Le Japon baptisé « Fossile du jour » pour ses projets de « charbon propre »

Thermal coal terminal at the Hokuriku Denryoku electric generation plant, Tsuruga, Fukui. Photo by Nevin Thompson, CC BY 3.0

Un coprolithe (un morceau d’excrément fossilisé [fr]) provenant d'un dinosaure herbivore de l'ère jurassique et présenté au Musée préfectoral des dinosaures de Fukui au Japon. Le coprolithe a été exhumé dans l'Utah aux États-Unis. Photo par Nevin Thompson; utilisée avec son aimable autorisation sous la licence : CC BY 3.0

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en anglais, ndlt.]

Lors de la vingt-sixième Conférence des Nations unies sur le climat qui s'est tenue le 2 novembre dernier à Glasgow, le Japon a remporté un Fossile du jour en raison de sa frilosité, perçue comme rétrograde, à sortir progressivement du charbon pour sa production d'électricité ; ce qui contribuerait à réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre.

Ce prix satirique récompense quotidiennement l'action climatique des pays qui « en font le plus pour accomplir le moins » et qui « font de leur mieux pour être les plus mauvais ». Il est décerné lors des Conférences des parties (COP) par le réseau Climate Action Network, qui fédère 1 500 organisations non gouvernementales à travers le monde.

Au cours des réunions annuelles des COP, le Japon remporte régulièrement ce titre pour les mêmes raisons qu'à Glasgow. Cette année, Tokyo a partagé le podium avec la Norvège et l'Australie pour avoir encouragé l'utilisation de combustibles fossiles.

Aujourd’hui, le Fossile du jour de la COP 26 a été décerné à ….. la Norvège (1er), au Japon (2ième) et à l'Australie (3ième) pour la promotion des énergies fossiles (allant du gaz naturel norvégien au charbon asiatique). L'Écosse et l'Inde ont reçu un Rayon du jour.

Lire : https://t.co/2B04lxm16y pic.twitter.com/D2iEQOHasd

— Climate Action Network International (CAN) (@CANIntl) 2 novembre 2021

Tokyo a remporté ce prix suite au discours du Premier ministre japonais Kishida Fumio qui n'est resté que 8 heures à Glasgow avant de rentrer en avion au Japon. Lors de son intervention, le Chef du gouvernement ne s'est pas engagé à sortir progressivement du charbon. Selon les estimations, ce combustible devrait servir à produire au moins 25 % de l'énergie nationale en 2030, contre 31 % en 2019 – 2020. À l'heure actuelle, 140 centrales thermiques sont toujours en activité dans l'archipel japonais.

D'un autre côté, 40 pays participants à la COP 26 se sont engagés à abandonner peu à peu l'électricité produite au charbon pour l'éliminer complètement à l'horizon 2040.

Thermal coal terminal at the Hokuriku Denryoku electric generation plant, Tsuruga, Fukui. Photo by Nevin Thompson, CC BY 3.0

Terminal charbonnier de la centrale de production électrique situé à Tsuruga dans la préfecture de Fukui appartenant à la compagnie Hokuriku Denryoku. Les centrales à charbon fournissent en électricité de nombreuses petites villes japonaises éloignées des grands centres urbains, comme Tokyo et Osaka. Photo de Nevin Thompson, utilisée avec son aimable autorisation sous la licence CC BY 3.0

Certains considèrent le Japon comme étant le 5e pays le plus gros émetteur de CO2 au monde. Ses émissions de gaz à effet de serre ont néanmoins diminué au cours des 10 dernières années. Toutefois, les centrales thermiques émettrices de CO2 produisent encore 76 % de l'électricité japonaise.

Les efforts engagés semblent négligeables si le pays souhaite réduire ses émissions de carbone lors des dix prochaines années. Climat Action Tracker, un consortium international indépendant d’analyse scientifique évaluant les actions menées par les états pour préserver le climat affirme que le programme japonais de fermetures progressives des centrales à charbon vieillissantes n'aura qu'un impact limité sur la réduction des émissions de carbone :

The reported plan would not take Japan beyond the country’s “Highly insufficient” 2030 climate target (nationally determined contribution, or NDC) in the light of fair contributions to limiting warming to the Paris Agreement’s long-term goal of 1.5°C.

Le projet annoncé ne permettra pas à Tokyo de dépasser ses objectifs climatiques 2030, appelés aussi Contributions déterminées au niveau national ou CDN. Elles sont d'ailleurs « largement insuffisantes » si on les compare à l'ambition climatique qui devrait affichée pour contenir la hausse des températures à 1,5°C, conformément aux objectifs des Accords de Paris.

L'attribution du Fossile du jour lors de la COP 26 découle également d'une déclaration du Premier ministre japonais qui s'est engagé à poursuivre la construction de centrales thermiques utilisant des technologies dites de « charbon propre » dans des pays asiatiques en voie de développement.

