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Un an après, l’Université du Bosphore résiste encore

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Turquie, Censure, Droit, Droits humains, Education, Gouvernance, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Extrait d'une interview vidéo d'une des professeures licenciées, par Gerçek Gündem

Ce mois marque l'anniversaire des manifestations de l'université de Boğaziçi [1], qui ont eu lieu après la nomination d'un nouveau recteur par le président Recep Tayyip Erdoğan. Alors que le recteur controversé Melih Bulu, nommé par le gouvernement, a été démis de ses fonctions [2], les protestations se poursuivent [3] dans la prestigieuse école.

Le conflit a débuté en réaction à la nomination externe d’un nouveau recteur le 1er janvier 2021 ; ce que les étudiants et les universitaires ont dénoncé comme un nouveau recul de la démocratie en Turquie, comparant cette nomination au remplacement de plus de cents maires élus au profit d’individus nommés par le gouvernement au cours des dernières années [11]. L’année dernière, de nombreux affrontements [12] ont eu lieu entre la police et les étudiants. Ces derniers ont aussi organisé des sit-ins sur le campus. De son côté, le corps enseignant a protesté en tournant le dos tous les jours au bâtiment du rectorat depuis le début des protestations.

Puis en juillet, le parti au pouvoir, le Parti de la Justice et du Développement (AKP), a révoqué Melih Bulu par un décret de minuit [2], remplaçant [3] l'ancien recteur par le Professeur Naci İnci. Ce dernier dirigeait auparavant le département de physique de l'université et occupait le poste de vice-recteur pendant le mandat de Bulu. Ce remplacement a provoqué de nouvelles manifestations, qui continuent encore aujourd'hui.

L'école dispose d'un vaste processus d'élection interne, de sorte que les deux nominations externes ont été considérées comme une « violation de la liberté académique, car elles contournaient les élections du rectorat et c'était la première fois qu'une personne extérieure à l'université était placée au siège du rectorat depuis le coup d'État du 12 septembre 1980 », a rapporté Gazete Duvar.

Le 3 janvier 2022, les enseignants de l’établissement ont publié un communiqué [3] dans lequel ils s'engagent à continuer leur lutte contre la nomination d'Inci. Cette nomination s’est faite selon eux de manière « opaque » en « méprisant la volonté de l'université. »

Can Candan a été renvoyé en juillet 2021 du programme de certificat d'études cinématographiques du département des langues et littératures occidentales de l'université, sur ordre du nouveau recteur. Depuis son compte personnel Tweeter, il a écrit :

Il y a exactement un an aujourd'hui, le 3 janvier, en qualité de professeurs de l’Université du Bosphore, nous avons pour la première fois affirmé #Nousrefusonsd'accepternousn'abandonneronspas. Nous continuerons à défendre nos valeurs et notre établissement, pour une université libre, indépendante et démocratique en Turquie.

 

Inci a également licencié [17] d’autres employés de l’université, Feyzi Erçin, Özcan Vardar et Seda Binbaşgil, malgré la contestation des étudiants et du corps enseignant. Des dizaines d'étudiants [18] ont en outre été victimes de violence policière [12] durant l'année dernière [19], et au moins deux étudiants du Bosphore, Berke Gök et Perit Özen, sont en garde à vue depuis octobre 2021 selon Bianet [3] [agence de presse turque]. Toujours en octobre, Inci a fait suspendre [20] plusieurs des étudiants qui avaient manifesté contre sa nomination.

Dans ses réflexions sur l'année écoulée, la professeure Ayşe Gürel a écrit [17],

Depuis un an, l'université du Bosphore, l'une des très rares universités publiques turques qui est accessible financièrement à de nombreux jeunes et qui offre des cours de rang mondial, est démolie de façon méthodique. Comme plusieurs de mes collègues qui ont consacré leur vie à cette université, un bien commun de ce pays, je déplore ce qui est arrivé. Je pense que l'administration qui a conduit l'université à cette destruction programmée, et toutes les autres personnes et organisations qui sont responsables de cela, devront rendre des comptes à notre pays et surtout à sa jeunesse. Quoi qu'il en soit, nous continuerons à nous battre et à dire ce que nous pensons juste, pour que l’institution puisse survivre à ces bouleversements.