La démocratisation en Corée du Sud depuis le soulèvement de Gwanju en 1980

Kim Chan-ho lors de la 4e Conférence internationale sur les violences étatiques et les traumatismes, qui s'est tenue en 2016 au Gwangju Trauma Center. Photo reproduite avec autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais. Les noms sont écrits à la coréenne : le nom de famille précède le prénom.]

La Corée du Sud est connue mondialement pour ses entreprises créatives, ses marques high-tech, ses voitures et, bien sûr la Hallyu [fr], vague culturelle coréenne déferlant sur le monde incluant la langue, la musique, les contenus numériques et les programmes sur petits et grands écrans. Mais peu connaissent l'histoire saisissante de son parcours vers la démocratie.

En 1988, le pays est passé [fr] avec succès d'un régime militaire dictatorial établi en 1948, à un état libéral reposant sur des institutions civiles démocratiques. La correspondante pour Global Voices Juke Carolina Rumuat (GV) s'est entretenue par e-mail avec Kim Chan-ho (KCH), responsable du programme de relations internationales à la Fondation pour la démocratie en Corée (FDC) séoulienne, à propos de la transition démocratique coréenne.

Cette fondation a été établie en 2001 dans le but d'améliorer la démocratie du pays en préservant l'histoire coréenne de la transition démocratique, de l'éducation et des échanges internationaux. Un de ses projets est le Forum pour la démocratie en Corée qui s'est tenu en mai 2021, et dont le thème était le rôle des femmes et de la jeunesse dans la coopération internationale en vue de la démocratie.

GV: Bonjour Kim Chan-ho ! Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs et lectrices ?

CHK: My name is Chan-ho Kim, I am the acting Director of International Relations at the Korean Democracy Forum. Prior to KDF, I worked for the May 18 Memorial Foundation for about 20 years. My main responsibility is to promote the May 18th Democracy Movement and develop networks and alliance with Asian civil society activists and human rights defenders in national and international events.

I became interested in social movements since I was a highschool student in 1988 when a pro-democracy movement took place in South Korea.

After graduating high school, I moved out of Seoul and attended Gwangju University in Gwangju (Hangul: 광주시). It’s not a prestigious university but the city itself was known as the center of a known pro-democracy movement known as  the Gwangju Uprising in 1980.

After completing the mandatory military inscription, I embarked abroad.  I went to Norway as an exchange student for a program called the International Culture Youth Exchange to learn Norwegian language and culture at the Folk School. Norway has a huge impact to me and my later life as my experience in the country had broadened my views on democracy and human rights.

KCH : Je m'appelle Kim Chan-ho, directeur suppléant en charge des relations internationales au FDC. Auparavant, j'ai travaillé pendant une vingtaine d'années à la Fondation en mémoire du 18 mai. J'y étais surtout chargé de promouvoir le mouvement du 18 mai et de développer réseaux et alliances avec les militant·es des sociétés civiles asiatiques et les défenseur·es des droits humains lors des événements nationaux et internationaux.

Je me suis intéressé aux mouvements sociaux dès le lycée en 1988, lorsque le mouvement en faveur de la démocratie battait son plein en Corée du Sud. Après le lycée, j'ai quitté Séoul et intégré l'université de Gwangju. Elle n'est pas prestigieuse mais la ville elle-même est célèbre pour avoir été le centre du mouvement pour la démocratie lors du soulèvement de Gwangju en 1980.

J'ai effectué mon service militaire obligatoire, puis j'ai quitté le pays. Je suis allé en Norvège dans le cadre d'un programme appelé « Échange international et culturel pour la jeunesse » afin d'apprendre la langue et la culture norvégienne au sein d'une université populaire. Ce pays a eu une énorme influence sur moi pendant les années qui suivirent, car il a élargi ma perception de la démocratie et des droits humains.

La ville de Gwangju était au cœur du mouvement pour la démocratie dans les années quatre-vingts. Le 18 mai 1980 [fr], une série de manifestations eurent lieu dans les rues de la ville et le gouvernement militaire déploya des troupes qui tuèrent au moins 196 personnes. Ces événements ont été pendant de longues années lourdement censurés. Bien que cette révolte soit quasiment absente des livres d'histoire mondiale, le soulèvement de Gwangju [fr] a inspiré des mouvements de résistance contre les régimes autoritaires dans divers pays d'Asie, comme à Hong Kong.

