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Décrypter le rôle du grand public et des réseaux sociaux dans les récentes violences anti-musulmanes en Inde

Catégories: Asie du Sud, Inde, Catastrophe naturelle/attentat, Droit, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion, Technologie, Country Monitor Observatory 2021-2022, L'observatoire des médias citoyens
Protest in Kolkata, India against the "bulldozer demolition drive" in Delhi. Image by Ashid Reza. Used with permission. [1]

Manifestation à Kolkata (Calcuta), en Inde, contre la « campagne de démolition au bulldozer » à Delhi. Image par Ashid Reza. Utilisée avec autorisation.

Cette histoire fait partie d'une enquête de l’Observatoire des médias civiques sur l'écosystème des médias [2] (CMO) indiens. Pour en savoir plus sur ce projet et ses méthodes, cliquez ici [3].

La violence anti-musulmane [4] s'est intensifiée en Inde, les attaques parrainées par l'État contre les musulmans et les appels clairs au génocide [5] devenant de plus en plus courants. D'autre part, à travers des campagnes stratégiques [6] de désinformation et de propagande sur les plateformes des réseaux sociaux et les chaînes d'information aux heures de grande écoute, des groupes de droite ont fait  [7]croire aux hindous qu'ils étaient victimes. Ils ont convaincu la majorité que la seule façon de protéger ses droits et sa liberté était d'éliminer les musulmans du pays. « Les hindous sont menacés », « Les musulmans doivent être traités comme des citoyens de seconde zone » et « La laïcité marginalise les hindous de l'Inde » étaient les principaux éléments narratifs présents dans les articles médiatiques de la recherche du CMO.

Moins d'une semaine après que l'Inde ait été témoin [8] d'affrontements communautaires et d'émeutes dans plusieurs États le 10 avril 2022, lors de la célébration de Ram Navami [9] (un festival pour célébrer le dieu hindou Rama), des violences similaires ont éclaté [10] dans la capitale indienne, New Delhi, à l'occasion de Hanuman Jayanti [9] (un festival célébrant la naissance du dieu hindou Hanuman).

Sous la gouvernance du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata [12] (BJP) [fr], les groupes de droite de l’Hindutva [13] [fr] ont obtenu le soutien et l'autorisation de mener à bien leur prétendue mission de transformer l'Inde en une nation hindoue [14]À cette fin, les fêtes et processions religieuses hindoues auraient été armées [15]pour affirmer la suprématie hindoue et menacer les communautés minoritaires. Ces « Shobha Yatras », ou processions, ont été utilisées comme un outil pour perturber [16] l'harmonie communautaire existante dans plusieurs endroits en Inde et attaquer les musulmans qui sont considérés comme des ennemis de l'Hindutva.

Que s'est-il passé à Jahangirpuri ?

Le samedi 16 avril, des affrontements communautaires ont éclaté [17] à Jahangirpuri, à New Delhi, lorsque des groupes hindous ont organisé une shobha yatra pour célébrer Hanuman Jayanti. Des vidéos [18] de la procession montraient des hommes hindous vêtus de safran brandissant des épées, des fusils de chasse, des bâtons et d'autres armes en traversant Jahangirpuri (qui compte une importante population musulmane), dansant sur des chansons et scandant des slogans contenant tous des déclarations islamophobes et des menaces anti-musulmanes [16]. Ils auraient tenté d'agiter des drapeaux safran (qui sont un symbole de l'hindouisme et de l'hindutva) devant une mosquée locale, ce qui a ensuite provoqué des affrontements. Dès le lendemain, la police de Delhi a procédé à 22 arrestations liées à la violence. Toutes les personnes arrêtées étaient musulmans [16].

La police de Delhi a publié une déclaration citant les noms du Vishwa Hindu Parishad [19] (VHP) [fr] et du Bajrang Dal [20] [fr] (tous deux des groupes hindous de droite) en relation avec la violence de Jahangirpuri. Ils ont également déposé [21] un rapport d'enquête préliminaire [21](REP) contre les deux groupes pour avoir organisé le cortège sans autorisation ni permission préalable de la police. Le VHP a alors ouvertement proféré [22] des menaces affirmant qu'il lancerait une « bataille » [23] contre la police de Delhi si des mesures étaient prises contre ses membres. Peu de temps après, la police de Delhi est revenue sur sa déclaration et en a publié une nouvelle qui ne faisait aucune mention des deux groupes [24].

