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Publication du premier livre de grammaire mru : une lueur d'espoir pour la communauté autochtone

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Arts et Culture, Droits humains, Education, Ethnicité et racisme, Histoire, Langues, Liberté d'expression, Littérature, Médias citoyens, Peuples indigènes, Politique, Rising Voices
Younguang Mro, son apparence reflète l'espoir qui éclaire la région sombre et isolée de Chittagong Hill Tracts. Oeuvre de Tufan Chakma. Utilisation autorisée. [1]

Younguang Mro: « son apparence est comme un rayon de lumière dans la région sombre et isolée de Chittagong Hill Tracts. » Oeuvre et mots de Tufan Chakma [1]. Utilisée avec permission.

Chaque année, la Journée internationale de la langue maternelle [2] vise à promouvoir une prise de conscience de la diversité culturelle et linguistique et à célébrer toutes les langues maternelles parlées dans le monde. Cette année, le point fort de cette journée au Bangladesh a été la publication du premier livre de grammaire écrit en mru, une langue indigène en voie de disparition.

Le peuple Mro [3] (ou Mru) vit dans le district de Bandarban, dans la région des Chittagong Hill Tract (CHT) [4], au Bangladesh. Selon le recensement [5] de 1991, sa population s'élevait à 22 178 habitants. Sa langue fait partie de la famille des langues sino-tibétaines [6].

En 1982, un adolescent de 17 ans du nom de Kramadi Menle a mis au point [7] l'alphabet mru. C'est un alphabet simple, [8]qui s'écrit de gauche à droite, et dont les caractères ne se combinent pas. Cependant, le développement plus approfondi de la langue se révèle être un processus lent. Il existe aujourd'hui un bloc Unicode [9] pour la langue mru, mais il ne peut toujours pas être écrit en ligne.

Première et quatrième de couverture de la première grammaire Mru ‘Totong’. Image transmise par Younguang Mro and Adibasi Barta. Utilisation équitable. [11]

Première et quatrième de couverture du premier livre de grammaire mru « Totong ». Image transmise par Younguang Mro et Adibasi Barta [11]. Utilisé avec permission.

Le premier livre de grammaire mru s'intitule « Totong » et a été écrit par [7] Younguang Mro, un auteur et chercheur membre de la communauté Mro, dans la région des Chittagong Hill Tracts. Il l'a développé et écrit en s'inspirant des codes des grammaires anglaises et bengalies. Même si quelques livres avaient déjà été publiés en mru auparavant, c'est la première fois que des structures grammaticales figées de la langue [12] sont renseignées sur papier.   

Le lancement [13] du livre s'est déroulé dans un cadre informel, le 17 février 2022, dans la maison de l'auteur à Ujani Para, dans la ville de Bandarban. Au cours de la cérémonie, Younguang Mro a prononcé [14] les mots suivants :

এ বইয়ের মাধ্যমে ম্রো সম্প্রদায়ের লোকজন শুদ্ধভাবে তা‌দের ভাষায় লিখতে ও পড়তে পারবে। বিশেষ করে ম্রো শিক্ষার্থীদের বাংলা ও ইংরেজি ব্যাকরণ বোঝার জন্য বইটি সহায়ক ভূমিকা রাখবে।

Ce livre permettra aux membres de la communauté Mro de lire et d'écrire correctement dans leur langue. Il aidera particulièrement les élèves Mro à également comprendre les grammaires bengalies et anglaises, puisqu'elles sont construites de manière similaire.

Après avoir été diplômé du Département des langues orientales de l’Université de Chittagong [15], Younguang Mro a commencé à travailler pour le développement socio-culturel de sa communauté. En qualité d'auteur, il [16] a publié jusqu'à présent un total de 28 livres portant sur la culture mro et sur les contes de fées, dont 18 sont écrits en mru et 10 en bengali.

Ngansing Mro, professeur de mru, était présent au lancement du livre. Il a participé à la discussion et a déclaré [14] :

ম্রো বর্ণমালা আবিষ্কারের পর তাদের হাতে লিখে লিখে বর্ণমালা পড়ানো হতো। এখন নিজেদের ভাষায় বই আকারে ছাপা হলো। এর ফলে এখন থেকে বইটির মাধ্যমে শিক্ষার্থীরা ম্রো ভাষা আরও শুদ্ধভাবে লিখতে ও পড়তে পারবে।

Depuis la création de l'alphabet mru, nous utilisons des manuscrits écrits à la main pour enseigner aux élèves. Maintenant que l'alphabet et la grammaire sont imprimés dans un livre, les élèves seront capables de lire et d'écrire notre langue avec plus d'exactitude.

Le Salon du livre d'Ekushe [17], le plus grand au Bangladesh, se déroule actuellement et de nouveaux livres sont publiés chaque jour. Sur Facebook, la jeune autrice Suhan Rizwan témoigne [18] de la gratitude qu'elle ressent à la publication de premier livre de grammaire mru :   

বইমেলার সমস্ত বইয়ের মাঝেও যে বইটা অমূল্য।

Parmi tous les livres du Salon, celui-ci est d'une valeur inestimable.

Le jeune artiste Tufan Chakma met en évidence, par le biais des arts visuels, plusieurs problèmes auxquels sont confrontées les communautés autochtones au Bangladesh. Sur Facebook [1], il a relevé que l'apparence de Younguang était « comme un rayon de lumière dans la région sombre et isolée de Chittagong Hill Tracts ». 

Une pluralité de langues au Bangladesh

Au Bangladesh [19], 98 % de la population parle le bangla, aussi connue sous le nom de bengali. Selon les données [20] fournies par les anthropologues et par les chefs de tribu, le pays compte environ 5 millions d'habitants répartis en 47 communautés indigènes. Dans ces dernières, 30 langues appartenant à 4 groupes linguistiques sont largement parlées, et 12 à 16 langues sont en plus ou moins en voie de disparition. Le chercheur autochtone Salek Khokon a mentionné dans un article sur le site d'information en ligne BdNews24.com [21] que le kurukh et le nagari avaient presque disparu. Le mru, quant à lui, figure sur la liste [22] des langues grandement en voie de disparition établie par l'UNESCO.

A map of the languages spoken in Bangladesh. Image via Wikipedia by Map Master. CC BY 3.0. [23]

Une carte des langues parlées au Bangladesh. Image issue de Wikipedia, réalisée par Map Master [23]. CC BY 3.0 [24].

Afin de protéger les langues menacées, la Politique nationale d’éducation adoptée en 2010 [25] reconnaît le droit des enfants autochtones à apprendre dans leur langue maternelle à l'école primaire. Il y est stipulé que « les enfants autochtones doivent être instruits par des enseignants de leur communauté et disposer de manuels scolaires dans la langue locale afin de pouvoir apprendre dans leur langue maternelle. » Selon l'article 20, « des écoles primaires seront érigées dans les zones isolées habitées par des tribus (collines ou plaines). » Dans le cadre de la mise en oeuvre de cette politique, le Gouvernement a commencé à équiper les écoles primaires de manuels scolaires écrits dans un certain nombre de langues autochtones. Cependant, cinq ans plus tard, l'initiative se heurte à une crise [26] provoquée par le manque d'enseignants autochtones qualifiés.

Les peuples tirent leur progrès de l'acquisition de connaissances par le biais des langues. C'est d'ailleurs un  rôle majeur que jouent ces dernières, et particulièrement la langue maternelle, dans leur survie. Pour apprendre et pratiquer une langue correctement, une grammaire structurée est requise. Dans ce contexte, le manuel « Totong » réalisé par Younguang tourne une nouvelle page de l'histoire du développement linguistique de la communauté Mro.