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Les Golden Horse Film Awards de Taiwan mettent en lumière les productions censurées de Hong Konga

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Hong Kong (Chine), Taïwan (ROC), Arts et Culture, Censure, Film, Humour, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Advox

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Clara Law, Jun Li et Kiwi Chow. Image fournie par The Stand News [1] [zh], reproduite avec autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.]

La 58ème édition des Golden Horse Film Awards [2], surnommée les « Oscars » en langue chinoise, s'est tenue à Taipei le 27 novembre. En 2019, le conseil national du cinéma chinois a enjoint les réalisateurs et les acteurs à boycotter l'événement [3] si bien que, pendant trois années consécutives, le festival du film n'a proposé aucun film chinois grand public sur la liste des nominations.

La pression politique exercée par Pékin a aussi affecté Hong Kong. Des réalisateurs et des acteurs de premier plan dans l'industrie du film commercial ont été contraints de refuser les nominations aux prix [3] par crainte de perdre le marché de la Chine continentale. Contre toute attente, ces tensions ont généré un espace pour les productions hongkongaises, indépendantes et moins commerciales.

Cette année, « Revolution of Our Times » de Kiwi Chow [4] [fr], documentaire interdit consacré aux manifestations de 2019 contre l'extradition chinoise à Hong Kong, a décroché le prix du meilleur documentaire. « Drifting Petals » de Clara Law a remporté le prix du meilleur réalisateur et « Drifting » de Jun Li le prix du meilleur scénario adapté. Ces trois films relatent les récits sur les mouvements militants de la ville.

Prix du meilleur documentaire : « Revolution of Our Times »

Le titre de « Revolution of Our Times » est tiré d'un slogan de protestation lancé lors des manifestations de 2019. En juillet dernier, la Haute Cour de Hong Kong a statué sur le fait que la diffusion de ce slogan était assimilée à un acte d'incitation dans le cadre du procès de Tong Ying-kit [5]. L'œuvre de Kiwi Chow a été interdite à Hong Kong, tout comme les autres films évoquant les mouvements pro-démocratiques de la ville et ses tensions politiques avec la Chine.

En vertu de l'ordonnance sur la censure des films récemment modifiée [6] [fr], les films portant atteinte aux intérêts de la sécurité nationale ne peuvent être projetés à Hong Kong, et toute personne diffusant illégalement des films sans licence est passible de trois ans d'emprisonnement et d'une amende d'un million de dollars hongkongais. Sur Twitter, @MenSuen a compilé une liste de films bannis ou fortement modifiés avant leur sortie :

Vous vous souvenez peut-être qu'il y a quelque temps, nous avons réalisé une séance de questions-réponses sur les films que le Parti Communiste Chinois (CCP) a en horreur, et bien voici un nouveau lot de films consacrés à la lutte pour la liberté de Hong Kong [8]. Beaucoup ont été censurés à #HK [9] mais cela n'empêche pas le monde entier de les visionner. Veuillez les réclamer auprès de @netflix [10] ! pic.twitter.com/6gROEYNYIv [11]
– IFC (@MenSuen) 21 octobre 2021 [12]

Le documentaire de Kiwi Chow a été critiqué [4] par les médias pro-Pékin pour avoir prôné l'indépendance de Hong Kong après sa projection au Festival de Cannes 2021.

Kong Tsung-gan, activiste hongkongais, a relevé sur Twitter la réaction du public et le discours filmé du réalisateur au moment de la remise du prix :

Le film @RoOT [13] (“Revolution of Our Time”) remporte le prix du meilleur documentaire aux Golden Horse Awards. Après la projection, le public a scandé : « Liberate Hong Kong, revolution of our times ! » (« Libérez Hong Kong, la révolution de notre temps ! »). Le réalisateur Kiwi Chow : « Ce film est la propriété de tous les Hongkongais doté d'une conscience et d'une légitimité et qui versent des larmes pour Hong Kong ». https://t.co/IRmRKwSWEe [14] pic.twitter.com/poZ2iEBkU7 [15]
– Kong Tsung-gan / 江松澗 (@KongTsungGan) 27 novembre 2021 [16]

Prix du meilleur réalisateur : « Drifting Petals »

La réalisatrice Clara Law est née à Macao, a grandi à Hong Kong et a émigré en Australie. Dans son film « Drifting Petals », elle a revisité les villes jumelles pendant les manifestations de 2019 et a raconté l'histoire de Hong Kong et de Macao sous le prisme de la diaspora.

