L'autorisation du passage de migrants cubains au Nicaragua est-il un outil politique ?

Illustration par Giovana Fleck.

Cet article a été rédigé par un.e auteur.e sous anonymat à Cuba. Son nom fictif est « Luis Rodriguez. »

Après l'échec de la marche citoyenne pour le changement qui a eu lieu le 15 novembre 2021 et l'exil du leader Yúnior García Aguilera, il semble que le flambeau de la rébellion et de l'opposition ait été étouffé à Cuba. La situation ne pourrait pas être pire : l'inflation est montée en flèche, la pénurie, le manque de médicament et de nourriture se sont aggravés. L'inefficacité du Gouvernement cubain et le blocus américain ont exacerbé notre crise humanitaire.

Dans un contexte où la qualité de vie cesse de se détériorer, de nombreux Cubains ont fait le choix de fuir le Pays coûte que coûte. Comme les années précédentes, l'émigration reste une échappatoire à la crise économique et politique qui traverse le Pays.

Le nombre de migrants cubains détenus à la frontière américaine à doublé entre 2020 et 2021. Il a atteint un pic en décembre 2021, où 8 199 migrants ont été retenus. Tous les jours, des centaines de Cubains recherchent des vols pour Managua au Nicaragua.

De nombreux analystes, tant sur l'île qu'à l'extérieur, ont interprété l'annonce inattendue du Président Nicaraguayen Daniel Ortega, le 22 novembre 2021 au sujet de la délivrance de visas gratuits aux citoyens cubains comme une faveur politique accordée à Cuba. Cette mesure est considérée comme un stratagème visant à atténuer la pression interne à laquelle Cuba est confrontée depuis les manifestations du 11 juillet 2021. Elle vise également à encourager les personnes susceptibles de participer à de nouvelles manifestations sociales à quitter le pays. Officiellement, la mesure a été prise dans l'optique de « promouvoir les échanges commerciaux, le tourisme et les relations familiales humanitaires. »

Selon la journaliste indépendante Yoani Sánchez, directrice de la plateforme 14ymedio dont l'accès est bloqué sur l'île,

Con la jugada que acaba de hacer, el régimen cubano se asegura de que Joe Biden tenga muy pronto un quebradero de cabeza y una gran discusión interna debido al aumento considerable en el número de migrantes provenientes de esta Isla. De paso, se libra dentro del territorio nacional de los más inconformes y rebeldes, que podrían protagonizar la próxima explosión social al estilo de la ocurrida el pasado 11 de julio.

Avec le geste qu'il vient de faire, le régime cubain s'assure que Joe Biden se cassera la tête et qu'il y aura un grand débat interne en raison de l'augmentation considérable du nombre de migrants en provenance de l'île. Le régime cubain se débarrasse par la même occasion des anticonformistes et des contestataires à l'intérieur du territoire; ceux qui pourraient entraîner la prochaine révolte sociale comme celle du 11 juillet dernier.

Cette stratégie du régime cubain n'est pas nouvelle. L'exode de Mariel en 1980 et la crise des Balseros en 1994 ont servi au régime comme moyen de réduire l'indignation générale envers le totalitarisme qui a toujours existé à Cuba, bien que ce soit une image de loyauté envers le socialisme qui ait toujours été montrée au monde.

Cette thèse a été soutenue par Brian Latell, un ancien chercheur à l'Institut d'Etudes cubaines et cubano-américaines de l'Université de Miami. Brian Latell explique dans sa biographie sur Fidel Castro que les exodes migratoires de Cubains vers les Etats-Unis ont été la stratégie historique utilisée par le régime cubain pour exporter la révolte.

Jusqu'en 2015, la décision de l'Equateur de ne pas accepter de visa cubain a engendré une vague d'immigration vers les Etats-Unis. Par conséquent, beaucoup de migrants cubains ont perdu la vie et ont été victimes de groupes criminels liés au trafic d'humains.

Dans ce contexte, le Nicaragua joue un rôle de soutien parmi les pays d'Amérique centrale envers l'émigration irrégulière aux Etats-Unis. Arturo Cruz, l'ancien ambassadeur du Nicaragua aux États-Unis, a mené des négociations avec les États-Unis en 2008, dans le but de contrôler le trafic de drogue, le terrorisme et la migration.

En 2019, suite à l'assouplissement du processus d'obtention des visas et à la pénurie de marchandises sur l'île, les voyages des Cubains au Nicaragua pour faire du commerce et acheter des produits impossibles à obtenir à Cuba, sont devenus communs. Entrée en vigueur en janvier 2022, la décision de reprise des vols après l'assouplissement des restrictions liées à la pandémie permettrait d'économiser environ 1600 km sur leur trajet vers le Mexique.

Une stratégie contre les Etats-Unis ?

Certains analystes, dont Yoani Sánchez, allèguent que derrière cette décision se cache un autre objectif : utiliser le Nicaragua comme tremplin et générer une crise migratoire aux Etats-Unis à la frontière avec le Mexique. Cet argument a été soutenu par le sénateur républicain Marco Rubio, qui a déclaré :

Este verano expresé mi preocupación y advertí que el régimen cubano utilizaría la migración masiva como un arma tras las históricas protestas del 11 de julio. El régimen Ortega-Murillo está ayudando a la dictadura cubana al eliminar los requisitos de visa para instigar la migración masiva hacia nuestra frontera sur.

Cet été, j'ai exprimé mon inquiétude et prévenu que le régime cubain utiliserait la migration de masse comme une arme après les protestations historiques du 11 juin. Le régime Ortega-Murillo soutient la dictature cubaine en éliminant les prérequis de demande de visa afin d'inciter la migration massive vers notre frontière sud.

En 2017, le Président américain de l'époque, Barack Obama, a mis fin à la politique des « pieds secs, pieds mouillés » qui pendant 20 ans, permettait aux Cubains de vivre aux Etats-Unis même s'ils avaient immigré de manière illégale.

Mais pour la journaliste Yoani Sánchez, « l'administration américaine peut aborder cette question de manière très différente de celle que projette la Havane, et la fuite de milliers de Cubains aurait également beaucoup de conséquences sur une société déjà vieillissante. »

Même si le régime cubain parvient à diminuer temporairement la pression interne et les nouvelles formes d'opposition, les conséquences de cette crise provoqueront un dommage démographique au niveau social encore plus important; la population de Cuba étant la plus vieille d'Amérique latine. De nombreux professionnels et jeunes migrants ont vendu leurs maisons et leurs propriétés pour pouvoir financer un voyage truffé d’embûches et de dangers.

Si le régime cubain ne voit pas cet exode comme un signe alarmant qu'un changement politique est nécessaire à Cuba, alors il ne s'agit pas seulement de son suicide politique, mais de la continuité de l'agonie et de la souffrance d'une nation.

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