[Sauf mention contraire, tous les articles renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]
Avis relatif au contenu: cet article fait mention de la dépression, du suicide et des violences policières.
Le 17 janvier, une manifestation pacifique regroupant des réfugiés afghans a violemment été stoppée par la police à Pekanbaru en Indonésie, ville située sur l'île de Sumatra. Les réfugiés tentaient d'attirer l'attention du monde entier sur les années de déplacement, de maltraitance et de négligence qu'ils ont subi de la part du gouvernement indonésien et de la communauté internationale. La police a dispersé la foule en battant les manifestants à coups de matraque. De nombreux manifestants auraient été blessés.
La manifestation a débuté devant le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR) suite au suicide d'un membre de la communauté afghane le 16 janvier dernier. Cette personne était la quinzième parmi les membres de la communauté à décéder des suites d'un suicide. Veronica Koman, une représentante d'Amnesty International, a tweeté une vidéo de l'affrontement [attention: le contenu de cette vidéo peut être choquant, âmes sensibles s'abstenir] :
Dozens of Afghan refugees were subjected to violence during forced dispersal by Indonesian police today (17/1/22) in Pekanbaru.
They were protesting in front of the @UNHCRIndo office following the suicide of an Afghan refugee yesterday.
They are all desperate for resettlement. pic.twitter.com/NiLhZctoAR
— Veronica Koman 許愛茜 (@VeronicaKoman) January 17, 2022
Des dizaines de réfugiés afghans ont subi des violences lors de la dispersion forcée par la police indonésienne en ce jour (17/01/2022) à Pekanbaru.
Ceux-ci manifestaient devant les bureaux de l’@UNHCRIndo suite au suicide d'un réfugié afghan survenu hier.
Ils attendent tous désespérément de bénéficier d'une réinstallation. pic.twitter.com/NiLhZctoAR
— Veronica Koman 許愛茜 (@VeronicaKoman) 17 janvier 2022
Certains réfugiés afghans vivent en Indonésie dans l'instabilité totale depuis plus d'une décennie, dans l'attente de recevoir la nationalité indonésienne ou des documents leur permettant de se rendre dans un autre pays.
Mohammad Juma Mohseni a été forcé de quitter l'Afghanistan en 2011 et vit en Indonésie depuis bientôt dix ans. Lors d'un entretien avec Gandhara news, une succursale de Radio Free Europe, il aurait déclaré « Quinze personne se sont suicidées et nous en avons empêché dix de le faire ». Il ajoute « ni le gouvernement indonésien ni l'UNHCR n'a eu de bonne nouvelle à nous donner ».
Le gouvernement indonésien n'est pas État partie de la convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés, ni du protocole de 1967 visant à éliminer les restrictions quant aux personnes auxquelles s'applique le statut de réfugié. Le Gouvernement ne dispose d'aucune loi officielle en matière d'asile et délègue toute supervision au bureau de l'UNHCR ainsi qu'à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). L'Indonésie compte plus de 13 700 réfugiés afghans présents sur le territoire depuis plus de dix ans.
Selon la SUAKA, une organisation de la société civile indonésienne pour la défense des droits des réfugiés, les demandeurs d'asile en Indonésie ne sont pas autorisés à travailler, à percevoir des prestations sociales de la part du gouvernement indonésien, à posséder une voiture ou une moto, à voyager en dehors des limites de la ville où ils se trouvent, ou à s'inscrire à l'université.
L'OIM subvient à leurs besoins fondamentaux en attendant leur rapatriement ou leur réinstallation.
Inattention internationale et tragédie
L'incident qui s'est produit lundi est le plus récent parmi les nombreux incidents déchirants qui se sont produits au cours de ces derniers mois, tandis que les réfugiés afghans tentent désespérément d'attirer l'attention sur la détresse à laquelle ils font face en Indonésie. Certains d'entre eux campent devant les bureaux de l'UNHCR depuis plusieurs mois dans l'attente de nouvelles informations concernant leur réinstallation et dans l'espoir de sensibiliser le public quant à leur situation.
Le 30 novembre 2021, à Medanon, un groupe de réfugiés afghans a tenu une manifestation d'une durée de 24 heures en face des bureaux de l'OIM. Au cours de cette manifestation, un participant, Ahmad Shah, âgé de 22 ans, s'est immolé. Il vivait en Indonésie depuis 2016, séparé de sa famille et de ses proches, où il demeurait bloqué dans l'attente de pouvoir bénéficier d'une réinstallation.
Celui-ci a souffert de brûlures au troisième degré et aurait été conduit à l'hôpital privé le plus proche avant d'être transféré dans un hôpital public le même jour.
Lors d'un entretien avec The Jakarta Post, Dwi Prafitria Juma, porte-parole de l'UNHCR en Indonésie, aurait déclaré que l'agence était « profondément préoccupée » au sujet de cet incident et qu'une enquête était en cours.
Au moins une vingtaine de personnes s'étaient déjà immolées par le passé. Six d'entre elles ont survécu.
« C'est le septième réfugié que nous sauvons qui souffrait de stress excessif et de dépression à cause de l'instabilité dans laquelle il vit depuis près de sept ans » à déclaré Juma lors d'une conférence de presse tenue devant les bureaux de l'UNHCR.
