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Les partisans de la junte militaire birmane utilisent Facebook pour justifier la violence contre les civils

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Droits humains, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Country Monitor Observatory 2021-2022, L'observatoire des médias citoyens

De nombreux Birmans se rendent sur Facebook pour discuter du régime militaire. La population compte en son sein des partisans de la démocratie, mais aussi des partisans de la junte militaire comme en témoignent les groupes, pages et profils individuels publiés sur la plateforme. Les différents messages, que les posts sur les réseaux sociaux véhiculent, cherchent à influencer une nation déjà déchirée, or les médias traditionnels étrangers omettent d'en parler.

Des chercheurs birmans ont analysé (en passant au peigne fin les réseaux sociaux) la manière dont les citoyens partisans de la junte militaire justifient la violence des forces armées envers les civils.

Pourquoi est-ce si important ?

Cela fait plus d'un an que les forces militaires ont pris le pouvoir dans le pays et arrêté ses dirigeants démocratiques, ainsi que près de 10 000 civils. Des douzaines de personnes ont été condamnées à mort. L'armée serait à l'origine du massacre de plus 1 700 personnes, y compris des enfants. Des centaines de milliers de jeunes (étudiants, professionnels, activistes politiques) ont fui pour se réfugier dans les pays voisins ou alors se cachent à l'intérieur de Myanmar.

Suite l'an dernier à la répression brutale des nombreuses manifestations pro-démocratie, des milliers de jeunes ont pris les armes afin de mener ce que l'on pourrait appeler une guérilla contre la junte militaire. Des milices ethniques, qui critiquent depuis des décennies le gouvernement, ont formé beaucoup d'entre eux. Le Myanmar est dirigé par un régime militaire de 1962 à 2011, année durant laquelle le pays entre dans une période de transition démocratique avant de tomber de nouveau entre les mains de la junte militaire.

Des dons de la population birmane financent [1] en grande partie la nouvelle résistance armée civile et décentralisée, plus connue sous le nom de « Forces de Défense populaires » (PDF). Les partisans de la junte militaire, qui sont généralement conservateurs, cherchent à discréditer et justifier la violence envers la résistance.

Utilisation quotidienne de Facebook : fonctionnement

Arguments en faveur de la junte militaire birmane

1.« Les Forces de Défense populaires constituent un groupe terroriste qui porte atteinte à la population » [5]

Depuis le coup d'État de 2021, la Tatmadaw (les forces armées de Myanmar) est accusée d'avoir commis de graves violations des droits humains. Au mois de janvier 2022, Michelle Bachelet, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a déclaré [6] que l'armée affiche « un mépris flagrant pour la vie humaine. » De nombreux civils (qui n'ont pas toujours de liens avec la résistance) « ont été abattus d'une balle dans la tête, brûlés vifs, victimes d'arrestations arbitraires, torturés ou utilisés comme boucliers humains. » Par exemple, au mois de décembre dernier, un camion militaire a foncé sur une foule de manifestants, tuant cinq personnes. Deux jours plus tard, l'armée aurait brûlé vives 11 personnes dans la région de Sagaing.

Face à la montée de la répression, des milliers de civils pro-démocrates ont uni leurs forces pour se défendre et contre-attaquer. Durant ces derniers mois, ils ont ciblé [7] des commissariats de police, des camions et des petites unités militaires et ont tué [8] du personnel militaire et de police. Une grande partie de la population birmane continue à réunir des fonds afin de soutenir les Forces de Défense populaires.

Ce genre de discours conduit à d'autres, plus dangereux, tels que ceux justifiant les actes de violence meurtrière envers les Forces de Défense populaires, une tendance qui dernièrement s'est accentuée alors que certains partisans de la junte estiment que la Tatmadaw s'est « ramollie ».

Déroulement du récit sur Facebook

Thingyan, un festival de l'eau, a lieu chaque avril à Myanmar. Durant le festival, les gens s'éclaboussent avec de l'eau. Certains distribuent de la nourriture. Le post ci-dessous prétend que les Forces de Défense populaires auraient versé de l'acide dans des bouteilles d'eau et empoisonné des œufs. Les Forces de Défense populaires ne sont pas citées dans le commentaire mais il est évident qu'il s'agit bien d'elles (en raison de l'utilisation des termes « destruction et troubles »). Les réponses à ce post et les personnes qui l'ont partagé mettent en garde les autres utilisateurs contre les attaques présumées des Forces de Défense populaires. Pour une analyse plus détaillée, cliquez ici [9].

