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« Le kazakh est parfait pour le rap » : un entretien avec Yevgeniya Plakhina

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Kazakhstan, Arts et Culture, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Histoire, Jeunesse, Langues, Médias citoyens, Musique, End of USSR: 30 years

Capture d'écran de la chaîne YouTube [1] de Gost Entertainmen, présentant la chanson Agha avec les paroles en kazakh.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

Trente ans déjà que le Kazakhstan a embrassé l'indépendance, mais le pays est encore en train de se construire, autour de sa langue, son histoire collective et sa diversité culturelle, car ce vaste pays d'Asie centrale regroupe plus d'une centaine de groupes ethniques. La musique joue un rôle crucial dans la définition des différentes identités que prennent les communautés diverses, les genres et les groupes d'âge. Alors que des artistes redécouvrent et réinterprètent la musique traditionnelle [2] [fr] des tribus nomades kazakh, d'autres cherchent leur inspiration dans la K-Pop [3] [fr].

Global Voices a discuté avec la journaliste et commentatrice culturelle Yevgeniya Plakhina, une contributrice [4] du site, pour nous faire partager le riche héritage musical et décoder la multiplicité des styles, langues, références et messages au sein de la musique contemporaine kazakhstanaise.

GV : Pendant de nombreuses années, une fois le pays indépendant de l'Union soviétique, la scène musicale locale et alternative ne se diffusait en Asie centrale (dont le Kazakhstan) que dans des clubs underground devant de faibles audiences. Qu'est-ce qui a changé depuis, et pourquoi ?

Yevgeniya Plakhina: Alternative music was always there, but it was for a limited number of people only, because to become famous you needed to have media exposure inside the country. Now in the internet era, that is no longer a problem.

It is also a language issue: Kazakh has become more visible after being suppressed during the Soviet period, until the late 1980s. The most creative artists are the ones singing in Kazakh or in a mix of Kazakh and Russian.

During the Soviet period, Russian was the language of education. After independence, few ethnic Kazakhs spoke their language at home, if they lived in cities, because Russian still dominated in all aspects of life. Kazakh-language schools were few. Now the attitude towards the language has changed. People have been exploring their identity, which is inextricably connected to language. Young people, including non-ethnic Kazakhs, learn the language, and feel they are part of Kazakh culture. Many Russian-speakers have also moved out of the country, while ethnic Kazakhs from the countryside have moved into the cities, changing the balance in favor of the Kazakh language.

Yevgeniya Plakhina : La musique alternative a toujours été là, mais pour un petit nombre de personnes, parce que pour devenir célèbre, tu dois avoir accès aux médias de ton pays. Désormais, à l'ère de l'internet, ce n'est plus un problème.

Il y a aussi la question de la langue : le kazakh a gagné en visibilité après avoir été réprimé lors de la période soviétique, jusqu'aux années quatre-vingts. Les artistes les plus créatifs et créatives sont ceux et celles chantant kazakh ou dans un mélange de kazakh et de russe.

Cette dernière était la langue de l'éducation lors de la période soviétique. Après l'indépendance, peu de membres de l'ethnie kazakh parlaient leur langue à la maison, s'iels vivaient en ville, car le russe dominait encore dans de nombreux aspects de la vie. Les écoles en kazakh étaient rares. Mais l'attitude envers le langage a changé. Les personnes explorent leur identité, qui est inextricablement liée à la langue. Les jeunes, même d'une autre ethnie que kazakhe, l'apprennent, et sentent qu'iels font partie de la culture kazakhe. Nombre de locuteurs et locutrices ont aussi quitté le pays, alors que les Kazakhs ont emménagé en ville, modifiant l'équilibre en faveur du kazakh.

GV : Comment en es-tu venue à t'intéresser à la musique contemporaine kazakhstanaise ? 

YP: I don't speak Kazakh very well. My Greek great-grandmother spoke Kazakh to me when I was a kid. For more than three generations, my family has been close with an ethnic Kazakh family whose members spoke to me in Kazakh. This heritage is close to my heart and my roots.