Au cours de ces derniers mois, en Indonésie, de nombreux réfugiés se sont cousus la bouche en guise de protestation et de désobéissance civile.
Lors d'une interview avec l'agence de presse Voice of America, Ali Yusef, fondateur de Solidarity Indonesia for Refugees (SIR), explique que les réfugiés d'Indonésie se sentent dans l'obligation de prendre de telles mesures car ils se sentent ignorés et réduits au silence. Il s'inquiète également pour leur santé mentale et exhorte les représentants de l'UNHCR à prendre des mesures immédiates.
The facts on the ground are that the UNHCR is less responsive to the fate of refugees in Indonesia. The proof is that they are not able to communicate with UNHCR when they want. … Don't let their delay mean the refugees who are sewing their mouths can injure themselves or even take their own lives. In the name of humanity UNHCR, please meet them. Explain that UNHCR is looking for a solution for them.
La réalité sur le terrain est que l'UNHCR est moins réactive face au sort des réfugiés en Indonésie. La preuve en est que ceux-ci ne peuvent même pas communiquer avec l'UNHCR comme ils le souhaitent. … Ne laissez pas ce manque d'action signifier que les réfugiés qui se cousent la bouchent peuvent s'automutiler ou s'ôter la vie sans conséquences. Au nom de l'humanité, cher UNHCR, allez les rencontrer. Expliquez-leur que l'UNHCR est à la recherche d'une solution pour eux.
Il ajoute « Le monde entier pointera l'Indonésie du doigt pour avoir été indifférente face à ses citoyens internationaux ».
La prise en charge des réfugiés en Indonésie revient à l‘UNHCR et l'OIM jusqu'à ce que ceux-ci bénéficient d'une réinstallation permanente. Par le passé, ils ont tous deux déjà été accusés d'avoir négligé et mal géré des situations impliquant des réfugiés.
Avant la reprise du pouvoir par les Talibans en août 2021, l'Indonésie abritait le quatrième plus grand nombre de réfugiés afghans au monde après l'Iran, le Pakistan et l'Inde. La plupart de ces réfugiés n'avaient l'intention de rester en Indonésie que temporairement avant de pouvoir rejoindre l'Australie. Cependant, en 2013, l'Australie a fermé ses frontières pour les réfugiés et demandeurs d'asile, forçant donc plusieurs d'entre eux à se retrouver bloqués en Indonésie sans aucun recours.
Depuis la chute de Kaboul en août 2021, la situation s'est empirée. Selon les experts, la situation en Afghanistan ne ferait qu'accroître le sentiment d'impuissance auquel de nombreux réfugiés afghans font face. Cette situation brise également les maigres espoirs de pouvoir retourner dans leur pays d'origine ; et cela amoindrit leurs chances de bénéficier d'une réinstallation en raison de l'afflux supplémentaire de nouveaux réfugiés ayant fui les Talibans.
Qui plus est, au cours de ces dernières années, de nombreux pays ont réduit le quota de réfugiés qu'ils puissent accueillir, et selon l'UNHCR, durant la pandémie du Covid-19, le nombre de réfugiés à avoir bénéficié d'une réinstallation à atteint la plus grosse baisse de ces vingt dernières années. L'agence de l'ONU déclare avoir découvert que 160 pays ont fermé leurs frontières en 2020 pendant la pandémie, dont 99 qui n'auraient mis en place aucune exception pour les personnes en danger cherchant refuge.
Par conséquent, de nombreux réfugiés n'ont trouvé aucun moyen de bénéficier d'une réinstallation dans un troisième pays ou d'obtenir ne serait-ce qu'une certaine stabilité.
Pendant plusieurs années, des organisations pour la défense des droits des réfugiés ont demandé à ce que l'Indonésie prenne des mesures pour améliorer les conditions de vie des réfugiés, mais ces demandes n'ont abouti qu'à peu de changements. En attendant, les citoyens fournissent leur aide à hauteur de leurs capacités, en utilisant notamment le hashtag #HelpRefugees_Indonesia sur les réseaux sociaux tels que Twitter ou Instagram, en appel au soutien des réfugiés.
Freedom and a peaceful life are the right of refugees in Indonesia#HelpRefugees_Indonesia pic.twitter.com/L3JV8onO5t
— Nabizada Habib (@NabizadaHabib) January 15, 2022
Les réfugiés d'Indonésie doivent pouvoir mener une vie paisible et être libres #HelpRefugees_Indonesia pic.twitter.com/L3JV8onO5t
— Nabizada Habib (@NabizadaHabib) 5 janvier 2022
Dans une pétition sur change.org au sujet de la situation des réfugiés afghans en Indonésie, Musa Zafar à déclaré:
Their most basic fundamental rights, which are emphasized in international instruments such as the Universal Declaration of Human Rights, are systematically infringed on a daily basis. Their freedom of movement, education, employment, and political and social rights have been ignored. These people have been forgotten and the world has turned a blind eye to their crisis.
Leurs droits fondamentaux, qui sont mis en avant dans des documents internationaux tels que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, sont enfreints systématiquement et de manière quotidienne. Leur liberté de circulation, d'enseignement, d'emploi, ainsi que leurs droits sociaux et politiques ont été mis de côté. Ces personnes ont été oubliées et le monde entier ferme les yeux sur la crise qu'ils traversent.