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La célèbre journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh abattue par une balle israélienne à la tête

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Israël, Palestine, Censure, Droits humains, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens

 

« Ce n'est pas facile de changer la réalité, mais j'ai au moins été capable de porter ces voix au monde », c'est ce qu'a déclaré la correspondante assassinée Shireen Abu Akleh dans une précédente interview à l'occasion de ses 25 ans de reportage sur la Palestine. Le 11 mai, elle a été abattue par une balle israélienne à la tête, envoyant des vagues de chagrin et de rage parmi ceux qui suivaient la cause palestinienne. Image par alwatan_live, CC BY 3.0 [1], via Wikimedia Commons

Cet article a été publié [2] pour la première fois par Raseef22 le 11 mai 2022. Une copie éditée est republiée par Global Voices dans le cadre d'un partenariat de republication.

La nouvelle du meurtre de la célèbre journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh par une balle à la tête, tirée le 11 mai par les forces israéliennes, a provoqué des vagues de chagrin et de rage dans le monde arabe et au-delà, dans un contexte d'appels à mettre fin, une fois pour toutes, aux crimes commis par Israël contre tous les Palestiniens, et les journalistes en particulier.

L'assassinat de Shireen à Jénine, en Cisjordanie occupée, alors qu'elle couvrait l'incursion de l'armée israélienne dans la ville, a attristé des millions de personnes à travers le monde.

Shireen Abu Akleh a été EXÉCUTÉE avec une balle à la tête par des tireurs d'élite israéliens alors qu'elle portait son casque et son gilet pare-balles portant l'inscription PRESS.

Combien de temps continuerons-nous à garder le silence pendant que nos « alliés » tuent des journalistes pour avoir dit des vérités qui dérangent ? #شيرين_ابو_عاقلة [3]

— Susan Sarandon (@SusanSarandon) 11 mai 2022 [4]

Des témoins ont déclaré [5] que la correspondante d'Al-Jazeera portait un gilet de presse, et un casque, ce qui indique fortement qu'elle avait été ciblée par un coup de feu tiré à la tête dans la partie visible du casque – sous l'oreille.

Selon une journaliste accompagnant Shireen lorsqu'elle a été abattue, elle portait non seulement un gilet de presse mais aussi un casque.

Les reporters faisaient face aux tireurs d'élite israéliens. Il n'y a aucun moyen qu'ils l'aient confondue. Ils ont frappé Shireen là où sa tête était exposée afin de la tuer. pic.twitter.com/W6KTeHwVZZ [6]

— Marwa Fatafta مروة فطافطة (@marwasf) 11 mai 2022 [7]

Dans une vidéo [8] devenue virale sur Twitter, le collègue de Shireen qui l'accompagnait sur le terrain a déclaré :

My fellow journalists and I gathered at a point very close to the (Israeli) army. We readied ourselves, putting on all our gear – the helmets, the shield. We waited for Shireen to come, along with another colleague. I was there first with another colleague. We made ourselves visible to the army. We then advanced a few metres, and were shot at.

Mes collègues journalistes et moi étions réunis à un endroit très proche de l'armée (israélienne). Nous nous sommes préparés, enfilant tous notre équipement – les casques, le gilet protecteur. Nous avons attendu l'arrivée de Shireen, accompagnée d'un autre collègue. J'y étais d'abord avec une autre collègue. Nous nous sommes rendus visibles à l'armée. Nous avons ensuite avancé de quelques mètres et avons essuyé des tirs.

Et il a ajouté : « Après la fusillade, nous avons essayé de soulager Shireen autant que nous le pouvions. L'occupation a ciblé Shireen alors qu'elle portait un casque. La blessure était sous l'oreille… L'occupation tenait absolument à nous tuer par des tireurs d'élite. »

Le producteur d'Al-Jazeera Ali Al-Samudi, qui se tenait près d'elle, a également été touché par une balle au dos, tirée par un soldat israélien.

Shireen, dont les reportages professionnels avec un visage et un nom emblématique, ont été une source fiable d'informations sur les agressions et les violations commises par Israël à l'encontre des Palestiniens en Cisjordanie, est décédée sur place; les médecins et sa propre équipe n'ayant pu l'atteindre immédiatement en raison des tirs nourris.

Condamnation et chagrin

Dans un communiqué [9], le réseau Al Jazeera a dénoncé  le meurtre tragique « qui viole les lois et les normes internationales » commis par l'occupation israélienne contre son reporter, soulignant que « ce crime odieux vise à empêcher les médias de faire passer leur message ».

Soulignant qu'Abu Akleh portait une veste de presse lorsque des soldats de l'occupation israélienne lui ont tiré dessus, le réseau a tenu le gouvernement israélien et les forces d'occupation pour responsables du meurtre de la journaliste, appelant la communauté internationale à « condamner et à tenir l'occupation israélienne pour responsable d'avoir  ciblé et assassiné délibérément Abu Akleh ».

Le ciblage militaire de la presse est une pratique fréquente de l'armée israélienne afin de réduire au silence les récits de sa brutalité et de ses crimes. Il y a exactement un an, le 11 mai 2021, une frappe aérienne israélienne visait et détruisait une tour qui abritait des bureaux de l'Associated Press (AP) dans la bande de Gaza malgré « des appels urgents répétés de l'agence de presse aux militaires pour arrêter l'attaque imminente » selon un rapport de l'AP. AP a qualifié [10] l'attaque de « choquante et horrifiante ».

