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Les pollueurs doivent payer, affirme Antigua-et-Barbuda à la COP26

Catégories: Caraïbe, Antigua et Barbuda, Droits humains, Environnement, Médias citoyens, Politique
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Le Secrétaire général des Nations unies António Guterres, Boris Johnson et Gaston Browne, les Premiers ministres anglais et antiguayain se saluent lors de leur arrivée à la COP26. La 26eme conférence sur le changement climatique regroupe les principaux dirigeants des Nations Unies à Glasgow. Photo [2] de Karwai Tang/Gouvernement britannique via la page Flickr de la COP26, CC BY-NC-ND 2.0 [3].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des articles en anglais, ndlt]

Cet article a été publié sur le site Friedrich Ebert Stiftung [4] et a été réalisé en association avec Climate Tracker [5] à la COP26. Global Voices publie une version éditée avec leur autorisation qui s'ajoute à la couverture de la COP26 [6].

En 2017, la petite île de Barbuda dans les Caraïbes a été « littéralement réduite à l’état de ruine [7] » [fr] par l’ouragan Irma [8]. La totalité de ses 1400 habitantes et habitants a dû être évacuée vers son île sœur : Antigua. L'estimation des coûts nécessaires à sa reconstruction [9], menée par le Groupe de la Banque mondiale, a déterminé que les pertes, dégâts et frais de reconstruction causés par Irma et Maria (ouragan ayant frappé Antigua peu de temps après), allaient coûter 334,3 millions d'euros aux îles jumelles, ce qui correspond à 25 % de leur produit national brut [10] cette année.

Irma était catégorisée comme une tempête de niveau 5 à l'approche des côtes barbudiennes. Sa capacité de destruction s'est probablement intensifiée [11] au contact des eaux plus chaudes de l'océan Atlantique, dont le réchauffement est une conséquence du changement climatique.

Antigua-et-Barbuda [12], ainsi que l'ensemble des petits États insulaires en développement (PEID) produisent moins de 1 % [13] des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, aucun dispositif de la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ne permet de rendre les principaux pays émetteurs responsables en les faisant participer aux efforts de reconstruction.

De plus, au regard des règles de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), Antigua-et-Barbuda est une nation trop riche pour bénéficier de la plupart des aides nécessaires à leur reconstruction et repopulation après l'ouragan.

« Immoral et injuste » : c'est ainsi que Mia Mottley [14] [fr], Première ministre de la Barbade, a qualifié le rejet des aides demandées par les petites îles, alors qu'elle s'adressait aux participants lors du sommet regroupant dirigeants internationaux à la COP26. Elle a ajouté que le prix de la crise climatique pour les PEID se mesurait en « vies humaines et moyens de subsistance ».

Au niveau actuel des émissions, les petites îles voient leur existence menacée. Le Rapport 2021 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions [15] [fr] montre que même s'ils atteignaient les objectifs fixés par les Contributions déterminées au niveau national (CDN) selon l'accord de Paris [16] [fr], la température moyenne sur la planète serait plus élevée de 2,7 °C en 2100 qu'elle ne l'était à l'ère pré-industrielle. Un rapport indépendant [17] réalisé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) montre qu'une différence de 0,5 °C est une menace pour l'existence même de certaines PEID.

Consciente du danger que représente cette augmentation des températures, Antigua-et-Barbuda a décidé de frapper fort à la COP26 en compagnie de Tuvalu [18] [fr]. La nation insulaire du Pacifique est en train de disparaître sous les eaux en raison de la hausse du niveau de la mer et de l'érosion de ses côtes. Ces îles ont annoncé la mise en place d'un programme visant à rendre les principaux émetteurs responsables des dégâts occasionnés par des événements météorologiques extrêmes.

Que les pollueurs assument leurs responsabilités

Alors que Barbuda se remet difficilement, cinq ans après l'ouragan (un fait reconnu par le président de la COP26 Alok Sharma lors de la séance plénière d'ouverture), le Premier ministre Gaston Browne est venu à la COP26 avec un plan ambitieux : demander des comptes aux pays responsables de la pollution.

