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Entretien avec Kyaw Moe Tun, l'ambassadeur birman à l'ONU qui a défié la junte

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Médias citoyens, Politique, Relations internationales, Myanmar Spring Revolution
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Lors de son allocution à l'Assemblée générale le 26 février 2021, Kyaw Moe Tun, ambassadeur du Myanmar auprès des Nations Unies, fait le salut à trois doigts pour montrer sa solidarité avec le mouvement qui s'oppose au régime dans son pays. Photo [2] des Nations Unies et légende de The Irrawaddy.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

Cet article [1]a été initialement publié sur The Irrawaddy, un site d'information indépendant au Myanmar. Cette version éditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

L’ambassadeur du Myanmar auprès des Nations unies, Kyaw Moe Tun [3] [fr] et deux ministres du Gouvernement d’union nationale (NUG [4]) parallèle ont rencontré Derek Chollet, un haut responsable du département d’État étasunien, le 23 septembre 2021.

Le régime militaire du Myanmar a accusé Kyaw Moe Tun de haute trahison et a demandé à l'ONU de le leur livrer, espérant le remplacer par le colonel Aung Thurein.

The Irrawaddy a demandé à Kyaw Moe Tun la raison pour laquelle il n'avait pas pris la parole à l'Assemblée générale de l'ONU [de septembre 2021, ndt.] ainsi que les sujets de discussion abordés avec Chollet, conseiller du département et conseiller principal en matière de politique auprès du secrétaire d'État étasunien.

The Irrawaddy: De quoi avez-vous parlé avec le conseiller étasunien ?

Kyaw Moe Tun: Deputy foreign minister U Moe Zaw Oo and I met him last Thursday [September 23] in New York. NUG ministers Daw Zin Mar Aung, U Aung Myo Min and advisor to the NUG’s Human Rights Ministry U Aung Zaw Moe joined the meeting online. The US Department of State released a statement [5] about it. The Burmese side explained the situation on the ground, including human rights violations by the military. We also discussed humanitarian aid, COVID-19 prevention and the provision of COVID-19 vaccines. As the US is planning to provide COVID-19 vaccines to Myanmar it was on the agenda. We also discussed US assistance in establishing democracy in Myanmar.

Kyaw Moe Tun : Le vice-ministre des Affaires étrangères Moe Zaw Oo et moi-même l'avons rencontré jeudi dernier [23 septembre] à New York. Mar Aung Zin et Aung Myo Min, ministres du NUG, ainsi que  le conseiller du ministre des Droits humains Aung Zaw Moe ont pris part à cette réunion en ligne. Le département d'État étasunien a publié une déclaration [5] à ce sujet. La partie birmane a expliqué la situation sur le terrain, notamment les violations des droits humains perpétrées par l'armée. Nous avons également discuté de l'aide humanitaire, de la prévention et de l'approvisionnement en vaccins contre le COVID-19. Comme les États-Unis prévoient de fournir des vaccins au Myanmar, ce sujet était à l'ordre du jour. Nous avons aussi discuté de l'aide étasunienne relative à l'instauration de la démocratie dans le pays.

La réunion était-elle un signe indiquant que les États-Unis reconnaissent le NUG en tant que gouvernement légitime du Myanmar ?

Kyaw Moe Tun: The US has not officially recognized the NUG. But as it is officially holding bilateral talks with the NUG we can say that it is beginning to recognize the NUG. The US statement also expressed support for the NUG, so we don’t need to explain further.

Kyaw Moe Tun : Les États-Unis n'ont pas officiellement reconnu le NUG. Mais vu qu'ils tiennent officiellement des pourparlers bilatéraux, nous pouvons dire que c'est un début de reconnaissance. La déclaration exprimait aussi leur soutien au NUG, pas besoin donc d’en dire davantage.

La Chine, la Russie et l'ANASE [Association des nations de l'Asie du Sud-Est, ndt.] ont convenu de vous conserver comme ambassadeur auprès des Nations Unies jusqu'en novembre. Pourquoi ces pays ayant des liens étroits avec le régime militaire ont-ils pris cette décision ? 

