Ces podcasteurs transportent les langues africaines dans le nouveau monde audio

"Podcasting" by mikemacmarketing is licensed under CC BY 2.0

« Podcasting » par mikemacmarketing est sous licence (CC BY 2.0)

[Sauf indications contraires, tous les liens renvoient vers des pages en anglais]

Alors que le podcasting en tant que média de narration a connu une croissance exponentielle depuis sa naissance dans les années 2000, son adoption et sa consommation en Afrique ont été lentes. Entravé par des coûts de données élevés et une fracture numérique toujours croissante de la part des auditeurs dans un continent où l'accès à Internet reste un privilège, le chemin des podcasteurs africains a été ardu dans leur tentative de  rejoindre ce renouveau contemporain des traditions de la narration orale.

Les coûts de production, qui peuvent varier  entre 60 et 100 USD par épisode [fr], sont encore prohibitifs dans la plupart des pays africains, sans parler de la fourniture peu stable en électricité. La plupart des podcasteurs doivent souvent démarrer, en puisant des fonds dans le fruit de leur travail quotidien ou leurs économies personnelles, jusqu'à ce qu'ils puissent atteindre un certain seuil d'écoute où la publicité devient une source de revenus plus viable et plus durable. Pour la plupart d'entre eux, cette masse critique d'auditeurs réguliers est restée comme un mirage dans le désert. Beaucoup ont essayé d'y parvenir, mais la plupart se sont lassés de chercher cette oasis.

Alors qu'il y a cinq ans, il n'y avait qu'une poignée de voix africaines dans l'espace mondial du podcasting, au cours des deux dernières années, celui-ci a connu une croissance phénoménale sur le continent à la suite de la pandémie de COVID-19. La pandémie a contraint les citoyens à rester chez eux, ce qui a entraîné une énorme augmentation du trafic de données, car beaucoup ont élargi leur palette de consommation numérique. De nombreux fournisseurs de données ainsi que des entreprises technologiques à travers le continent ont soit détaxé leurs services, soit trouvé des moyens de rendre leurs installations plus accessibles.

L'Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya sont les plus grands marchés de podcasting, tant en production qu'en consommation. Le kiswahili – une langue bantoue parlée par plus de 80 millions de personnes en Afrique orientale et centrale est devenue l'une des langues africaines les plus utilisées et les plus reconnues. L'année dernière, l'UNESCO a déclaré [fr] le 7 juillet Journée mondiale du kiswahili. Malgré cela, l'utilisation de cette langue parmi les podcasteurs est encore limitée par rapport à l'anglais.

Pourtant, sur un continent qui compte 1,3 milliard d'habitants, 54 pays et plus de 1 500 langues, en matière de langue, l'anglais est le choix dominant pour de nombreux podcasteurs africains en raison de son large attrait au niveau continental et mondial. Alors, à qui s'adressent les podcasts si plus de la moitié de la population africaine ne parle pas anglais ?

S'adressant à Radio France international en 2021 lors du premier Africa Podcast Festival qui a eu lieu le 12 février, Journée mondiale du podcast, Melissa Mbugua, co-fondatrice du festival, a déclaré:

Les langues qui sont largement parlées sur le continent sont le swahili, l'arabe, l'amharique, le yoruba, le zoulou… Nous commençons à en voir un certain nombre apparaître – c'est une attente que nous avons de l'avenir de l'industrie du podcasting, dans laquelle nous avons de nombreuses langues, sans une inhibition due à la barrière de la langue.

Des podcasters indifférents au regard occidental

Au milieu de la prévalence des podcasts en anglais, une communauté de podcasteurs qui ne s'intéresse décidément pas au regard occidental émerge. Au-delà de la langue comme barrière, ils ont plutôt vu le potentiel de ce média pour amplifier les voix des Africains ordinaires et le pouvoir qu'il donne pour contrer les récits publics dominants.

Parmi les podcasts non anglophones les plus actifs et les plus écoutés, citons : Swahili Program, America Swahili NewsNHK World Radio JapanSBS SwahiliAdventist World Radio (AWR), Swahili Radio SermonBack 2 basicsSalama Na et Africa & Beyond qui intègre également l'anglais avec des traductions en kinyarwanda. Bien que la liste ne soit en aucun cas exhaustive, elle souligne le manque de variété dans le type de contenu disponible pour les auditeurs en swahili, de nombreux podcasts étant de nature religieuse ou d'actualité.

