- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

COVID-19 : Préjugés coloniaux, nationalisme vaccinal et interdiction de voyager en Afrique

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Afrique du Sud, Botswana, Canada, Eswatini, Etats-Unis, Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Royaume-Uni, Zambie, Zimbabwe, Ethnicité et racisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales, Santé, Sciences, Voyages, COVID-19

En Afrique du Sud, une mère se fait vacciner. Photo de USAID/South Africa [1], prise le 3 septembre 2021 (CC BY-NC 2.0 [2]).

Le 25 novembre, le ministre sud-africain de la Santé, Joe Phaahla, a annoncé la détection [3] d'un nouveau variant dans la province du Gauteng. Nommé B.1.1.529 ou Omicron COVID-19, il a été séquencé [4] pour la première fois au Botswana par le Dr Sikhulile Moyo, un scientifique zimbabwéen y résidant. 

Depuis lors, les pays occidentaux ont recollé l'étiquette coloniale présentant l'Afrique comme un continent malade, se précipitant pour interdire les vols en provenance de ce qu'ils imaginent être une zone infestée de COVID. Dans le même temps, les conditions d'entrée pour les personnes provenant de pays occidentaux restent les mêmes, même si le nombre de cas y est nettement plus élevé que dans les pays africains.

Ces préjugés envers l'Afrique ont provoqué l'indignation de ses gouvernements et citoyens.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a qualifié [5] ces mesures discriminatoires d'« injustes et injustifiées ». Les interdictions de vol concernant les pays africains n'ont fait que renforcer le récit occidental dominant selon lequel « seuls les maladies et le chaos peuvent venir d'Afrique », insiste la Dr Yolande Bouka, professeure adjointe d'études politiques à l'Université Queen du Canada. Ceci en dépit du fait que « le continent s'en est mieux sorti malgré l'apartheid vaccinal et des ressources limitées. Et surtout effacer la contribution de l'Afrique à la lutte contre le COVID-19 », a-t-elle tweeté [6].

La vision occidentale des services de santé en Afrique reste la même qu'au XIXe siècle, un « projet [7] de conquête et de domination coloniale », selon l'historienne Jessica Pearson-Patel. La journaliste Samira Sawlani affirme en outre dans un tweet [8] que « le colonialisme a été construit sur et renforcé par l'idée que l'Occident est supérieur aux pays qu'il a colonisés. Cela n'a pas changé. Ce préjugé ressort juste sous une forme un peu différente ».

Non seulement les restrictions de voyage ont suscité des critiques, mais aussi le langage utilisé pour décrire la découverte et la propagation du nouveau variant. Dans un tweet [9], le sud-africain Graeme Codington souligne le rôle des médias et comment les « journalistes paresseux » se trompent : « Ce n’est pas une surprise que notre système médical soit l’un des premiers à identifier de nouveaux variants du Covid. […] Ce qui est surprenant, c'est la façon dont les journalistes paresseux écrivent leurs gros titres ». 

Le double standard des États-Unis a été le plus évident. D'une part, le secrétaire d'État américain a déclaré [10]  que la transparence de l'Afrique du Sud dans le partage d'informations sur la variante Omicron « devrait servir de modèle pour le monde ». Pourtant, les États-Unis ont été l'un des premiers pays occidentaux à interdire les vols en provenance d'Afrique australe, ostensiblement soutenus par la « science », selon un tweet [11] du président Biden datant du 26 novembre.

Après que deux cas du nouveau variant ont été détectés au Royaume-Uni, six pays africains ont été placés sur leur liste rouge. Deux jours plus tard, quatre autres pays d'Afrique subsaharienne y ont été ajoutés. Les personnes originaires d'Afrique du Sud, du Botswana, du Lesotho, d'Eswatini, de Namibie, du Zimbabwe, du Malawi, du Mozambique, de Zambie et d'Angola sont donc désormais interdites d'entrée au Royaume-Uni. 

pays interdits à cause du variant Omicron
c/
pays avec des cas confirmés d'Omicron

Un jour plus tard, l'Union européenne a suivi le Royaume-Uni, déclarant [14] [fr] par l'intermédiaire d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne :

The European Commission has today proposed to member states to activate the emergency brake on travel from Southern African and other affected countries. All air travel to and from these countries should be suspended until we have a clear understanding of how serious the mutations of this new variant are

La Commission européenne a proposé aujourd'hui aux États membres d'activer les mesures d'urgence sur les voyages en provenance d'Afrique australe et d'autres pays touchés. Tous les voyages aériens à destination et en provenance de ces pays devraient être suspendus jusqu'à ce que nous ayons une compréhension claire quant à la gravité des mutations de ce nouveau variant.

Depuis lors, l'Australie et la Thaïlande se sont jointes aux États-Unis, au Brésil et au Canada pour imposer [15] des interdictions de voyager en provenance des pays d'Afrique australe. Le Japon, Israël, le Maroc [16]Oman [17] et la Jamaïque [18] leur ont emboîté le pas.