Kyaw Moe Tun: It is difficult for me to say. As everyone knows, almost no UN members have recognized the military council. Though the military council dismissed me, the UN and member states recognize me as the permanent representative. I think most countries want to maintain continuity. The UN is an inter-governmental organization and decisions are made by consensus. So it was decided by consensus to keep me. The credentials committee tries to avoid discord between member states. It recommends what is generally acceptable to all members. The credentials committee, I understand, has had informal meetings with member countries about my case.

As ASEAN, the European Union, US and UK reached an agreement, other countries have also agreed to keep me in my position. So my guess is they accepted it because it was acceptable to members. The credentials committee will have a formal meeting in November and review the issue and report to the General Assembly.

Kyaw Moe Tun : C'est difficile à dire. Comme chacun sait, quasiment aucun membre de l'ONU n'a reconnu le conseil militaire. Bien que celui-ci m'ait démis de mes fonctions, l'ONU et les États membres me considèrent comme leur représentant permanent. Je pense que la plupart des pays veulent maintenir la continuité. L'ONU est une organisation intergouvernementale qui prend ses décisions, dont celle de me garder, par consensus. Le comité de vérification des pouvoirs tente d'éviter toute discorde entre les États membres. Il recommande ce qui est généralement acceptable pour tous. Je crois comprendre qu'il a tenu des réunions officieuses avec les pays membres à mon sujet.

De même que l'ANASE, l'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni sont arrivés à un accord, d'autres pays ont également accepté de me maintenir à mon poste. Je suppose donc qu'ils l'ont accepté parce que c'était acceptable pour les membres. Le comité de vérification des pouvoirs se réunira officiellement en novembre, examinera la question et fera un rapport à l'Assemblée générale.

Selon certaines informations, l'ONU et la Chine ont accepté de vous garder jusqu'en novembre à la condition que vous ne preniez pas la parole lors de [la 76ème session annuelle de, ndt.] l'Assemblée générale. Quelles conséquences aura cette abstention ?

Kyaw Moe Tun:  The General Assembly is not a week-long meeting. It started on September 14 and continues until September 2022. There will be plenary sessions throughout the year. The six standing committees will meet simultaneously for the rest of this year. Our delegation will be able to speak at the plenary sessions and standing committees. We agreed [not to address the general debate] to best serve our country in the long term.

Kyaw Moe Tun : L'Assemblée générale ne dure pas qu'une semaine. Elle a débuté le 14 septembre et se poursuit jusqu'en septembre 2022. Des sessions plénières seront organisées tout au long de l'année et les six commissions permanentes se réuniront simultanément le reste de l'année. Notre délégation pourra s'exprimer à cette occasion. Nous avons convenu [de ne pas aborder le débat général] pour mieux servir notre pays sur le long terme.

Vous vous exprimerez donc lors de réunions ultérieures?

Kyaw Moe Tun: There is the disarmament and international security committee, economic and financial committee, social, humanitarian and cultural committee, political and decolonization committee, administrative and budgetary committee and legal committee. We have opportunities to address those meetings about the situation in Myanmar. We believe we will convey the voices of Myanmar’s people through those channels.

Kyaw Moe Tun : Il y a la commission chargée du désarmement et de la sécurité internationale, la commission économique et financière, la commission sociale, humanitaire et culturelle, la commission des questions politiques et de la décolonisation, la commission administrative et budgétaire, et la commission juridique. Nous aurons l'occasion d'évoquer la situation au Myanmar lors de ces réunions. Nous pensons pouvoir transmettre la voix du peuple birman par ces canaux.

Nous avons entendu que la décision de vous conserver ou non ne sera pas prise avant décembre. Que se passera-t-il si l'ONU refuse de reconnaître une personne, que ce soit vous ou celle nommée par l'armée, avant septembre prochain?

Kyaw Moe Tun:  My understanding is that there will be a meeting in November [to discuss Myanmar’s representation]. The credentials committee has used the word “continuity”, so I understand I will remain in my position for the 76th session. I am not sure about how they will decide but what was agreed at the 75th session will probably be continued throughout the year.

Kyaw Moe Tun : Je crois comprendre qu’il y aura une réunion en novembre [pour discuter de la représentation birmane]. Le comité de vérification des pouvoirs a prononcé le mot « continuité », je pense donc rester à mon poste pour la 76e session. Je ne suis pas sûr de la manière dont ils décideront, mais ce qui a été convenu lors de la 75e session se poursuivra probablement tout au long de l'année.

