- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Pakistan : un enfant de huit ans devient le plus jeune accusé de blasphème

Catégories: Asie du Sud, Pakistan, Développement, Droit, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Histoire, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion
Shri Katas Raj Temples, also known as Qila Katas is a Hindu Temple Complex in Choa Saidan Shah, a small town of Chakwal District in the Punjab Province of Pakistan. [1]

Les temples Shri Katas Raj, aussi appelés Qila Katas, sont un ensemble de temples hindous situé à Choa Saidan Shah, petite ville du district de Chakwal dans la province pakistanaise du Pendjab. Illustration via Flickr de ClicksByMohammadOmer [1], sous licence CC BY-SA 3.0 [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais, ndlt.]

Un garçon hindou âgé de huit ans est accusé [3] d'avoir enfreint les lois pakistanaises relatives au blasphème [4] dans le village de Bhong, appartenant au district de Rahim Yar Khan, dans la province du Pendjab, pour avoir uriné dans la bibliothèque d'une madrassa (école religieuse musulmane). Selon ces lois controversées sur le blasphème [5], les contrevenants sont passibles de la prison à vie ou de la mort. Ses détracteurs considèrent qu'elles ont longtemps été invoquées [5] pour persécuter les groupes minoritaires au Pakistan.

Fin juillet 2021, un enseignant de cette madrassa a porté plainte [6] auprès de la police, au motif qu'un enfant non-musulman avait pénétré dans la bibliothèque, puis uriné sur un tapis. La police l’a interpellé [3] et poursuivi pour blasphème. Il a été emprisonné pendant une semaine jusqu'à ce qu'un tribunal le libère sous caution le 4 août. À la suite de cette décision, des dizaines de personnes ont manifesté contre sa mise en liberté et ont vandalisé [7] un temple hindou situé à Bhong.

Sur de nombreuses vidéos [8] [ur] devenues virales sur les réseaux sociaux, on peut voir une horde de gens profaner le temple Siddhi Vinayak à Bhong et bloquer aussi momentanément une autoroute voisine.

Le journaliste Veengas a tweeté :

Le temple de Ganesh, dans le village de Bhong à Rahim Yar Khan, au Pendjab, a été saccagé.
Nouveau jour, nouvelle attaque contre les hindous au Pakistan.
– Veengas (@VeengasJ) 4 août 2021

La famille du petit garçon s'est alors cachée, et de nombreuses autres familles hindoues de la localité ont depuis quitté leur domicile. Des troupes paramilitaires ont été déployées [11] dans la zone afin de désamorcer la situation et éviter de nouveaux troubles. À ce jour, cinquante personnes ont été appréhendées [12] pour les actes de vandalisme perpétrés contre le temple hindou, et cent autres ont fait l'objet d'une enquête.

Le Premier ministre Imran Khan a condamné l'incident sur Twitter :

Je condamne fermement l'attaque perpétrée hier contre Ganesh Mandir à Bhung, situé à Rahim Yar Khan (RYK). J'ai déjà appelé l'inspecteur général de la police (IG) du Pendjab à procéder à l'arrestation de tous les coupables et à prendre des mesures contre toute négligence policière. Le gouvernement va également remettre en état le Palais Mandir.
– Imran Khan (@ImranKhanPTI) 5 août 2021

Dans un fil de discussion sur Twitter [14], Parkash Heerani, membre de la communauté hindoue pakistanaise, a fait remarquer que sept attaques ont été perpétrées contre des temples hindous au Pakistan au cours des 12 derniers mois :

5. Temple Hanuma, Lyari, Sindh, le 17 août 2020.

6. Temple de Krishna à Islamabad (qui était en construction) le 4 juillet 2020.

7. Temple Mata Rani, Chahro Sindh, le 26 janvier 2020.

Justice rendue : – Arey yeh konsi baat kardi ? Ap pakistan mein hain.
– Parkash Heerani ? (@parkashpakistan) 4 août 2021

Mouvements de protestation contre les lois réprimant le blasphème

Le 9 août 2021, Amnesty International a appelé le gouvernement pakistanais [16] à abandonner les poursuites intentées contre ce jeune garçon, et à lui fournir une protection adéquate, de même qu'à sa famille et aux membres de la communauté hindoue locale.

Au sujet de l'Asie du Sud, un collectif [17] de journalistes féministes a attiré l'attention sur une pétition [18] lancée par Hindu Samata [19] en vue de protéger les hindous pakistanais en situation de vulnérabilité :

Un enfant hindou de 8 ans, accusé de blasphème, encourt la peine de mort au Pakistan. S'IL VOUS PLAÎT, SAUVEZ CET ENFANT.
– aboutsouthasia (@aboutsouthasia) 9 août 2021

Syed Bilal Qutab, érudit soufi [22] et animateur de télévision, a condamné la violence envers les hindous sur Facebook [23] [ur] :

نہایت افسوس ناک، یہ جنونی کس مذہب کے پیروکار ہیں کہ جنہیں دوسروں کی عبادت گاہوں کے تقدس کا خیال نہیں۔ ان سب افراد کے خلاف ایکشن لے کر سخت سزا دی جائے۔ ہندو کمیونٹی کے جذبات اس طرح بہیمانہ انداز میں مجروح کرنے پر ہم ان سے معذرت چاہتے ہیں۔

Hélas, la religion pratiquée par ces fanatiques se moque du caractère sacré des lieux de culte d'autrui. Des mesures doivent être prises contre toutes ces personnes et des sanctions sévères doivent être prononcées. Nous nous excusons d'avoir blessé la communauté hindoue de manière aussi gratuite.