Lors du sommet rassemblant les dirigeants internationaux, il s'est associé au Premier ministre de Tuvalu, Kausea Natano, afin de lancer une nouvelle commission qui aurait pour objectif de chercher les moyens légaux responsabilisant les plus importants pays émetteurs quant aux dégâts occasionnés dans les PEID, dont leurs propres îles.

« Les pollueurs doivent payer », a-t-il déclaré, insistant sur le fait que son intervention était dépourvue de toute hostilité. Les experts ont averti que les discussions concernant les pertes et les dégâts sont pourtant un sujet sensible pour les petites îles.

« Depuis longtemps les pays développés ont résisté aux tentatives de leur faire reconnaître l'ampleur des dommages, ceci à cause de leur responsabilité et des potentielles réclamations de dédommagement qui pourraient en émaner », a déclaré Colin Young, directeur exécutif du Centre sur le changement climatique de la Communauté caribéenne (CCCCC).

Il a reconnu que les membres de l'Alliance des petits États insulaires (AOSIS) et les négociateurs caribéens étaient à l'origine de l'inclusion dans l'accord de Paris de l'article 8 [19], qui aborde le problème des pertes et dégâts causés. En revanche, il n'y est pas mentionné que les nations développées acceptent leur responsabilité, ce qui résulte d'un compromis.

Selon Colin Young les principales difficultés qui frappent les petites îles présentes à la COP26 sont de limiter le réchauffement global à 1,5 °C au-dessus des niveaux pré-industriels, obtenir un financement climatique afin de s'adapter, finaliser les conventions de l'accord de Paris, et créer un fonds d'indemnisation des pertes et dégâts.

Seve Paeniu, le ministre des finances tuvalais s'est exprimé au Pavillon des PEID à l'occasion d'un événement en marge de la COP26, déclarant qu'un tel fonds devrait être accessible aux pays les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique. Selon Kausea Natano, « c'est essentiel, car même avec les mécanismes de financement actuels, tel le Fonds vert pour climat, de nombreuses PEID ont mis plusieurs années avant d'obtenir des indemnisations. »

De nouvelles contributions

L'Écosse est le pays qui s'est publiquement démarqué quant à l'indemnisation des dommages. À la COP26, elle a annoncé le don d'un million de livres (environ 1 190 000 €) à un fonds de financement des pertes et dégâts potentiels.

Colin Young explique :

It’s an issue of climate justice. We [SIDS] are not the cause of this problem we're suffering. So when a country like Scotland shows global leadership and is a first mover in putting a million pounds to loss and damage, it is significant.

Il s'agit d'un problème de justice climatique. Nous [PEID] ne sommes pas la cause du problème dont nous souffrons. Alors, quand un pays comme l'Écosse montre l'exemple en étant le premier à faire don d'un million de livres au fond de financement des pertes et dégâts, c'est considérable.

Bien que le montant puisse paraître minime, il s'agissait pour Climate Action Network (CAN), le plus grand regroupement d'ONG, de la première fois qu'une nation développée assumait l'expression « pertes et dégâts » et la notion implicite de responsabilité qui y est associée. Dans un communiqué, le CAN a affirmé que l'Écosse a créé « un précédent que les nations plus riches doivent suivre ».

Ce sentiment était partagé par Caroline Mair-Toby, la directrice et fondatrice de l'Institut caribéen des petites îles. Elle a qualifié ce geste de remarquable, d'autant plus que l'Écosse n'est pas une nation indépendante, avant d'ajouter : « le fait qu'ils ne soient pas obligés de le faire contraste singulièrement avec la réticence des autres pays qui ont la richesse et la capacité d'agir de même ».

Maître Payam Akhaven est l'avocat chargé de mener la commission au nom d'Antigua-et-Barbuda et Tuvalu. Il a affirmé à Climate Tracker que ce palier franchi par l'Écosse « reflétait la tendance croissante qui consiste à considérer que le changement climatique résulte de conduites délibérées et dommageables », ce qui prouve, selon lui, que le changement climatique doit être encadré en termes de dégâts.

Antigua-et-Barbuda préside actuellement l'AOSIS, mais la commission lancée avec Tuvalu en est indépendante et cherchera à recueillir le soutien de l'ensemble de ses membres dans les mois qui viennent.