GV : Pourriez-vous nous raconter votre expérience personnelle de la démocratisation en Corée ?

CHK: I grew up in Seoul, which is about 166 miles away from Gwangju. I attended Gwangju University in 1980s. The government had strict anti-communist policies, at the time, the majority population preferred not to doubt or question, including myself. The (popular) struggle against the government violent repressions were not intense at the beginning.

Things started on the streets, and later on spread in the form of pamphlets and tracts. Neighbors in big cities, including Seoul, began to whisper as we received anonymous tracts in our mailboxes with pictures of May 18th Democracy Movement. It was a complicated and bloody process (for the nation), but eventually it ended authoritarian military regime South Korea and we transitioned into a democratic state. During the regime, state violence was on plain sights and such history shouldn’t be repeated in the future.

I consider studying in Gwangju as part of my destiny as it path my way to the May 18th Memorial Foundation, where I learned how May 18th demonstrators lived difficult lives as survivors of extreme state violence. I had the opportunity to listen to the stories of those survivors. Many students, workers and democratization movement activists were illegally arrested and tortured during my university years.

The May 18th Uprising was a cornerstone for civilians to set themselves free from being subjugated to political power. Since then, the struggle continues by commemorating the truth about the Democratic Uprising that began since 1980. Thanks to this pivot in South Korean history, this collective history that we went through, South Korea now has the direct presidential election system.

KCH : J'ai grandi à Séoul, qui se trouve à une centaine de kilomètres de Gwangju, ville dans laquelle j'ai fait mes études universitaires dans les années quatre-vingts. À l'époque, le gouvernement avait une politique anti-communiste très stricte que la majorité de la population, moi compris, préférait ne pas mettre en doute ou contester. La lutte (populaire) contre les violentes répressions gouvernementales n'était pas très intense au départ.

Elle a commencé dans les rues, puis s'est répandue sous forme de pamphlets et de prospectus. Dans les grandes villes voisines, dont Séoul, des murmures ont commencé à s'élever comme des tracts anonymes comportant des images du mouvement du 18 mai pour la démocratie étaient distribués dans nos boîtes aux lettres. Le processus a été compliqué et sanglant (pour le pays), mais le régime militaire dictatorial a finalement pris fin et nous sommes passé à un État démocratique. La violence perpétrée par cette dictature était visible de tous et l'histoire ne devrait pas se répéter à l'avenir.

Étudier à Gwangju faisait partie de ma destinée et elle m'a amenée jusqu'à la Fondation en mémoire du 18 mai, où j'ai compris que les manifestants et manifestantes du 18 mai avaient mené des existences difficiles après avoir survécu à une violence étatique extrême. J'ai eu la chance de pouvoir écouter leurs récits. De nombreux étudiants et étudiantes, travailleurs et travailleuses, et activistes des mouvements en faveur de la démocratie ont été illégalement arrêtés puis torturés pendant que j'étais sur les bancs de l'université.

C'est le soulèvement du 18 mai qui a permis aux citoyens et citoyennes de se libérer de leur soumission au pouvoir politique. Depuis, la lutte continue en rappelant la vérité et en commémorant ce mouvement pour la démocratisation qui a débuté dans les années quatre-vingts. C'est grâce à ce moment pivot de l'histoire coréenne, cette histoire collective par laquelle nous sommes passés, que la Corée du Sud a désormais un système permettant d'élire directement le président.

GV : L'année dernière, un article du magazine américain Foreign Policy expliquait que la réussite coréenne en matière de lutte contre la pandémie de COVID-19 se trouvait fragilisée par le conservatisme politique et religieux. Cette pandémie mondiale a-t-elle un effet sur la démocratie et les droits humains dans le pays ?

CHK: The COVID-19 pandemic does curtail freedom of movements, just like what has happened in other countries. The global pandemic impacted South Koreans economically and socially. For example, foreign migrant workers are in the blind spot during mandatory quarantine, and irregular workers in South Korea are suffering from fatal health risks in a difficult working environment and are losing their jobs.

