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« Récupérer une identité autochtone d'Amérique centrale est la clé pour mettre fin à notre effacement »

Catégories: Amérique latine, Ethnicité et racisme, Histoire, Médias citoyens, The Bridge

Peinture de l'auteur, Samaria Polet Carias Ayala, utilisée avec son autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais]

Les habitants du sol centraméricain ont inculqué la pensée coloniale à travers les normes sociales espagnoles et un système éducatif occidentalisé. Les enfants apprennent l'espagnol et l'histoire de leurs semblables à travers les voix des conquistadors et les textes qu'ils ont laissés derrière eux. Cette situation se perpétue ensuite par des éducateurs blanchis qui ne racontent que le côté européen de l'histoire.

Ces voix s'infiltrent dans le cœur et l'esprit des peuples indigènes [1] [fr], rongeant de l'intérieur plusieurs de ceux-là qui veulent s'identifier à leurs origines et à leurs ancêtres autochtones, mais qui ressentent un certain degré de confusion, de honte et même de culpabilité en raison du manque d'informations concernant leur ascendance indigène. Imaginez que vous souhaitiez vous connecter à vous-même et à votre famille, mais que vous deviez rassembler des pièces très limitées d'un puzzle volé, tandis que d'autres personnes autour de vous perpétuent votre effacement.

Récupérer une identité nativa (autochtone) est la clé pour renverser des pouvoirs oppressifs. D'après mon expérience, ce terme se réfère davantage aux Centraméricains qui ont, à un moment donné, vécu en harmonie avec la terre, mais qui résident désormais au nord de Turtle Island [2] ou dans des villes d'Amérique centrale. Le terme indígena (indigène) est réservé à ceux qui vivent encore isolés de la Madre Tierra (Terre Mère) et sans communion avec le mestizaje (métissage) des Amériques.

L'effacement revient à considérer ces identités comme absurdes. L'effacement consiste à voler des terres et à pousser les peuples autochtones vers des environnements arides ou stressants, tels que des lieux urbanisés ayant un lien limité avec l'environnement naturel. L'effacement signifie imposer le mestizaje, une identité qui prend racine dans l'acceptation de la conquête espagnole et la négligence de l'existence des indigènes avant la colonisation.

En effet, selon Mujeres de Maíz [3], un collectif en ligne de peuples indigènes, « le Guatemala a l'une des plus grandes populations indigènes du monde ». Pourtant, le gouvernement guatémaltèque ne reconnaît que 40 % de la population comme indigène, alors que les dirigeants indigènes locaux affirment qu'ils en représentent plus de 60 %. Ceci est un exemple d'effacement statistique. Cela vaut également pour d'autres États-nations d'Amérique centrale, comme le Honduras, qui indique seulement que « près de 9 % [4]de la population totale s'identifie comme membre d'un groupe autochtone ou minoritaire ».  Par conséquent, tout autochtone qui a été déconnecté de son être intérieur indigène, même s'il est né dans une zone urbaine, n'est pas reconnu, mais plutôt identifié comme mestizo (d'origine mixte).

Les autochtones de la queue de Turtle Island subissent les contrecoups du blanchiment puisque les personnes qui s'identifient comme mestizo n'ont pas envie d'avoir des traits physiques et des manières autochtones. En tant qu'autochtones d'Amérique centrale, nous sommes confrontés à certains des pires traitements qu'un être humain puisse subir, tels que l'assimilation forcée, les conversions religieuses forcées, la violence physique et les « nettoyages » culturels qui constituent un véritable génocide de nos identités autochtones.

Pourtant, nous persévérons ! Nous volons au-dessus d'une tempête d'exploitation et de douleur sociale comme le feraient nos parents Guacamaya (aras). C'est la véritable perseverancia (persévérance) comme le diraient mes aînés. Nous appartenons à cet hémisphère, nous y appartenons depuis des centaines d'années, bien avant la colonisation en cours. Nous, les indigènes du centre des Amériques, existons et résistons à des forces très puissantes qui espèrent régner sur nos idéologies indigènes, notre lien avec la terre et la protection des ressources en nous effaçant.

Les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones des Amériques comprennent le vol des terres, le travail forcé des enfants, les déplacements forcés et le lavage de cerveau par le biais des systèmes éducatifs. Nos femmes autochtones ont été les premières à être exposées aux missionnaires et aux entreprises religieuses qui les violent, elles et la terre, et qui les emmènent aussi dans les terres étrangères du Nord pour servir.

Plusieurs de mes cousins et ma propre mère ont été pris dans les mains des colonialistes de cette façon, les étrangers les enchantant avec des mensonges d'une vie meilleure, mais la réalité étant désastreuse une fois qu'ils s'installent dans le Nord.

