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Des expériences mitigées lors de la célébration du Ramadan par les femmes musulmanes tchèques

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, République Tchèque, Arts et Culture, Droits humains, Femmes et genre, Manifestations, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Religion

Le Ramadan au centre Al Firdaus de Prague. Après la prière de l'Aïd dans la salle réservée aux femmes. Photo d'Elmira Lyapina, tous droits réservés.

Le 13 mai, le monde musulman et, par conséquent, les musulmans tchèques, ont célébré l'Aïd al-Fitr, la fête de rupture du jeûne du Ramadan. En Tchécoslovaquie, où les musulmans représentent moins de 0,1% des 10,7 millions d'habitants [1] [cz], l'Islam est souvent au centre de nombreux débats et critiques. A l'occasion de l'Aïd, des femmes ont témoigné de la façon dont elles envisageaient leur vie de musulmane en République tchèque et ont évoqué les célébrations de ce mois saint.

Comme chaque année, les musulmans de Prague, la capitale tchèque, ont célébré l'Aïd à la mosquée, qui ressemble plus à une salle de prière au sein du centre islamique Al Firdaus. À Prague, il n'y a pas de mosquée de style classique. Il n'y a en fait qu'un seul minaret dans toute la République tchèque, qui remplit plus une fonction esthétique que religieuse, ajoutant un élément oriental au paysage du château de Lednice [2] [cz].

Toutefois, il existe un certain nombre de centres communautaires islamiques qui servent de mosquées en Tchéquie [3] [cz], principalement à Prague et à Brno, ou, dans d'autres villes, de plus petites salles de prière. Ces centres ont également des activités éducatives et caritatives.

Islam et islamophobie en Tchéquie

Bien qu'en principe le pays soit marqué par les valeurs chrétiennes européennes, la République tchèque est le deuxième pays le plus agnostique au sein de l'Union Européenne [4][en]. Ici, l'Islam a été historiquement associé à quelque chose d’étranger voire même de dangereux [5][cz].

Aujourd'hui, certains hommes politiques ont de plus en plus recours à une propagande anti-Islam dans leur discours populistes ; l'islamophobie allant souvent de pair avec la peur des immigrés.  La communauté musulmane de Tchéquie est pourtant également composée de citoyens locaux convertis. Parmi ces discours figurent ceux de Tomio Okamura [6] [cz], le co-fondateur des partis politiques d'extrême-droite Úsvit et SPD, ainsi que du mouvement  « Islam v ČR nechceme » [7], dont le nom peut être traduit par « Nous ne voulons pas de l'Islam en Tchéquie ». Ces entités participent, organisent et soutiennent différents événements [cz], [8]et rédigent notamment des articles et des blogs qui portent atteinte à l'image des musulmans et de l'Islam.

En 2017, cette rhétorique d'incitation à la violence a conduit à une attaque terroriste ratée contre la communauté musulmane [9][cz], lorsqu'un citoyen [10] est parvenu à faire dérailler deux trains voyageurs et à en faire porter la responsabilité aux immigrés de confession musulmane. Bien que fluctuantes, les idées islamophobes restent prédominantes en Tchéquie : le hijab révélant leur foi, les femmes musulmanes constituent les cibles principales et habituelles des discours et des attaques haineuses. Les agresseurs anti-Islam justifient souvent leur comportement en affirmant qu'ils protègent les valeurs des droits de l'Homme et souhaitent « sauver » les femmes musulmanes qu'ils considèrent comme oppressées et contraintes à porter le hijab.

« Mon corps, mon choix. Je suis oppressée par ceux qui [se permettent] de me dire ce que je dois porter », affirme Katya Novoselova, musulmane d'origine russe. Elle vit à Prague depuis plus de 10 ans et porte le hijab depuis 8 ans, suite à sa conversion.

Quand on leur demande ce que c'est d'être musulmanes en Tchéquie, les femmes répondent de plusieurs façons. Certaines Tchèques converties expliquent qu'elles ont été acceptées par la société, tout comme certaines immigrées, telles la photographe turque Sera Sönmez. Lorsque l'on compare la Tchéquie avec les autres États européens, en particulier la France, elle précise:

Je me sens plus libre et en sécurité ici et personne ne me juge. Personne ne me demande pourquoi je porte ou non un hijab.

Toutefois, d'autres femmes relatent avoir fait l'objet d'attaques verbales, de discours haineux et expliquent, par conséquent, ne pas se sentir à l'aise. Les médias locaux rapportent quotidiennent des incidents islamophobes [11] [cz], comme des discours haineux à l'égard des femmes qui portent un foulard et des attaques sur Internet [12] [cz], certaines ayant été portées devant les tribunaux.

C'est le cas de 2016, de l'histoire médiatisée d’une étudiante somalienne qui, portant le hijab en classe [13] [cz], a fait l'objet de pressions par la directrice de l'école visant à lui faire retirer son foulard, sous peine d'exclusion. Cette dernière a reçu le soutien des mouvements et partis politiques islamophobes et a même reçu une médaille [14] [cz] en 2018, des mains du Président du Gouvernement tchèque, M. Zeman [14], issu de l'extrême-droite, pour la féliciter d'être « une femme courageuse [15] [cz] dans la lutte contre l'intolérance, [et] pour services rendus à l'État ».