Pendant ce temps, des groupes de droite hindous [13] [fr] et leurs partisans se sont tournés [25] vers les réseaux sociaux pour lancer le cri de guerre « Hindu khatre main hain » (les hindous sont menacés). Les médias de droite comme Sudarshan TV [26]OPIndia [27]Aaj Tak [28] et Zee News [29] n'ont pas tardé à construire un récit [7] qui diabolise les musulmans et les blâme entièrement pour la violence. Ils ont affirmé que les musulmans ciblaient intentionnellement [7] les hindous qui essayaient simplement de célébrer pacifiquement leur fête. Ils ont affirmé [30] que toute action qui empêche les hindous de célébrer leurs fêtes religieuses d’une manière qui leur plaît est un acte d'agression anti-hindou.

Lire la suite : Undertones: A deep-dive into Indian hyper-nationalism [31](Nuances : Une plongée profonde dans l’hyper-nationalisme indien)

La plateforme d'information indépendante Sight and Insight [32] a tweeté :

Sans commentaire! #HindusUnderAttackInIndia [33]#जहांगीरपुरी [34] pic.twitter.com/2jjcwlwjsx [35]

— SIGHT AND INSIGHT (@Sight_Insight) 18 avril 2022 [36]

Le tweet ci-dessus n'est qu'un exemple des récits islamophobes qui ont inondé les plateformes de réseaux sociaux la semaine suivant l'incident.

En réponse, les groupes hindous ont commencé à exiger des bulldozers [37] à New Delhi pour démolir les maisons et les magasins des musulmans qu'ils prétendaient être des «émeutiers», tout comme ce qui s'était passé [38] plus tôt dans le Madhya Pradesh le 11 avril, à la suite des violences de Ram Navami. Les données de recherche du CMO montrent que les médias de droite douteux pro-Hindutva ont contribué à amplifier cet appel et à soutenir une demande plus large, que les musulmans soient punis pour avoir perturbé les festivals hindous.

« The News », qui fait partie d'un ensemble de médias, connus pour leurs reportages manipulés et biaisés, a publié [39] son commentaire sur l'incident avec 9,9 millions de vues sur Facebook. La vidéo comprenait des interviews de membres de la communauté hindoue qui affirmaient que les musulmans étaient responsables des émeutes et de la violence dans la région. À la demande du journaliste, les répondants se sont également mis à accuser l'incompétence du gouvernement du parti Aam Aadmi [40] dirigé par Arvind Kejriwal pour la violence communautaire à Delhi. Ils ont affirmé que seuls des dirigeants puissants comme Yogi Adityanath [41] [fr] (né Ajay Singh Bisht, le saint homme qui est le ministre en chef du BJP de l'État voisin d'Utter Pradesh) peuvent ramener la paix à Delhi en faisant passer des bulldozers sur la propriété des « émeutiers ».

Quelques jours plus tard, le 20 avril, la North Delhi Municipal Corporation (dirigée par le BJP [42] ) a déclaré qu'une campagne de déguerpissements serait menée [43] à Jahangirpuri pour éliminer les constructions illégales. C'était juste après que NDMC ait reçu [44] une lettre du chef du BJP de Delhi exigeant que les constructions illégales et les propriétés des «éléments antisociaux et des émeutiers» soient détruites au bulldozer. [45]

Réalisant les rêves des nombreux groupes hindous qui avaient formulé de telles demandes en ligne, des bulldozers ont atteint Jahangirpuri le mercredi 20 avril au matin, accompagnés d'un grand nombre de membres du personnel de sécurité. Malgré une ordonnance de la Cour suprême de maintenir le statu quo, les bulldozers ont continué à raser [46] les magasins et les maisons à Jahangirpuri. Ils ne se sont arrêtés qu'à midi après des appels répétés d'avocats et de militants, et l'intervention physique de dirigeants politiques comme Brinda Karat du Parti communiste indien (marxiste) (CPI(M)), qui se sont tenus [46] devant un bulldozer pour arrêter la démolition.