C'est pourquoi les autochtones se battent pour arrêter les projets de construction des forces extérieures qui continuent à piller, violer et modifier le paysage sacré que nous protégeons en y consacrant nos vies. Aujourd'hui, les Garinagu [5] de la côte du Honduras luttent toujours pour leurs droits fonciers et exigent le retour de leurs frères volés [6] [es]. Les Lenca [7] [fr] de Gracias de Dios ne sont reconnus que le « Dia del Indio Lempira », tandis que les Tawakh [8] de l’aldea de ma Nana (le village de ma grand-mère) sont de plus en plus oubliés, car il n'y a pas de justice pour leur déplacement violent, le vol de leurs terres et le pillage de leurs cultures par les trafiquants de drogue et les entreprises du Nord. L'effacement affecte les voix autochtones qui se battent pour un mode de vie centré sur la Madre Tierra et nos parents de la flore et de la faune.

Carte du Honduras montrant les lieux où vivent les populations autochtones aujourd'hui.

Je parle en connaissance de cause, car je suis née et j'ai été élevée sur la terre hondurienne, avec un teint brun et noir, alors qu'on m'a appris de manière implicite à ne pas tenir compte de mon origine et à rejeter ma couleur de peau. J'ai subi une assimilation forcée aux normes coloniales et j'ai été déplacé de ma terre natale. Je suis la personnification vivante de notre résistance aux enseignements coloniaux tandis que nous subissons le contrecoup de notre vie d'autochtone.

En pensant à l'effacement, j'ai demandé à Edwin Pastor [9], photographe et natif du Guatemala, de me parler de son expérience en tant que membre de la diaspora d'Amérique centrale et de sa tentative de se connecter à son être indigène. Il a dit :

I am living proof that roots cannot be eradicated. I think it is my responsibility to inherit my culture and keep it alive.

Je suis la preuve vivante que les racines ne peuvent être éradiquées. Je pense qu'il est de ma responsabilité d'hériter de ma culture et de la maintenir en vie.

Pastor s'est efforcé de poursuivre les cérémonies sacrées du cacao avec son frère jumeau, d'enregistrer l'existence colorée de ses aînés et d'autres Chapins (Guatémaltèques) dans la ville natale de son père, Totonicapán, et d'informer les autres sur les festivals Maya K’iche [10]. Il souhaite un jour créer un collectif pour apprendre aux jeunes de Totonicapán à utiliser des appareils photo et leur fournir des outils pour exprimer leur belle existence.

En tant qu'artiste, je fais de mon mieux pour faire revivre les anciennes coutumes et montrer à mes ancêtres qu'on se souvient d'eux dans leur véritable beauté : en tant qu'ingénieurs, artistes, architectes, protecteurs de l'eau et commerçants honnêtes. Leur héritage vit dans des personnes comme moi. Il est nécessaire de guérir du génocide de notre identité et de notre culture afin de se reconnecter et de vivre cette vie dans la paix et la transparence. Il est crucial pour les générations futures de se débarrasser de ce qui ne nous sert pas. Nous devons laisser derrière tous les concepts coloniaux tels que l'homophobie, le classisme, l'acquisition possessive des terres et des idéaux capitalistes selon lesquels le capital est plus important que les moyens de subsistance des autochtones.

Les tactiques délibérément anti-indigènes telles que la violence, le vol de terres, l'enseignement colonial et le catholicisme suscitent la honte et la culpabilité chez les indigènes. Il n'y a pas de fierté culturelle lorsqu'il s'agit d'être appelé « indio » (indien), car ce mot évoque des peuples sauvages et non civilisés, à l'image d'un Christophe Colomb perdu en mer.

Lorsque vous dites à un Hondurien, à qui on a appris à s'identifier à un État-nation, qu'il est un indio, vous obtenez souvent une réponse mystifiée. « Yo? Yo no soy indio », répondra-t-il avec un certain dégoût, comme si le fait de s'identifier comme tel était totalement inacceptable, même si la personne a des traits autochtones très distincts.

On nous apprend, explicitement ou implicitement, à haïr nos nez monumentaux qui rappellent les ruines de nos ancêtres. On nous apprend à haïr notre peau couleur terre qui rappelle nos terres fertiles. On nous apprend la haine alors que l'acceptation et la tolérance sont la voie à suivre. Il est vraiment décourageant de vivre en intériorisant des perspectives déformées de soi-même. Il a fallu que j'aille dans le Nord, où j'ai fait l'expérience de l'effacement d'autres groupes de personnes, pour réaliser ce qui était caché en moi et en tous ceux qui m'ont précédé : que mon identité autochtone, elle aussi, avait été effacée et diffamée.

C'est une lutte et un voyage qui commence par l'amour de notre peau brune. Pour aller de l'avant, nous devons centrer et augmenter les voix autochtones de l'isthme, en particulier celles d'origine afro-indigène, car ce sont les populations qui ont été le plus effacées. Bien que nous ne portions pas tous des coiffes, puisque les tenues sont gagnées ou données lors des cérémonies, nous existons tous dans notre plénitude, chaque autochtone ayant un parcours distinct. Nous avons besoin d'être respectés, entendus et de nous sentir vus. Nous sommes les graines qu'ils essaient si désespérément de labourer et nous continuerons à germer et à nous adapter. Nous sommes les nouveaux ancêtres. Bénis soient ceux qui aident les peuples indigènes et nous hébergent sans violence et sans effacement culturel.