13], à la fin des années 1960, dans le cadre d'une bourse de recherche pour étudier la sociologie en matière de développement. Elle a ensuite été recrutée comme enseignante à Bad Honnef. De retour en Inde en 1970 [7], elle a commencé à collaborer avec Seva Mandir [14], une ONG de terrain à Udaipur, en tant que coopérante et militante. Par la suite, elle a intégré l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture [15] [fr] (FAO, Food and Agriculture Organization of the United Nations) ; son premier poste a été au Bangladesh, en 1976 [16], où elle a travaillé avec Gonoshasthaya Kendra [17], une organisation de santé publique rurale. Dans les décennies suivantes, son activité principale a consisté à mettre en place des programmes de renforcement des compétences, à identifier les activités de développement innovantes dans les pays asiatiques et à créer des réseaux entre les personnes de plusieurs pays d'Asie du Sud.

Shobha Raghuram, analyste en développement à Bangalore, s'est remémoré les multiples facettes de Kamla Bhasin :

Féministe, philosophe, critique culturelle, poète, écrivaine, mentor, créatrice de mouvement, passionnée, Kamla Bhasin était profondément humaine, laïque dans ses croyances, virulente à l'égard de l'injustice, membre critique de la société civile, inclusive et généreuse, offrant sans compter son temps et son amour – nous la regrettons infiniment.
— Shobha Raghuram (@ShobhaRaghuram) 25 septembre 2021

Kamla Bhasin est surtout reconnue pour son engagement auprès de Sangat, réseau féministe d'Asie du Sud, né du « Sangat Month Long Course [20] » (cours de renforcement des compétences féminines sur les questions de genre, des moyens de subsistance durables, des droits humains et de paix), organisé dans le cadre de son travail à la FAO. Le réseau Sangat a développé les compétences de centaines de femmes activistes originaires d'Asie du Sud dans les années 1980 et 1990. Il a officiellement été fondé [21] en 1998, lors d'un atelier de formatrices sur les questions de genre, tenu au Bangladesh et organisé par un programme FAO-ONG. Kamla Bhasin a quitté son poste à la FAO en 2002 et a rejoint le réseau Sangat comme conseillère afin de poursuivre son œuvre. Les anciennes élèves des cours Sangat d'Asie du Sud sont toujours en contact, coopèrent et s'engagent chaque année dans des d'événements transfrontaliers. Le réseau est aujourd'hui piloté par Jagori [22], organisation féministe qu'elle a co-fondée en 1984.

Kamla Bhasin a également contribué [23] au rayonnement de la campagne mondiale « One Billion Rising [24] » en sa qualité de coordinatrice pour l'Asie du Sud [25].

Elle a accordé plusieurs interviews et participé à des conférences TEDx [26] [hi] à travers l'Inde. Voici l'une de ses interventions, réalisée l'année dernière, à TEDxDurbarMarg :

Réécriture de comptines et reprise du slogan Azadi

Kamla Bhasin a publié une vingtaine de livres [27] ainsi que de nombreux ouvrages de formation sur la compréhension du patriarcat et du genre, certains ayant été traduits en des dizaines de langues. Au cours des années 1980, alors qu'elle achetait des livres de comptines pour ses jeunes enfants, elle a été scandalisée par les stéréotypes [28] et le patriarcat inhérent apparaissant dans la majorité d'entre eux, où les pères partaient travailler et les mères restaient à la maison pour cuisiner et s'occuper des enfants, où les garçons partaient à l'aventure en laissant derrière eux les petites filles.

Kamla Bhasin a donc composé des poèmes qui reflétaient le foyer moderne, qui racontaient l'histoire de mères actives et de jeunes filles pratiquant le sport comme les garçons. Elle les a publiés dans un recueil intitulé Housework is Everyone's Work – Rhymes for Just and Happy Families [29] (Les Tâches ménagères sont les tâches de tous – comptines pour de joyeuses familles égalitaires), traduit en de nombreuses langues.

