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Undertones : les récits des talibans sur les femmes afghanes

Catégories: Afghanistan, Cyber-activisme, Droits humains, Femmes et genre, Gouvernance, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens, L'observatoire des médias citoyens

Image de la célèbre journaliste afghane: Anisa Shaheed. Photo: UN Women/Ryan Brown (CC BY-NC-ND 2.0)

Bienvenue à Undertones, le bulletin d'information du Civic Media Observatory [1] ! Dans chaque édition nous analyserons un événement, une tendance émergente, ou une histoire complexe. Nous identifierons les questions clés d'intérêt public et plongerons dans le contexte et le sous-texte des médias locaux, vernaculaires et multilingues. Undertones offre également un point d'entrée vers les ensembles de données publiques [2], qui sous-tendent notre travail d'observatoire.

Alors que les leaders talibans sont en quête de reconnaissance [4] et de soutien financier, ceci même après avoir pris le pays par la force, leurs combattants et militants n'hésitent pas à faire usage de la force pour réduire leurs opposants au silence, en particulier les femmes.

Des dizaines d'Afghanes ont protesté publiquement contre leur effacement progressif et systématique de la sphère publique par les talibans depuis leur retour au pouvoir en août 2021. En septembre, les combattants talibans ont battu des activistes et interdit [5] toute manifestation publique.

Sur Internet, des femmes refusent toujours de se plier aux nouvelles règles et critiquent l'obligation de porter le voile, l'interdiction aux filles d'accéder à l'éducation, le meurtre et la disparition de militantes, l'obligation pour les femmes d'être accompagnées d'un « mahram » ( chaperon masculin ) à chacune de leurs sorties et le silence de la communauté internationale.

Les femmes activistes considèrent ce moment comme essentiel. Elles sont convaincues que si elles se taisent maintenant, les talibans leur prendront tout ce pour quoi elles se sont battues ces vingt dernières années.

Depuis janvier, des dizaines de militantes ont été kidnappées [6] au cours de raids nocturnes, et certains de ces enlèvements se sont déroulés sous silence, pour préserver l'honneur des familles ou par peur des menaces. Certaines ont été libérées, [7] mais plus encore ont été enlevées [8] en février. Des activistes défenseurs des droits humains et des diplomates pensent que les talibans sont derrière ces enlèvements, ce que ces derniers nient.

Les différentes facettes du mouvement 

Une courte liste des celles qui ont mis leurs vies en danger pour défendre les droits des femmes en Afghanistan:

Des récits contradictoires

« Les femmes qui protestent en Afghanistan ont été perverties par les valeurs de l'Occident. » [15]

Les talibans rétorquent que les femmes, qui protestent contre leur lois, ont été perverties sous l'influence des valeurs occidentales anti-islamiques en place depuis qu'ils ont quitté le pouvoir en 2001.

De nombreux talibans appellent à des actions fortes contre les manifestantes et les qualifient de « prostituées » dont l'âme et l'esprit ont été « pervertis par la pensée occidentale » ou par les « espions » des gouvernements étrangers. Les dirigeants talibans ont dit à plusieurs reprises qu'ils ne laisseraient pas les femmes manquer de respect [16] à leurs valeurs, même en « utilisant la carte des droits de la femme ».

Par exemple, le port d'un voile couvrant des pieds à la tête (niqab ou tchador) est obligatoire sous la loi islamique, selon les talibans. Les femmes qui manifestent contre cette obligation de se couvrir entièrement sont qualifiées d'anti-islamiques.

Sur les réseaux sociaux [17]

Un sympathisant des talibans affirme sur Facebook que la loi contre laquelle les femmes manifestent est basée sur l'Islam. Le tweet comprend la photo d'une femme portant l'habit traditionnel des hommes et qui brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « Les lois contre les femmes devraient être abrogées ». Elle porte le vêtement réservé aux hommes pour insister sur le fait qu'elle n'a besoin d'aucun chaperon ou accompagnateur. Elle porte également un bracelet aux couleurs du drapeau afghan et exprime ainsi son refus du drapeau blanc des talibans. Voir l'analyse ici. [17]

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« Les droits des femmes ne sont pas une priorité pour l'instant. »

Le discours des talibans, soutenu par leurs sympathisants, consiste à dire qu'ils ont des problèmes plus urgents à régler que de s'intéresser aux droits des femmes, comme la sécurité et l'économie. Ce discours est similaire à celui qu'ils diffusaient lorsqu'ils ont pris le pouvoir pour la première fois dans les années 90 ; les droits des femmes ne représentaient pas une priorité, leur première mission consistait alors à conquérir tout l'Afghanistan.

