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Les Jeux Olympiques de Tokyo 2020 ont été productifs pour Taïwan : ses athlètes ont remporté une douzaine de médailles, dont deux médailles d'or. Mais quand les médaillés montaient sur la première marche du podium pour recevoir leur récompense, le drapeau national de Taïwan ne flottait nulle part. Il avait été remplacé par la fleur de prunier formant le logo du Comité olympique de Taipei chinois.
L'équipe taïwanaise ne peut utiliser un autre drapeau aux JO, car le Comité international olympique (CIO) et les Nations unies refusent encore et toujours de laisser Taïwan utiliser son nom officiel, la république de Chine, ou son nom usuel, Taïwan, dans un cadre international à cause des conflits persistants entre l'île et la Chine.
Dans les faits, Taïwan est un État-souverain depuis qu'en 1949 le Kuomintang (KMT), aussi connu sous le nom de Parti nationaliste chinois, a perdu la guerre civile chinoise. Les membres du KMT ont fuit la Chine et rétablit sa république sur l'île. La Chine revendique néanmoins la souveraineté sur Taïwan.
Cette dernière participe aux Jeux Olympiques depuis 1932, malgré le boycott des Jeux de 1976 et 1980, les pays d'accueil ayant refusé que les athlètes participent sous le nom de république de Chine.
Le pays a de nouveau participé aux JO en 1984, après un accord [zh] passé à Lausanne, en 1981, entre le Comité olympique taïwanais et le CIO. Depuis, Taïwan ne peut prendre part aux Jeux Olympiques que sous le nom de Taipei chinois.
Déployer le drapeau national insulaire aux JO reste une question sensible. Lors des Jeux de Londres en 2012, son retrait des panneaux publicitaires de rue installés par le Comité olympique de Londres fit polémique.
De nombreux athlètes taïwanais assurent être humiliés et déprimés par ce traitement. En 2018, Chi Cheng, un ancien médaillé olympique en athlétisme, a créé l'organisation « Campagne pour l'équipe de Taïwan aux JO de Tokyo 2020 », militant en faveur d'un référendum afin que le nom « Taipei chinois » devienne « Taïwan » dans toutes les compétitions sportives internationales, y compris les Jeux Olympiques de Tokyo.
Ce référendum s'est tenu en novembre 2018. Mais, en juillet de la même année, le Comité olympique d'Asie a retiré à Taïwan [en] l'autorisation d'accueillir en 2019 les Jeux de la jeunesse est-asiatique, puis un porte-parole du Bureau des affaires taïwanaises de Chine a déclaré que cette annulation était en réponse au référendum. Le même mois, le CIO a envoyé une lettre [en] au gouvernement taïwanais les avertissant qu'ils risquaient leur place aux JO s'ils changeaient leur nom.
Au milieu des pressions internationales, 45,2 % ont voté pour, et 54,8 % contre le référendum sur le changement de nom. La question du nom de Taïwan dans les événements sportifs internationaux est néanmoins loin d'être réglée. Chi Cheng prévoit [zh] de tenir à nouveau ce référendum avant les JO de Paris en 2024.
Même si Taïwan ne pouvait pas officiellement changer son nom aux JO de Tokyo, les présentateurs et présentatrices lors de ces Jeux ont annoncé en japonais l'équipe de Taïwan plutôt que l'équipe de Taipei chinois à l'entrée des athlètes dans le stade olympique lors de la cérémonie d'ouverture. De nombreux Taïwanais et Taïwanaises ont remercié le Japon pour sa reconnaissance sur les réseaux sociaux. Claire Wang, législatrice taïwanaise, a souligné [zh] ce moment sur sa page Facebook :
剛看完東京奧運進場儀式,實在是好感動!
聽說日本NHK 在播報時,是用「台湾(タイワン)」來介紹我們。
真心希望有朝一日,我們能真正以台灣之名登場
Je viens de regarder la cérémonie d'ouverture, et je suis tellement émue ! J'ai entendu la NHK nous présenter en tant que « Taïwan » lors de sa diffusion en japonais. J'espère vraiment qu'un jour nous pourrons utiliser aux Jeux Olympiques notre propre nom : Taïwan.
Jhy-wei Shieh, un diplomate taïwanais, a néanmoins fait remarquer [zh] qu'un appel international au changement de nom était inutile pour Taïwan en raison de la dynamique politique sous-tendant le CIO :
我可以告訴各位,以中國的勢力,他們真的是作得到以「台灣官方主導正名公投」為由達到讓台灣選手不能參賽的目的!
台灣/Taiwan 要正名,沒錯,但是可以自己作的事,為什麼要冒險交給反對者參與決定?國際奧委會是中國的場子,不是台灣人的
Je peux vous dire que la Chine a le pouvoir (au CIO) d'empêcher les athlètes taïwanais de se joindre aux Jeux en accusant le gouvernement insulaire de mener le référendum. Certes, Taïwan devrait utiliser son propre nom. Mais pourquoi risquer de laisser cette décision à nos opposants ? Le CIO est le terrain de jeu de la Chine, pas de Taïwan.
Lee Yian, un journaliste de l'Initium, un site chinois de journalisme d'enquête en ligne, a cependant rappelé [zh] sur Facebook que si Taïwan a accepté de participer aux JO sous le nom de « Taipei chinois », le gouvernement chinois pourrait à l'avenir tenter de faire passer ce nom de « Taipei chinois » à « Taipei, Chine » :
今日你在中國官媒《新華網》輸入「中華台北」,已經搜尋不到任何詞條和報導了;在這屆東京奧運裡,中國也已經幾乎都是用「中國台灣」來稱呼台灣代表隊了。
Si vous cherchez aujourd'hui le terme « Taipei chinois » sur les organes de presse contrôlés par la Chine, vous ne trouvez aucun article ou reportage. La Chine a utilisé l'expression « Taipei, Chine » pour parler des athlètes taïwanais pendant les JO de Tokyo.
Taipei chinois est plus ambigu car « chinois » peut se référer à la langue ou l'ethnie Han. D'un autre côté, Taipei, Chine suggère que Taïwan est une ville appartenant à la RPC, comme Hong Kong, Chine. Ce changement de termes ébranlerait encore plus le statut d'état autonome et indépendant de Taïwan.
Lee a expliqué que début 2016, Xinhua a annoncé des directives portant sur les Termes sensibles et interdits dans les informations (《新聞信息報道中的禁用詞和慎用詞》). Dans la section sur les « Organisations internationales et non-gouvernementales dans les domaines de l'économie, du marché et du commerce internationaux, de la culture et du sport », les délégués taïwanais devaient venir de Taïwan, Chine ou Taipei, Chine. Les organes de presse ont besoin de la permission du ministre des Affaires étrangères ou du Bureau des affaires taïwanaises pour utiliser la dénomination Taipei chinois dans leurs articles.
L'intégration de Taïwan à la Chine est devenu un élément clé du grand projet politique chinois de rajeunissement [en] mené par le président Xi Jinping. En 2019, il a développé l'idée selon laquelle l'unification avec Taïwan serait calquée sur le modèle politique hongkongais : « un pays, deux systèmes ». L'usage officiel de Taipei, Chine est aligné sur les ambitions politiques de Pékin.
Lee pense que la dénomination de Taïwan sur la scène internationale, comme aux Jeux Olympiques, restera un champ de bataille politique.