Pendant ce temps, le nombre d'infections en Europe est à son plus haut niveau depuis le début de la pandémie. Cette augmentation est due à un mélange de facteurs [19] : refus de vaccination, variant Delta, assouplissement des restrictions, etc. Même si le nouveau variant a été détecté dans plusieurs pays européens, ainsi qu'au Canada, en Israël, en Australie et à Hong Kong, les interdictions de voyager ne sont pour l'instant imposées qu'aux pays africains.

Une rengaine coloniale contre les Noirs 

Une catégorisation similaire de l'Afrique en tant que bouillon de maladies s'est manifestée au plus fort de l'épidémie Ebola en 2014, comme l'illustrait la couverture du magazine Newsweek présentant [20] la photo d'un chimpanzé avec la légende : A Back Door for Ebola : Smuggled Bushmeat Could Spark a U.S. Epidemic (Une porte d’entrée pour Ebola : la viande de brousse de contrebande pourrait déclencher une épidémie aux États-Unis).

Ce n'était pas une simple bourde. En fait, elle représente ce que les journalistes du Washington Post, Laura Seay et Kim Yi Dionne, décrivent [21] comme « la longue et horrible tradition consistant à traiter les Africains comme des animaux sauvages et l'Afrique comme un continent menaçant, rongé par la saleté et les maladies ».

Peu de choses ont changé en 2021.

Il est ironique qu'une alerte rouge ait été lancée sur les pays africains qui mènent l'effort mondial pour identifier ce variant, en particulier lorsque plusieurs de ces pays ont imposé des mesures  [22]plus strictes, notamment le port obligatoire [23] du masque en public, pour lutter contre le coronavirus. Ces mesures étaient déjà appliquées dans la plupart des régions d'Afrique alors que les États-Unis se débattaient dans une politique idéologique [24] partisane sur le port du masque. Un rapport conjoint des comités des sciences et de la santé et de la Chambre des communes a affirmé [25] que le Royaume-Uni avait des résultats « bien pires » que de nombreux autres pays au début de la pandémie, en raison de la « pensée de groupe » parmi les scientifiques et les responsables gouvernementaux, ayant entraîné plus de 150 000 décès.

Alors que l'Europe et les États-Unis accusent l'Afrique de propager le virus, leurs politiques sapent la réponse mondiale au COVID-19. Le nationalisme vaccinal de l'Occident met l'accent sur la dépendance exclusive à l'égard des entreprises privées détenant des brevets pour le vaccin, ainsi que sur la dynamique d'un système de marché libre pour déterminer qui l'obtient. En bref, les pays les plus riches recevront le vaccin.

Pour en savoir plus : Le vaccin contre le COVID-19 en Afrique : en porte-à-faux entre le soft power chinois et le nationalisme vaccinal occidental, partie I [26] [fr] et partie II [26] [fr]

Les États-Unis et l'UE ont passé [27] avec succès des commandes anticipées pour des millions de vaccins, en laissant très peu pour les pays moins développés. Les conséquences, maintenant évidentes avec le variant Omicron, sont que l'Europe et les États-Unis, qui se sont efforcés [28] de vacciner la majeure partie de leur population avant les pays moins riches, continueront de lutter pour contenir le virus jusqu'à ce que les autres pays soient également complètement vaccinés. 

Malgré le nationalisme vaccinal des pays occidentaux, l'Afrique semble avoir mieux réussi à freiner la propagation de la pandémie. Au 29 novembre, le continent avait enregistré 221 635 décès contre 1 104 494 en Asie, 2 341 205 dans les Amériques et 1 491 599 en Europe, selon [29] le Centre européen de contrôle des maladies. En outre, « le taux de létalité africain (TL) pour la maladie est inférieur au taux mondial », selon une étude [30] menée par le Partenariat pour une réponse fondée sur des preuves au COVID-19 (PERC), qui explique pourquoi le taux de décès était plus faible sur le continent. 

Une étude menée par des spécialistes de la santé publique, les Drs Itai Chitungo et Mathias Dzobo, affirme [31] qu'il est « inexact d'offrir comme seules explications au faible nombre de cas de COVID-19 signalés en Afrique une capacité de test limitée, des systèmes de santé médiocres et des signalements sous-estimés ». La jeune population du continent, le climat favorable et des mesures rapides ont contribué [32]à endiguer la vague pandémique. 