Music became an important medium to express myself. The turning point was a Halloween party I attended: Ghalym Moldanazar, now a star of Kazakh music [5], played his songs in a big house full of people who were chanting his name. I realized indie music was not just a Western trend. It had a local version. After listening to the band G.H.A.D [6]., I also understood that this kind of rap music has very political language, close to activism. I think Kazakh language is perfect for rap, its rhythm, mixed with political texts in our local context sounded amazing.

YP : Je ne parle pas très bien kazakh. Mon arrière-grand-mère grecque me le parlait quand j'étais petite. Depuis plus de trois générations, ma famille a tissé des liens étroits avec une famille kazakh dont les membres me parlaient en kazakh. C'est un héritage cher à mon cœur et à mes racines.

La musique est devenue un important moyen d'expression pour moi. Le tournant s'est arrivé lors d'une fête pour Halloween : Ghalym Moldanazar, maintenant une star [5] de la musique kazakhstanaise, a joué dans une grande demeure remplie de personnes qui scandaient son nom. J'ai réalisé que la musique indie n'était pas qu'une mode occidentale, on trouvait des versions locales. Après avoir écouté le groupe G.H.A.D. [5], j'ai aussi compris que ce type de rap était très politisé, quasiment de l'activisme. Je trouve le kazakh parfait pour le rap : son rythme, associé à des textes politiques dans un contexte local, sonne d'enfer.

GV: Comment t'est venue l'idée de créer une playlist ? 

YP: I created this playlist to prepare for a lecture about Kazakh media I was giving to US students. People don't know much about this country, they might mention Borat [7] or the many changes of the name of our capital. Cultural products such as cinema and music make people understand better other cultures, so I prepared this playlist of music that spans from the 2000s–2020s. When I posted it, even local Kazakhstanis shared it. I update the playlist regularly, so it is a project in progress. I look at social media, ask people what they like or listen to, and add new entries, including older songs.

YP : J'ai créé cette playlist en préparation d'une conférence sur les médias kazakhstanais que je donnais à des étudiants et étudiantes étasunien·nes. Iels ne connaissaient quasiment rien de ce pays, à part le nom de Borat [8] [fr] ou peut-être le fait que notre capitale avait souvent changé de dénomination. Les œuvres culturelles, comme les films ou les chansons, permettent de mieux appréhender les cultures différentes, c'est pourquoi j'ai préparé cette playlist couvrant les années 2000 à 2020. Une fois en ligne, elle a même été partagée par des Kazakhstanais et Kazakhstanaises. Je la mets régulièrement à jour, c'est donc un projet en cours. Je regarde sur les réseaux sociaux, demande aux gens ce qu'ils aiment ou écoutent, puis rajoutent de nouveaux éléments à ma liste, y compris des chansons plus anciennes.

GV : Quelle est ta chanson préférée de la playlist et pourquoi ? 

YP: I will suggest two: “Undeme” by The Buhars. I like the voice of the female singer, and their concept of contemporary music played in traditional instruments.

YP : Je vais en donner deux : Undeme par The Buhars. J'aime la voix de la chanteuse et leur concept de musique contemporaine jouée sur des instruments traditionnels.

YP: And for the second, I would go for “Agha” by Irina Kairatovna and Kairat Nurtas. It's funky: “Agha” means “uncle,” but colloquially it refers to a man having a large social influence. Nurtas represents popular music often heard at weddings. So it feels like a very unlikely mix of two very different worlds.

YP : Quant à la seconde, ce sera Agha, d'Irina Kairatovna and Kairat Nurtas. C'est funky : Agha signifie oncle, mais au sens familier d'un homme qui a le bras long. Nurtas représente la musique populaire que l'on entend souvent dans les mariages. Ça sonne donc comme la rencontre inopinée de deux mondes très différents.

Voici la playlist complète de Plakhina sur YouTube [9], comprenant quarante chansons à découvrir pour apprécier la musique contemporaine kazakhstanaise :

On peut aussi en écouter la plupart sur cette playlist Spotify [10] :