La Commission des droits humains du Pakistan a exigé une protection renforcée à l'égard des minorités :

En cette journée des minorités (#NationalMinoritiesDay2021), la HRCP (Commission des droits humains du Pakistan) exhorte le gouvernement à assurer aux minorités une protection continue plus efficace contre toute forme de violence, si celui-ci souhaite véritablement se présenter comme un état juste.
– Commission des droits humains du Pakistan (@HRCP87) 11 août 2021

Le gouvernement abandonne la plainte pour blasphème

Le 11 août 2021, Hafiz Tahir Mehmood Ashrafi, porte-parole spécial du Premier ministre pour les questions relatives au Moyen-Orient et à l'harmonie religieuse, a déclaré [27] que l'affaire concernant l'enfant hindou âgé de huit ans à Rahim Yar Khan ne relevait pas des lois du pays sur le blasphème. Il a fermement démenti [27] l'article du Guardian, expliquant dans une déclaration que le quotidien anglais avait présenté la question sous un angle erroné, et que « la plainte pour profanation de séminaire n'aurait pas dû être acceptée par la police dans la mesure où de telles affaires portent atteinte à la réputation du pays ».

Face à la pression médiatique et gouvernementale à ce sujet, la police a retiré l'accusation de blasphème portée contre l'enfant. Hafiz Tahir Mehmood Ashrafi a confirmé que « des mesures ont été prises envers les fonctionnaires de police qui ont accepté la plainte déposée contre le petit garçon [28] ». Il a ensuite ajouté [29] :

The charges against the boy were baseless. Minorities are equal citizens and these are illiterate people attacking worship places. Our Islam does not allow attacking of any other religion’s places of worship.

Les accusations portées contre cet enfant étaient sans fondement. Les minorités sont des citoyens à part entière et les personnes qui ont attaqué ces temples sont des analphabètes. Notre islam ne nous autorise pas à attaquer les lieux de culte de toute autre religion.

Kapil Dev, défenseur pakistanais des droits humains et membre de la communauté hindoue, a publié une mise à jour dans laquelle il indiquait que les charges avaient finalement été abandonnées :

Dernière minute :

Le procès-verbal concernant le petit Hindou de 8 ans arrêté dans une affaire de blasphème est annulé.

Le temple hindou de Rahim Yar Khan a été remis en état après l'attaque.

Bravo #Pakistan

#PakistanForAll #PakistanZindabad
– Kapil Dev (@KDSindhi) 12 août 2021

Le gouvernement a réparé [29] le temple, puis l'a restitué à la communauté hindoue lors d'une cérémonie le mercredi 11 août 2021.

Kapil Dev a salué le gouvernement pour son soutien et la rapide restauration effectuée :

Le soutien de la nation et du gouvernement envers la communauté hindoue, lors de la récente attaque du temple de Rahim Yar Khan, est véritablement sans précédent et mérite d'être salué. Cette attitude a renforcé notre foi et ravivé nos espoirs de faire resurgir un Pakistan pour tous (PakistanForAll), pacifique, moderne et pluraliste.
– Kapil Dev (@KDSindhi) 12 août 2021

Les lois pakistanaises relatives au blasphème

En 1860, les dirigeants coloniaux britanniques ont été les premiers au Pakistan à élaborer les lois relatives aux attaques religieuses. Le pays a hérité de ces dispositions lorsqu'il a accédé à l'indépendance en 1947. Le gouvernement militaire du général Muhammad Zia-ul-Haq [38] [fr] (1977-1988) a étoffé ces lois [39] [fr], ajoutant des peines pour des crimes tels que les remarques désobligeantes à l'encontre de dignitaires islamiques ou la profanation intentionnelle du Coran. Une clause distincte a été introduite en 1986, prévoyant la peine de mort ou l'emprisonnement à vie pour tout acte de blasphème contre le prophète Mahomet [40] [fr] (Que la Paix soit avec Lui).

Selon les données du Centre pour la justice sociale au Pakistan [41], plus de 1 850 personnes ont été poursuivies entre 1987 et 2020 en vertu des lois pakistanaises sur le blasphème.

Ces dernières ont souvent été détournées par des groupes mal-intentionnés dans le but d'appliquer une justice extrajudiciaire aux groupes minoritaires du Pakistan. Depuis 1990, au moins quatre-vingts [42] personnes accusées de blasphème y ont été massacrées par la foule.

Enfin, quiconque tente de venir en aide aux personnes accusées de blasphème fait souvent l’objet de menaces et de violences [43]. Ces attaques sont également répandues sur internet [44] à l'encontre des personnes critiquant les lois sur le blasphème, notamment les journalistes [45], les universitaires et les organisations de la société civile.