Une autre explication des faibles taux de mortalité liés au COVID-19 sur le continent a été donnée par le Dr Olúwatómidé Adéoyè, un scientifique spécialisé en développement de médicaments basé à Lisbonne, au Portugal. Il a déclaré à Global Voices via le chat Twitter que des tests sanguins connus sous le nom d'enquêtes sérologiques menés dans le sud-est [33], le sud-ouest [34] et le nord-ouest [35] du Nigeria « suggèrent qu'entre 25 à 50 % des habitants ont déjà contracté le Covid. Lorsque vous plaquez cela sur l'âge et la comorbidité avec un risque ajusté de décès ou d'hospitalisation, il est logique que nous [les Nigérians] n'ayons pas été si affectés ».

Le taux d'administration de vaccins par continent montre que l'Afrique est à la traîne avec 2,98 %. L'Asie (67,9 %) arrive en tête, suivie de l'Europe (11,9 %) et de l'Amérique du Nord (9,4 %)

Le taux d'administration de vaccins par continent en novembre 2021. Crédit image : Our World in Data [36].

La Dr Ayoade Alakija, codirectrice de l'Alliance africaine pour l'approvisionnement de l'Union africaine en vaccins, reproche à l'Occident d'avoir accumulé les doses et refusé de renoncer aux brevets. « C'est le résultat de la thésaurisation des pays à revenu élevé, et c'est franchement inacceptable. Ces interdictions de voyager sont basées sur la politique et non sur la science », a-t-elle déclaré [37].

En mars 2021, COVAX, dont le mandat était d'assurer un taux de vaccination contre le coronavirus juste et équitable dans tous les pays, a alloué [38]plus de 500 000 doses au Royaume-Uni qui avait déjà atteint un taux élevé de couverture vaccinale. En revanche, le Botswana, qui n'avait pas commencé sa campagne de vaccination, s'est vu attribuer 20 000 petites doses de vaccin.

Les pays africains sont confrontés [39]à des difficultés pour distribuer les vaccins à cause de la bureaucratie, de problèmes de stockage et des informations fausses ou biaisées [40] sur le vaccin faisant hésiter les gens. Mais cette hésitation n'est pas exclusivement africaine. Une étude a montré [41] qu'elle est plus élevée dans les pays les plus riches comme la Russie et les États-Unis, ce qui a été confirmé par une autre étude, réalisée par le professeur de pathologie Malik Sallam, qui a montré [42]que l’Italie, la Russie, la Pologne, les États-Unis et la France avaient de faibles taux d'acceptation du vaccin contre le COVID-19.

Les scientifiques se penchent sur le variant Omicron

L'affirmation du président américain selon laquelle l'interdiction de voyager en Afrique était fondée sur la « science [11] » est contredite par de nombreux scientifiques réputés.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu'il n'était toujours « pas vraiment évident [43] » de savoir si le variant Omicron se propage plus rapidement ou provoque une maladie plus grave que le Delta. Le Dr Amesh Adalja, professeur spécialisée en maladies infectieuses à l'université Johns-Hopkins, a déclaré [44] à l'Associated Press que l'interdiction de voyager prise « automatiquement » par les politiciens occidentaux était contre-productive, car les pays disposent déjà de tests rapides et de vaccins. 

Caroline Colijn, mathématicienne et épidémiologiste à l'université canadienne Simon Fraser, affirme [45] que « le variant Omicron a déjà été détecté dans des pays hors de la région ciblée ». Le 29 novembre, six ressortissants écossais n'ayant pas récemment voyagés [46] ont été testés positifs dans leur pays au variant Omicron, ce dernier étant déjà présent aux Pays-Bas depuis le 19 novembre, selon [47] l'Institut national de la santé publique (RIVM) .

Un mec qui a tweeté ce qui suit lorsque Trump a interdit les voyages en provenance d'Europe/Chine interdit désormais ceux en provenance de pays africains. L'ironie est que les soi-disant « médias libéraux » fournissent un « contexte scientifique » à la décision de Biden tout en présentant celle de Trump comme raciste. Le journalisme est en panne.

Au contraire, des scientifiques de l'université Johns-Hopkins ont montré que le pays qui rapporte en premier le résultat du séquençage de COVID-19 sur le nouveau variant « peut ne pas en être l'origine ». La Dr Jennifer Nuzzo, chercheuse principale au Centre de sécurité sanitaire de cette université, affirme [50] en outre que « pénaliser les pays qui les signalent peut avoir un effet dissuasif sur la surveillance des variants ».

En outre, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies affirment [51] que « bloquer les voyageurs en provenance de pays où un nouveau variant est signalé n'a pas donné de résultat significatif ». Par conséquent, il est « naïf » pour des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni de croire qu'imposer des restrictions de voyage « empêchera l'apparition » du nouveau variant Omicron sur leurs territoires, a déclaré [52]le vaccinologue Shabir Madhi à Channel 4 News. 

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS, affirme [53] que « plus nous laissons le virus COVID-19 circuler, muter et devenir potentiellement plus dangereux », moins notre monde sera sûr, quel que soit le pays où l'on vit, sa richesse, sa localisation, et son taux de vaccination.