L'un d'eux, Because I Am a Girl, I Must Study [30] (Parce que je suis une fille, je dois étudier), soulignant la nécessité de l'autonomisation des femmes par le biais de l'éducation, est particulièrement apprécié des militants. Sruthi Kalyani tweete à son propos :

Je ne saurais expliquer tout ce que ce poème représente pour moi. Nous avons beaucoup à faire. Nous devons étudier. #KamlaBhasin
— Sruthi Kalyani (@sruthikalyani) 25 septembre 2021

L'un des slogans popularisés par Kamla Bhasin, « azadi [34] » (« liberté » en ourdou) est très en vogue auprès des militants et a été repris dans différentes manifestations sociopolitiques. C'est en 1984 qu'elle a pour la première fois entendu [35] [ur, sous-titrage en anglais] la mélodie azadi, scandée par les féministes pakistanaises qui manifestaient contre le régime de Zia-ul-Haq. Inspirée, elle a alors composé un poème et popularisé [36] cette complainte en Inde, où il a été repris [37] par la suite dans un film de Bollywood.

L'activiste Anjali Bhardwaj a écrit sur Twitter :

मेरी बहनें माँगें आज़ादी!!!✊?
La personnalité unique de Kamla Bhasin a disparu à jamais. En revanche, ses chansons, ses slogans et ses textes continueront à nous inspirer et à dynamiser nos luttes en faveur d'un monde plus juste et plus égalitaire. Repose en paix, Kamla !
— Anjali Bhardwaj (@AnjaliB_) 25 septembre 2021

Elle a marqué tant de personnes

Les activistes de toute l'Asie du Sud se souviendront [40] de son engagement et de la façon avec laquelle elle a influencé la vie de chacun. Kamla Bhasin a permis de jeter des ponts [41] entre les militantes d'Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Népal et du Sri Lanka grâce à ses formations dispensées par le réseau Sangat.

L'activiste pakistanaise, Nadia Agha, a tweeté :

Aujourd'hui est un bien triste jour pour les femmes des pays du Sud. Kamla Bhasin, spécialiste en sciences sociales, militante féministe et pilier du mouvement des femmes en Inde, vient de nous quitter. Elle était une source d'inspiration pour de nombreuses jeunes féministes d'aujourd'hui, comme moi.
Repose en paix #KamlaBhasin !
— Nadia Agha (@AghaNadia) 25 septembre 2021

La Commission des droits humains du Pakistan (HRCP) a aussi reconnu ses mérites :

#KamlaBhasin était une citoyenne sud-asiatique dans le vrai sens du terme. Elle incarnait les principales valeurs de la HRCP : lutte pour la protection des idéaux démocratiques, résistance au patriarcat et, surtout, capacité des communautés à se mobiliser pour leurs droits.
— Human Rights Commission of Pakistan (@HRCP87) 25 septembre 2021

La chanteuse et journaliste bangladaise, Elita Karim, se souvient d'elle :

Aujourd'hui est une bien triste journée.
Vous continuerez à vivre parmi nous au travers de votre oeuvre, de vos sourires, grâce à la bonté de votre cœur et votre empressement à voir les gens se soulever, survivre et accomplir tant de choses.
Respect pour la seule et unique Kamla Bhasin ! Puissiez-vous reposer en paix :( #KamlaBhasin
— Elita Karim (@elitakarim) 25 septembre 2021

Kamla Bhasin refusait l'idée [48] que le féminisme soit un concept uniquement occidental, affirmant qu'il était enraciné dans les luttes et les souffrances des populations de différents pays. Elle considérait que la lutte pour l'égalité des sexes n'était pas une lutte entre les hommes et les femmes, considérant que [13] le patriarcat est tout aussi dommageable pour les premiers, car il les déshumanise et les brutalise. Selon elle, en dépit de tous les progrès réalisés par les femmes en Asie du Sud, elles accusent encore du retard en raison de trois facteurs [7] : le patriarcat capitaliste [48], les politiques de droite et le fondamentalisme religieux.

Maria Rashid, écrivaine et féministe pakistanaise, tweete :

Kamla Bhasin – une force d'amour, de solidarité et d'action féministe par delà les frontières.
Vous étiez adulée par les féministes, jeunes et moins jeunes, au Pakistan, en Inde, au Sri Lanka, au Bangladesh et au Népal. Nous vous voyons,
nous vous entendons, nous chantons avec vous – vous êtes encore avec nous.
Repose en paix Kamla ji
— Maria Rashid ماریہ (@mariarshd) 25 septembre 2021