Hong Kong et Macao sont deux anciennes villes coloniales situées à la périphérie de la Chine continentale. À la fin des années 1990, elles ont été réunifiées au sein de la Chine selon le principe constitutionnel « Un pays, deux systèmes [17] » [fr]. À travers la rencontre du voyageur avec les manifestants et les esprits du passé, au fil de son périple la réalisatrice tisse des liens entre le conflit contemporain à Hong Kong, les émeutes de Macao de 1966 [18] [fr] contre le gouvernement colonial portugais et le soulèvement de Guangzhou de 1895 [19] contre la dynastie Qing.

Bien que le film ne traite pas directement des manifestations de 2019 à Hong Kong, il a peu de chances d'être projeté dans les cinémas de la ville, comme l'a souligné Lai Chak Ling, une actrice du film, qui a représenté Clara Law lors de la remise du prix du festival du film :

Prix du meilleur scénario adapté : « Drifting »

« Drifting » du réalisateur Jun Li est le seul des trois films primés à avoir pu être diffusé dans les cinémas de Hong Kong.  Le film est inspiré d'un procès réel survenu en 2012 et impliquant un groupe de sans-abri dans le quartier de Sham Shui Po [20], quartier à faibles revenus et en voie d'embourgeoisement. Le procès a été initié par un groupe de sans-abri réclamant une compensation et des excuses de la part du gouvernement, après que des agents de police et des nettoyeurs de rue les ont forcés à quitter leurs campements en jetant leurs affaires sans aucun préavis.

La demande d'excuses officielles des « citoyens sans abri » a trouvé un écho auprès des manifestants pro-démocratie de la ville lors des manifestations de 2019.

Comme l'a souligné Michael Mo, membre de la diaspora hongkongaise au Royaume-Uni, le réalisateur a utilisé le chant politiquement sensible « Hong Kong Add Oil [21] » 香港加油 quand il a reçu le prix :

Le film « Drifting [22] », réalisé à Hong Kong [8], a reçu le prix du meilleur scénario adapté lors de la 58ème édition des @Golden_Horse [23] Awards. À la fin, le réalisateur a prononcé son discours en cantonais, concluant par #香港加油 [24] (« Cheer up Hong Kong »), un slogan jugé désormais séditieux.
Merci Taiwan. pic.twitter.com/0JcYdPCGFR [26]
– Michael Mo (@michaelmohk) 27 novembre 2021 [27]

« May you stay forever young » et « Coffin Homes »

Outre les lauréats, deux autres productions hongkongaises nominées ont été saluées [28] [zh] par les critiques du festival.

Doté d'un budget de production inférieur à 600 000 dollars hongkongais (environ 77 000 dollars américains), « Will you stay forever young » de Rex Ren et Lam Sum a été nominé dans les catégories meilleur nouveau réalisateur et le meilleur montage de film.

Le film a également été censuré [29] [zh] à Hong Kong parce qu'il abordait la question des manifestations de 2019. Il met en scène une équipe de secours à la recherche de jeunes manifestants ayant tenté de se suicider du fait de conflits générationnels dans leurs familles.

Le titre, « Will you stay forever young », tire son inspiration d'un jeune manifestant de 15 ans dans le film : « Les gens seront-ils condamnés à changer en grandissant ? Si c'est le cas, je ne veux pas grandir ».

Le film « Coffin Homes » du cinéaste confirmé, Fruit Chan, a été nominé sur plusieurs prix. Cette comédie à suspense, projetée à Hong Kong en août 2021, critique vivement l'exploitation capitaliste dans la ville, à tel point que les fantômes eux-mêmes doivent se disputer l'espace vital entre eux, et avec les vivants.