Alors que les gens ont défendu la campagne de déguerpissement, affirmant qu'elle était simplement faite pour supprimer des constructions illégales, les musulmans ont affirmé que cette campagne était orchestrée uniquement pour cibler et punir la communauté musulmane [47]Ils ont cité la chronologie des événements (des démolitions ont eu lieu à Jahangirpuri juste après l'incident de Hanuman Jayanti) et le mépris des ordonnances du tribunal comme preuve qu'il s'agissait d'une attaque ciblée parrainée par l'État.

L'utilisateur de droite de Twitter, Sanjeev, a affirmé :

Pas les maisons de MUSULMANS, seules les constructions illégales des émeutiers à #Jahangirpuri [48] sont démolies à l'aide de #Bulldozer [49] et également pour supprimer l'empiétement illégal sur les routes et les terres gouvernementales occupées par des Bangladais. #StopBulldozingMuslimHouses [50] #DelhiRiots2022 [51] https://t.co/bbwpIIKRKU [52]

— Sanjeev (@SaffronSanjeev) 20 avril 2022 [53]

L'avocate des droits humains Kawalpreet Kaur [54], ainsi que d'autres militants, se sont rendus sur les réseaux sociaux pour partager les images des destructions causées.

Même route. Même endroit. Même société. Même empiétement pour ainsi dire. Cependant, traitement différent. Pourquoi? pic.twitter.com/mk3VD7Zp7t [55]

— Kawalpreet Kaur (@kawalpreetdu) 20 avril 2022 [56]

Les photos qu'elle a partagées montrent un temple et une mosquée à Jahangirpuri qui sont tous deux des empiétements. Pourtant, la mosquée a été endommagée par des bulldozers tandis que le temple est resté intact. Incidemment, c'est aussi la mosquée à l'extérieur de laquelle les affrontements de Hanuman Jayanti ont eu lieu [47].

Pendant ce temps, il y a eu des manifestations [57] sporadiques à travers le pays contre la « campagne de démolition au bulldozer » à Delhi. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont condamné l'incident et le hashtag #StopBulldozingMuslimHouses a fait [58] tendance sur Twitter, car de nombreux critiques ont qualifié la campagne de démolition d'« inconstitutionnelle ».

Les plateformes de réseaux sociaux deviennent un chaudron où est brassée la haine anti-musulmane

La haine et la violence que nous voyons dans les rues sont encouragées par celle vomie [59] sur les forums numériques. Les pages de réseaux sociaux et les canaux de médias éditoriaux défendent les idées d'autochtone hindoue et de suprématie hindoue. Les hindous sont mobilisés pour lutter pour une « Hindu Rashtra [60] » [fr] (nation hindoue). On leur fait croire à leur victimisation collective, la seule solution possible étant présentée comme l'élimination des musulmans du pays.

The_hindu_talks1 [61] est l'une des nombreuses pages nationalistes hindoues sur Instagram qui ont répandu la haine communautaire. Ce message particulier essaie de mettre en avant l'idée que les gentils hindous montrent de l'amour et du respect envers les musulmans. Cependant, les musulmans attaquent les hindous et essaient de leur faire du mal. Les hindous aveuglés par l'idée de laïcité sont incapables de voir la réalité.

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Les données d'une recherche du CMO ont montré que les fils Twitter utilisent souvent de faux récits. Les hashtags utilisés pour attirer l'attention sur la violence anti-musulmane qui se déroule en Inde sont détournés [63]pour présenter des récits islamophobes. Quiconque s'élève contre cela est qualifié de traître, d'anti-national et de terroriste. Les critiques et les points de vue opposés se heurtent au mépris, au harcèlement [64] et souvent à des poursuites judiciaires [65].

Ceci, associé aux campagnes de désinformation menées par des médias louches de droite, garantit que les citoyens inconscients d'un pays obtiennent un récit manipulé unilatéral qui les encourage à sauter dans le train en marche de l'Hindutva, comme l'ont montré les données du CMO.

Alors que les partis d'opposition ont signé [66] des déclarations publiques et des pétitions, ils n'ont pas dénoncé la nature de cette violence communautaire pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la violence anti-musulmane, peut-être par peur d'offenser leur base de partisans hindous de caste supérieure. Pendant ce temps le gouvernement indien militarise les lois et les politiques pour cibler ses détracteurs et fait taire quiconque s'élève contre sa politique hindoutva, l'espace pour la dissidence en Inde se rétrécit rapidement.