Ce discours était très populaire quand les talibans ont repris le pouvoir en 2021. Depuis, leurs positions par rapport aux droits des femmes se sont encore endurcies.

Sur les réseaux sociaux [18]

Le hashtag #StandWithPeopleInAfghanistan (se tenir aux côtés du peuple afghan) a émergé en réaction à #StandWithWomenInAfghanistan (soutenir les femmes en Afghanistan), dont le but était de mettre la pression sur la communauté internationale pour appeler les talibans à relâcher les femmes manifestantes ainsi que les membres de leurs familles. Le nouveau hashtag a un but de diversion et participe à éloigner l'attention des femmes. Ce tweet de Diva Patang [19], une sympathisante des idées talibanes suivie par 112 500 personnes sur Twitter, réplique que le soutien doit être apporté aux hommes et aux enfants afghans et pas uniquement aux femmes. Voir l'analyse ici. [18]

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« Les talibans ont peur des femmes afghanes [20] »

Les activistes des droits des femmes en Afghanistan, ainsi que les féministes à l'étranger, affirment que les mauvais traitements que subissent les femmes sont motivés principalement par la peur de femmes véhémentes et indépendantes. Aujourd'hui en particulier, les femmes sont plus organisées que dans les années 90; elles ont goûté à la liberté et aux droits, et font un usage important des réseaux sociaux. Certaines d'entre elles sont nées après 2001 et n'ont jamais connu la loi talibane. En réponse, les talibans ont mis en place des mesures extrêmes pour s'assurer que les femmes ne puissent pas manifester contre leur autorité.

Sur les réseaux sociaux [21]

Sweeta Sadat, une journaliste qui travaille en Afghanistan, a tweeté le 22 février que la manifestante Wahida Amiri, qui a été détenue dans une cache, risque d'être condamnée. Sadat implique que les talibans intimident désormais les femmes en les poursuivant en justice, et en les découragent de mener toute résistance. Voir l'analyse ici [21]

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« Les talibans gouvernent avec la peur et se montrent aussi brutaux que dans les années 90 » [22]

Les talibans – un mouvement islamique fondamentaliste principalement pachtoune– ont contrôlé l'Afghanistan de 1996 à 2001. Les femmes n'avaient pas accès ni à l'éducation ni au travail, et n'étaient pas autorisées à sortir de chez elles sans un gardien masculin ou « mahram ». Elles étaient traitées comme des citoyens de seconde classe.

Après la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, certains étrangers et Afghans ont fait valoir que puisque les talibans recherchaient une légitimité internationale, ils veilleraient à ce que les droits fondamentaux – en particulier ceux des femmes, des membres des minorités ethniques et d'autres populations vulnérables – soient maintenus. D'autres affirment que les talibans n'ont pas changé.

Sur les réseaux sociaux [23]

Ramin Mazhar, un ancien employé de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, met en garde contre la capacité future des talibans à exporter leurs kamikazes dans d'autres pays. Par le passé, les talibans ont utilisé des kamikazes pour terroriser et tuer des personnes, des responsables gouvernementaux et des troupes internationales présents en Afghanistan. Fin 2021, les talibans ont créé l'unité « Badri Command » au sein de leur armée, qui comprend des combattants de la ligne dure et de futurs kamikazes. Voir l'analyse ici. [23]

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Undertones est le bulletin d'information du Civic Media Observatory, créé grâce à la collaboration des chercheurs de l'Observatoire, des éditeurs coordonnateurs et du chef de la rédaction du projet. Découvrez davantage sur notre mission, notre méthodologie et sur les données accessibles au public.