Le dossier de cette jeune femme est parvenu jusqu'aux tribunaux. Les tribunaux de première instance et les juridictions d'appel ont initialement décidé de soutenir la position de la directrice de l'école, insistant sur l'attachement de la Tchéquie aux « valeurs libérales occidentales » [16] [cz]. Toutefois, la Cour suprême a affirmé en 2020 que l'étudiante musulmane était en droit de porter le hijab, considérant que « l'interdiction du port du hijab ne poursuivait pas un objectif légitime » [17] [cz].

Bien que cette décision ne soit pas définitive puisque la directrice a prévu de faire appel [17] [cz], les membres de la communauté musulmane tchèque considèrent qu'il s'agit d'un développement positif, non seulement dans le cadre de la confrontation entre l'Islam et les islamophobes, mais également pour le système démocratique qui a vu s'opposer les politiciens au système judiciaire.

Malgré cela, la Tchéquie ne peut être décrite comme étant islamophobe, ces incidents demeurant des cas isolés plutôt que révélant une approche systématique.

De plus, les sentiments d'hostilité à l'encontre des musulmans dans le pays varient selon le climat politique. Les musulmans de Tchéquie multiplient les efforts pour améliorer la connaissance de leur communauté auprès du public. Ils organisent et participent à différents événements, à des moments de dialogue ouvert [18], [cz] rédigent des articles [19] [cz] et des blogs [20] [cz] pour éduquer la population. Ils invitent [21] également celle-ci à participer aux fêtes religieuses musulmanes dans leur foyer ou à la mosquée [22].

« Un Ramadan féminin »

Le Ramadan à Prague, partage du repas. Photo par Elmira Lyapina, tous droits réservés.

Tout au long du mois du Ramadan, des femmes de différentes tranches d'âges, classes sociales et d'origines différentes se rendent à la mosquée au moment de l’iftar [23][fr], le coucher du soleil qui marque l'heure à laquelle les musulmans rompent le jeûne et s'assoient à la même table.

Certaines viennent à la mosquée tous les jours, d'autres pas. Au cours de la journée, elles poursuivent leur vie quotidienne, étudient ou travaillent, puis se rendent à la mosquée pour les prières du soir. D'autres passent leur journée à la mosquée, étudiant dans la petite salle de classe ou lisant le Coran.

Zulfira, une jeune femme tatare de Moldavie, qui vit à Prague depuis plus de 4 ans, explique :

Cette année, je me suis rendue à la mosquée pour l'iftar presque tous les jours, 3 à 4 fois par semaine. Cela me donne de la force et de la patience pour affronter le jeûne, car ce n'est pas facile de ne pas manger ni boire pendant toute la journée. Vous avez besoin de vous motiver d'une manière ou d'une autre. Les gens ici sont très gentils : ils jeûnent également et font preuve de respect, ce qui est une source d'inspiration.

Pour beaucoup de femmes, les célébrations de l'Aid Al-Fitr commencent bien avant : elles achètent des cadeaux et font des préparatifs. Elles passent la nuit précédant l'Aïd à cuisiner.

Le jour de l'Aïd, l'imam en charge de la prière commence les récitations à 8 heures du matin, au rez-de-chaussée. Sa voix parvient jusqu'au premier étage grâce aux haut-parleurs où les femmes prient, installées en rangs. Contrairement à de nombreuses autres régions, comme les Balkans ou la Russie, dans lesquelles les hommes assistent à la prière alors que les femmes restent généralement à la maison, les familles viennent ensemble dans les mosquées tchèques : mari, femme et enfants qui souhaitent participer.

Ensuite, les membres de la communautés échangent leurs vœux ainsi que des cadeaux, des plats et des recettes. Les plats servis reflètent la diversité des femmes musulmanes présentes. En plus des cuisines arabes et turques, Šárka, une tchèque convertie, a préparé des crêpes traditionnelles et Katya, convertie russe, a apporté des gâteaux et des salades traditionnels russes. On trouve également d'autres plats nationaux du monde entier.

Si les plats de l'Aïd sont variés selon les différentes régions du monde, les rituels suivis par la communauté musulmane sont assez similaires. Après la prière, la famille et les amis se retrouvent. La photographe Sönmez évoque ses souvenirs :

En Turquie, les enfants reçoivent beaucoup de friandises, en particulier des « baklava » ou des « kadaif ». Les proches et les voisins viennent et nous échangeons des cadeaux. Les jeunes rendent visites aux personnes âgées.

Jacquiline, une femme d'origine tchèque et soudanaise, qui célèbre le Ramadan dans les deux pays, prépare habituellement des biscuits appelés « Ka'ak » :

En Tchéquie, nous ne passons pas beaucoup de temps à cuisiner, contrairement au Soudan. Les femmes tchèques passent donc plus de temps à prier Allah.

Quand on lui demande comment elle se sent en tant que musulmane en Tchéquie, Jacquiline répond :

Je porte le hijab et cela me convient. Même si parfois je suis critiquée, je peux résister. »

Les célébrations du Ramadan pour l'année 2021 ont été affectées par les effets de la pandémie, par les conflits à Gaza, en Syrie, au Yémen, en Afghanistan, par la fusillade dans une école du Tatarstsan ou encore par les souffrances de la communauté Ouïgour, sujets auxquels la communauté musulmane est sensible. Bien que le message principal diffusé au cours de ce mois saint consiste à partager la joie en famille et entre amis, les célébrations se sont concentrées sur la foi, l'humilité et le renoncement. Dans ce sens, l'esprit du Ramadan, tout comme la philosophie de l'Islam, enseigne la patience.

Comme le dit Kamila, tchèque de confession musulmane :

« L'Islam révèle en fait la vraie nature d'une personne.»