Japan, through the Asia Energy Transition Initiative, will develop leading projects worth 100 million USD to transform fossil-fuel-fired thermal power into zero-emission thermal power such as ammonia and hydrogen.

Dans le cadre du partenariat Asia Energy Transition Initiative [pdf], le Japon développera des projets de premier plan d'une valeur de 100 millions de dollars américains pour transformer l'énergie thermique alimentée par des combustibles fossiles en énergie thermique à émission zéro, comme l'ammoniac et l'hydrogène.

Lors de la COP 26, le Premier ministre japonais a déclaré que son pays poursuivrait l'exportation de technologies qui permettent de produire de l'électricité à partir du charbon. Cette annonce semble contredire une promesse faite un peu plus tôt en 2021 selon laquelle la nouvelle majorité au pouvoir devait cesser de soutenir l'utilisation « sans relâche du charbon ».

Au même moment, l'agence de crédit à l'exportation Japan Bank International Cooperation (JBIC), qui aide les industriels japonais à commercialiser à l'étranger, a annoncé qu'elle soutiendrait les exportations de centrales à charbon lorsque des mesures de réduction des émissions telles que le captage-stockage du carbone (CCS) et la combustion d'ammoniac seront effectives ».

Selon l'organisme Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), spécialisé dans l'analyse des questions relatives aux marchés de l'énergie, aux tendances et aux politiques, le Japon participe à la construction de centrales à charbon un peu partout en Asie depuis une dizaine d'années.

JBIC, and to a lesser extent the Japan International Cooperation Agency (JICA), have been key enablers of coal-fired power development in developing Asia. Such projects are sold to nations like Bangladesh, Vietnam, and Indonesia, often based on overly optimistic power demand growth projections.

JBIC, et, dans une moindre mesure, l'agence gouvernementale japonaise de coopération internationale JICA, ont été des acteurs phares pour favoriser l'implantation de centrales à charbon dans des pays asiatiques en développement. Ces projets ont été vendus à des états comme le Bangladesh, le Vietnam et l'Indonésie. Ces contrats ont souvent été conclus après une surestimation des futurs besoins énergétiques de ces pays.

Le JBIC a également déclaré soutenir l'utilisation d'ammoniac ou d'hydrogène, comme combustibles  de co-combustion dans la production thermique, afin de réduire les émissions carbone. Cette nouvelle technologie coûteuse requiert l'extraction de combustibles fossiles et amenuise les chances de voir le pays atteindre l'objectif de 1,5 degré Celsius.

Toutefois, des sceptiques, comme Greenpeace, soulignent que, en tant que technologie, la cokéfaction de l’ammoniac n’en est qu’à ses débuts et que de nombreux problèmes doivent encore être réglés. Par exemple, l’ammoniac n’est pas particulièrement efficace lorsqu’il est utilisé comme combustible pour produire de l’électricité, et il génère également du protoxyde d'azote qui est un gaz nocif.

L'organisation Institute for Energy Economics and Financial Analysis explique qu'en fin de compte les projets japonais visant à exporter ses technologies dites de « charbon propre » vont sans doute entraîner une nette augmentation des émissions de gaz à effets de serre :

Using ammonia as cover for further “abated” coal power developments overseas will mean more coal consumption and further economic burden from this expensive power source in nations that can’t afford it.

L’utilisation de l’ammoniac comme couverture pour d’autres projets de production d’électricité au charbon « réduits » à l’étranger se traduira par une consommation accrue de charbon et un fardeau économique supplémentaire de cette source d’énergie coûteuse dans les pays qui n’en ont pas les moyens.

En attribuant ce prix au Japon, l'organisation Climate Action Network a souligné que « ces nouvelles techniques coûteuses nécessitent l'extraction de combustibles fossiles. Il y a donc très peu de chances que le seuil des 1,5 °C soit respecté en cas de recours à cette technologie ».

Setsu Mori [ja] est le rédacteur en chef du magazine d'affaires Alterna qui est axé sur les questions environnementales. Suite au dernier Fossile du jour, le journaliste japonais a demandé à son pays d'abandonner son programme de production d'électricité à partir de l'ammoniac et d'investir plutôt dans les énergies renouvelables.

Le porte-parole du gouvernement japonais Matsuno Hirokazu a déclaré [ja] que son pays ne souhaitait pas réaliser de commentaires suite à l'attribution de ce prix et aux critiques sur le projet de « charbon propre ».

Le Japon a reçu au moins six Fossiles du jour en raison de sa faible volonté à réduire significativement ses émissions de gaz à effet de serre. Ce fut notamment le cas en 2010, 2011, 2013, 2019, 2020 et 2021.

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