Si l'ONU reconnaît la junte, le régime bénéficiera-t-il de l'impunité pour les violations des droits humains et les crimes internationaux qu'il aura commis ?

Kyaw Moe Tun: From what we can see, Myanmar’s people and the international community are vocal in their opposition to the military council. It does not receive international recognition. [Junta recognition] is unlikely considering the provisions in the UN Charter and the global commitment to democracy and human rights. For example, all 17 UN Sustainable Development Goals call for humanitarian perspectives. So it will be ridiculous if human rights cannot be protected in the real world while every country is underscoring human rights. So I believe it will not happen. If it happened it would bring a review of the UN. The UN says it always heeds people’s voices so we firmly believe it won’t ignore us.

Kyaw Moe Tun : D'après ce que nous pouvons voir, le peuple birman et la communauté internationale expriment clairement leur opposition au conseil militaire. Celui-ci ne bénéficie donc pas de la reconnaissance internationale, qui est peu probable compte tenu des dispositions de la Charte des Nations unies et de l'engagement mondial en faveur de la démocratie et des droits humains. Par exemple, les dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies font appel à des perspectives humanitaires. Il serait donc ridicule que les droits humains ne puissent pas être protégés dans le monde réel alors que chaque pays s'y attache. Je crois donc que cela n'arrivera pas. Si cela se produisait, une inspection onusienne serait nécessaire. L'ONU affirme toujours prendre en compte la voix du peuple, c'est pourquoi nous croyons fermement qu'elle ne nous ignorera pas.

Le gouvernement britannique a exprimé des inquiétudes concernant la déclaration par le NUG d'une guerre populaire contre l'armée birmane. Le Royaume-Uni vous en a-t-il fait part?

Kyaw Moe Tun:  There has been no direct discussion with me. Some countries have expressed concerns. We understand the concerns. We also have concerns about anything that can be harmful to the people. But the military brutally cracked down on peaceful, unarmed protesters. We have continuously asked the international community to intervene against the military. But they have responded with neutral statements. And some countries imposed sanctions.

We are grateful but our people have gone through violence and inhumane repression for months and suffer greatly. Many are suffering from mental trauma.

As you know young activists jumped from a building [in Yangon] to avoid capture by junta troops. Not everyone can take similar action. They jumped because they would rather die than be captured. There were widespread calls to fight the regime. We have to listen to the people. We have to resist for our safety. The international community must understand what we are going through. When there is a confrontation between the armed and unarmed, the unarmed suffer more. We have to fight when we can no longer take it.

We want it to end and we have to strengthen the forces inside the country with greater unity and accelerate the momentum. We need international support to increase that momentum. We can end the suffering if the military faces domestic and international pressure.

Kyaw Moe Tun : Pas directement, non. Certains pays ont exprimé leur inquiétude. Nous les comprenons. Nous sommes également préoccupés par tout ce qui peut nuire au peuple. Mais l'armée a brutalement réprimé de pacifiques manifestants sans armes. Nous n'avons cessé de demander à la communauté internationale d'intervenir. Mais elle a répondu par des déclarations neutres. Et certains pays ont imposé des sanctions.

Nous sommes reconnaissants, mais notre peuple souffre énormément, il subit des violences et une répression inhumaine depuis des mois. Nombreuses sont les personnes à souffrir de traumatisme mental.

Comme vous le savez, de jeunes militants [à Rangoon] ont sauté d'un immeuble pour éviter d'être capturés par les troupes de la junte. Tout le monde ne peut pas en faire autant. Ils ont sauté parce qu'ils préféraient la mort à l'arrestation. Les appels à combattre le régime se sont multipliés. Nous devons écouter le peuple. Nous devons résister pour notre sécurité. La communauté internationale doit comprendre ce que nous traversons. Lorsqu'une confrontation a lieu entre personnes armées et non armées, ces dernières souffrent davantage. Il faut se battre quand on est à bout.

Nous voulons que cela prenne fin et nous devons consolider par une plus grande solidarité les forces à l'intérieur du pays et accélérer la dynamique. Nous avons besoin du soutien international pour intensifier cet élan. Nous pouvons mettre fin aux souffrances si l'armée subit des pressions nationales et internationales.