We also noted that the Korean government has enacted related laws to crack down on people who spread fake news through YouTube due to the coronavirus since last year. Conservatism remains an issue here. For instance, thousands of far-right conservative groups held mass protests demanding the release of former President Park Geun-hye and demanded the resignation of the current government. Some far-right YouTubers are under investigation by the police for spreading anti vaccine narratives.

KCH : La pandémie mondiale a en effet restreint la liberté de mouvement, comme partout ailleurs. Elle a eu un impact social et économique en Corée du Sud. Ainsi, les travailleurs et travailleuses immigré·es se retrouvent coincés par la quarantaine obligatoire, et la main d’œuvre en situation irrégulière perd son travail ou risque sa vie et sa santé en travaillant dans des conditions difficiles.

Nous avons aussi remarqué que, depuis l'année dernière, le gouvernement coréen a promulgué des lois réprimant les personnes propageant de fausses informations sur YouTube relatives au coronavirus. Le conservatisme reste un problème ici. Ainsi, des milliers de personnes appartenant à des groupes conservateurs d'extrême-droite ont manifesté en masse afin de demander la libération de l'ancienne présidente Park Geun-hye [fr] et la démission du gouvernement actuel. La police enquête aussi sur des youtubeurs d'extrême-droite qui ont propagé un discours anti-vaccins.

l'ex-présidente Park Geun-hye a été destituée pour corruption et abus de pouvoir [fr] en 2017. Au début de l'année, la Cour suprême du pays a refusé son appel et confirmé sa condamnation [fr] à 20 ans de prison. Les groupes conservateurs protestants sont souvent considérés comme alliés de l’extrême-droite conservatrice et critiquent régulièrement le gouvernement du président Moon Jae-In .

GV : Pourriez vous fournir plus de détails concernant la montée du conservatisme en Corée du Sud ?

CHK: You should know is that there's a serious divide between the conservatives and those who are striving for peaceful coexistence through dialogue with North Korea. The latter is striving to give up the outdated ideological framework that sees the existence of North Korea as a mere threat to the country.

Luckily, the youth participation and engagement in politics are promising. We're expecting to see less ideological and more inclusiveness in politics thanks to the youth. Lastly, I see that South Korean political system is gradually developing and the general public are embracing institutionalized democratic practices.

KCH : Il faut déjà comprendre la profonde division entre les conservateurs et ceux qui se battent pour une coexistence pacifique en dialoguant avec la Corée du Nord. Ces derniers tentent de se débarrasser du cadre idéologique dépassé présentant l'existence du voisin nordiste comme une simple menace pour le pays.

Heureusement, l'engagement et la participation politiques de la jeunesse sont prometteurs. Grâce à elle, nous pensons voir moins d'idéologie et plus d'ouverture. Enfin, je trouve que le système politique coréen se développe peu à peu et que le public en général s’approprie les pratiques démocratiques institutionnalisées.

La péninsule coréenne constituait à l'origine une nation unique annexée par le Japon en 1910. À la fin de la Seconde guerre mondiale, le pays a été divisé [fr] en Corée du Nord, soutenue par l'Union soviétique, et Corée du Sud, épaulée par les États-Unis. Sous le règne de Kim Il-sung, la Corée du Nord s'est calquée sur le modèle soviétique, se transformant en une dictature politique à l'économie collectiviste, alors que la Corée du Sud est devenue une dictature militaire anti-communiste. Celle-ci a duré jusqu'en 1987, date à laquelle s'est démocratiquement tenue la première élection présidentielle [fr], remportée par Roh Tae-woo, du Parti de la justice démocratique, qui a mis fin au régime militaire sud-coréen par une série de réformes politiques et économiques.

Participants et participantes posent en solidarité avec le peuple birman lors du Forum pour la démocratie en Corée de 2021. Pour cause de pandémie, la plupart des événements se sont tenus en ligne, quelques rencontres seulement étant organisées dans la capitale sud-coréenne. Photo de la Fondation pour la démocratie en Corée, reproduite avec leur autorisation.

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