Situation en Afrique de l'Est

Stoneface Bombaa, un animateur communautaire du Kenya, et April Zhu, une journaliste, ont créé le podcast « Until Everyone is Free » (Jusqu'à ce que tout le monde soit libre) sur Pio Gama Pinto, un combattant de la liberté socialiste de Goa-Kenya, assassiné par le Gouvernement kenyan en 1965, deux ans après que le pays soit devenu indépendant. 

Enregistré en sheng et kiswahili, Mme Zhu et M. Bombaa affirment que :

Lors de l'enregistrement du podcast, ils savaient qu'ils échangeaient avec un plus « large public mondial » par rapport à celui qui comptait le plus pour eux : les personnes qui parlaient le sheng et vivaient dans des régions où la langue était parlée.

Shagz Chronicles, qui en est actuellement à sa quatrième saison, est également un autre podcast kenyan dont les hôtes utilisent un langage inusuel. Présentée en kikuyu – une langue bantoue parlée comme première langue par 6,6 millions de personnes au Kenya – les animateurs de l'émission, Wathiomo et Jehudi, puisent dans la nostalgie des téléspectateurs en partageant des histoires de leurs aventures d'enfance dans la campagne kenyane dans les années 1990.

Matire Ngemi est également un autre podcast du Kenya qui utilise le kikuyu et l'anglais pour explorer l'histoire, la culture et le patrimoine.

Situation en Afrique de l'Ouest

Il existe également de nombreux podcasts en langue yoruba, Adventist World Radio, Omoluabi, Ohun Anu et The Yoruba Proverbs étant parmi les plus récents et les plus actifs.  UPGNRS et Pidgin Reviews sont des podcasts populaires qui utilisent le Pidgin, parlé dans toute l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Le pidgin emprunte [fr] beaucoup à d'autres langues locales, notamment l'igbo et le yoruba.

Wolof Tech [fr], un podcast animé par El Hadji Ibrahima Diago parle de l'actualité informatique et des technologies à venir en langue wolof avec des textes de présentation en français. Comme indiqué dans son profil de podcast :

 Pour nous le wolof est capable de jouer un rôle de langue d’enseignement et de communication pour accéder à l’information et aux nouvelles technologies. 

L'auteur lors d'un de ses enregistrements pour son podcast, le podcast KenyanPoet. Photo utilisée avec permission

L'auteur lors d'un de ses enregistrements pour son podcast, le podcast KenyanPoet. Photo utilisée avec permission

Situation en Afrique australe

La majorité des podcasts enregistrés en shona, isiZulu, xhosa et d'autres langues majeures d'Afrique australe sont diffusés via IONO.FM, une plate-forme d'hébergement et de distribution audio qui fournit des solutions uniques aux stations de radio et aux podcasteurs d'Afrique du Sud. Certaines des émissions notables sur la plate-forme incluent 4IR Simplified, Jazzing With Dumza Maswana, Brazoville: A Podcast et Ezomndeni.

Les plates-formes mondiales en hébergent également quelques-unes, telles que Shoko RehupenyuTsoiro & BhuddaZamani Zulu.

Plateformes locales de distribution et de diffusion en direct

Trouver des podcasts africains, en particulier ceux destinés à un public local, peut s'apparenter à trouver une aiguille dans une botte de foin. Les plates-formes audio en ligne locales telles que Audiomack, Afripods, Ionofm, Africanpodcasts.com et Africa Podfest fournissent des services tels que l'hébergement audio, la distribution, la diffusion audio en direct ou des services de référencement aux podcasteurs. Cela permettra aux auditeurs locaux de trouver facilement des podcasts pertinents dans leur langue, comme c'est le cas pour IONOfm qui a une page de langues et un menu avec une liste de plus de 25 podcasts – dont 12 sont présentés dans diverses langues africaines.

Selon Cities Alliance, près de 60 % de la population africaine a moins de 25 ans, ce qui fait de l'Afrique le continent le plus jeune du monde . Les podcasts ont un potentiel incroyable sur ce continent dont la population croissante de jeunes nés à l’époque du numérique a une énorme affinité avec les réseaux sociaux et leur capacité à démocratiser le divertissement. Beaucoup de ces jeunes boudent la radio qu'ils jugent excessivement conventionnelle et rigide. En revanche, les podcasts s'intègrent dans leur mode de vie où le divertissement est basé sur la commodité lorsqu'il s'agit de savoir qui, où, quand et comment écouter.

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