[9]

Veuillez lire l'analyse d'autres posts. Des utilisateurs de Facebook suggèrent que l'armée semble ignorer les normes de la communauté internationale (MM_124), d'autres accusent les partisans de la démocratie de perturber l'éducation des enfants et des étudiants, [10] et de présumés soldats affirment que l'armée n'est pas assez soutenue. [11]

2.« Les jeunes qui rejoignent les Forces de Défense populaires sont malavisés et n'ont aucune moralité. » [12]

Les sympathisants de la junte sont davantage attachés aux valeurs traditionnelles telles que la religion organisée, le nationalisme, et l'éducation formelle. En 2011, lorsque le pays entre dans une phase de transition démocratique, certains conservateurs se sentent menacés.  Le parti de l'activiste pro-démocrate Aung Suu Kyi remporte les élections de 2020 avec une majorité écrasante, mais quelques mois plus tard, la Tatmadaw déclare que les résultats sont frauduleux et annule le vote.

Selon nos chercheurs : « Suite à l'instauration du gouvernement civil dans le pays, la population birmane est devenue plus progressiste; ce qui représente une menace pour les partisans de la junte qui sont nationalistes et font partie de groupes bouddhistes radicaux. Ils pensent qu'en vivant sous une dictature qui partage les mêmes valeurs, ils peuvent poursuivre leurs activités religieuses quotidiennes en toute sécurité. »

Les rhétoriques qui accusent les jeunes de perversité sont étroitement liées à celles qui affirment que  « Seuls les partisans de la junte aiment leur pays et reconnaissent l'importance du bouddhisme » [13]et à l'islamophobie.

Les sympathisants de la junte accusent les jeunes activistes d'être sous l'influence de la drogue, de l'alcool, ou de valeurs occidentales. Ce genre de rhétorique comporte également des connotations sexistes à propos de la vie sexuelle des jeunes femmes et incite à la violence sexuelle.

Propagation du récit sur Facebook

Cette page de Facebook pro-junte partage deux photos : la première montre une jeune femme enceinte, et membre présumée de la résistance, et la deuxième dépeint Aung Myo Min, le Ministre des droits humains sous le Gouvernement d'unité national (NUG), l'entité d'hommes et de femmes politiques élus en 2020, et aujourd'hui en exil. La légende de la photo indique que « la jeune femme enceinte, appartenant aux Forces de Défense populaires, et le ministre homosexuel » vont figurer dans un documentaire pro-démocrate. Pour une analyse plus détaillée, cliquez ici [14].

[14]

Veuillez lire ici l'analyse d'autres posts affirmant que les valeurs du bouddhisme ne sont plus respectées [15], que l'éducation prône des valeurs libérales et islamiques [16], que les Forces de Défense populaires sont en train de démanteler le système éducatif [17] , et des posts qui encouragent la violence envers les femmes appartenant à des groupes rebelles. [18]

3. « Le régime militaire a besoin de dirigeants capables de prendre des mesures plus fermes envers le mouvement pro-démocrate » [19]

Après le coup d'État en 2021, les sympathisants des forces armées se sont félicités de la mise en place de la junte et du nouveau conseil militaire présidé par Min Aung Hlaing. Cependant, un an plus tard, certains ont exprimé leur mécontentement face au laxisme et à l'indécision du régime à lutter contre le mouvement pro-démocrate, et ce en dépit des violentes représailles. Ce point de vue est justifié par les nouvelles de soldats tués durant des affrontements avec des groupes rebelles armés. D'autres insistent que l'armée pourrait facilement détruire les Forces de Défense populaires si elle en avait vraiment envie [20].

Interprétation des récits sur Facebook

Une page de Facebook partisane pro-junte partage un post nostalgique de l'ancienne période dictatoriale. La légende qui accompagne une photo montrant d'anciens dictateurs birmans (les généraux Than Swe et Khin Nyut) explique qu'à cette époque, le pays était paisible et que l'auteur du post aimerait que ces dirigeants retournent au pouvoir. Le post laisse sous-entendre que le pays est de plus en plus instable à cause de la résistance armée et que le régime actuel est trop laxiste envers l'opposition. Pour une analyse plus détaillée, cliquez ici. [21]

[21]

Veuillez lire ici d'autres posts affirmant que le régime en place est trop faible [22] et qui rappellent [23] l'ancien régime de dictature.

Consultez toutes nos informations sur Myanmar 

D'autres récits connexes à explorer :

Undertones est le bulletin d'informations de l'Observatoire civique des médias. Découvrez ici notre mission [29] et notre méthodologie [30], ainsi que les données accessibles au public [31].