Commentant l'exécution de Shireen, le réseau Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ) a écrit [11] : « Les journalistes, hommes et femmes, qui exercent leur rôle et leur travail dans la paix, sont ciblés par l'occupation israélienne parce qu'ils véhiculent la vérité ».

Endeuillée par la perte de Shireen, la chaîne a souligné qu'elle « a toujours été la voix qui a amené la Palestine dans chaque foyer ».

La journaliste palestinienne Christine Rinawi a écrit [12] que Shireen « se lève en martyr après avoir couvert des centaines de funérailles de martyrs. Sherine est un grand nom dans le monde du journalisme. Sherine est un grand cœur. Sherine est un mentor en matière d'humanité, de respect et d'éthique avant le journalisme. »

« La Voix de la Palestine »

Née en 1971 à Jérusalem occupée, Abu Akleh est titulaire d'une licence en journalisme et médias de l'Université de Yarmouk, en Jordanie. Elle faisait partie de la première génération de correspondants d'Al-Jazeera en Palestine, vu qu'elle a rejoint la chaîne en 1997, un an après son lancement. Avant de rejoindre le réseau qatari, Abu Akleh a travaillé pour Palestine Radio et Amman Satellite Channel.

Pendant près d'un quart de siècle, Shireen a couvert et rapporté au monde les agressions et les attaques d'Israël contre le peuple palestinien dans les territoires occupés.

Je suis choqué d'apprendre la mort de la journaliste d'Al-Jazeera Shireen Abu Akleh, qui a été abattue par les forces israéliennes en Cisjordanie occupée.

Ce meurtre épouvantable doit faire l'objet d'une enquête et la justice doit être rendue pour sa famille. https://t.co/KTCc7zsV4T [13]

— Jeremy Corbyn (@jeremycorbyn) 11 mai 2022 [14]

Dans une interview [15] précédente, Abu Akleh a déclaré à propos du danger auquel elle est confrontée lorsqu'elle couvre des lieux dangereux, en particulier lors de l'invasion israélienne de la Cisjordanie en 2002 : « Dans les moments difficiles, j'ai surmonté la peur. J'ai choisi le journalisme pour être proche des gens. Ce n'est peut-être pas facile de changer la réalité, mais j'ai au moins pu faire entendre cette voix au monde. »

« J'ai choisi le journalisme pour être proche des gens. Ce ne sera peut-être pas facile de changer la réalité, mais j'ai au moins pu faire entendre cette voix au monde. Je suis Shireen Abu Akleh ». Cette signature restera à jamais emblématique. Repose en puissance et en paix Shireen. pic.twitter.com/WKFjypywEa [16]

— Salem Barahmeh (@Barahmeh) 11 mai 2022 [17]

Dans une autre interview accordée à Al Jazeera, Abu Akleh a déclaré que l'occupation israélienne l'a toujours accusée de photographier les zones de sécurité, exprimant son sentiment constant d'être prise pour cible et d'être confrontée à l'armée d'occupation israélienne et aux colons armés.

L'un des moments où elle a eu le plus d'impact, a raconté Shireen, a été sa visite à la prison d'Ashkelon où elle a vu la condition des prisonniers palestiniens, dont certains ont passé plus de 20 ans derrière les barreaux.

« Les yeux rivés sur la vérité »

Dans un article publié par le journal égyptien indépendant Mada Masr, Sahar Mandour, une romancière et journaliste libano-égyptienne a écrit :

على مرّ حياتها الراشدة، شيرين نقلت الخبر كاملًا من موقع حدوثه على الأرض. ولما صارت هي الخبر، وصلنا أيضًا كاملًا، دقيقًا، لا لبس فيه، ومن موقع حدوثه على الأرض.

Tout au long de sa vie d'adulte, Shireen a rapporté la nouvelle dans son intégralité du lieu de l’événement. Et quand c'est elle qui est devenue la nouvelle, on a eu aussi l'information intégrale, précise, sans ambiguïté et du lieu de l’événement.

Sur sa page Facebook, Mandour a écrit [18] : « Israël a tué Shireen Abu Akleh parce que Shireen lui a fait du tort. Dès le premier jour où elle s'est tenue devant la caméra et a transporté le monde au cœur de la Palestine, elle a lancé le plan de son assassinat. Au fil des décennies et des guerres, de l'intifada à aujourd'hui, nous avons fait confiance à Shireen, et nous avons marché avec elle sur les collines et entre les arbres, nous avons conquis les quartiers des villages et nous avons balayé les rues des villes du regard. Nous avons vu la Palestine à travers elle, et nous avons vu l'occupation de près, œil pour œil, avec elle. »

Elle a conclu : « Son assassinat est un choc, bien sûr, mais c'est le résultat d'un crime organisé. Ce n'est pas par accident ou par erreur, mais par une décision et une action réelle. Israël a tué une des héroïnes de la Palestine. »

Le chercheur du Centre palestinien Masarat [19], Razi Nabulsi, a écrit sur Facebook :

In every corner, in every house, there is a TV, in every corner, in every house, there is tears today. In every Palestinian home, we cry, Shireen Abu Akleh – Palestine.

Dans chaque coin, dans chaque maison, il y a une télé, dans chaque coin, dans chaque maison, il y a des larmes aujourd'hui. Dans chaque foyer palestinien, nous pleurons, Shireen Abu Akleh – Palestine.