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Fuir ou ne pas fuir? Telle est la question au Sri Lanka

Catégories: Asie du Sud, Sri Lanka, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Travail, The Bridge
Jayathma Wickramanayake, the current United Nations Secretary-General's Envoy on Youth, welcoming the then United Nations High Commissioner for Human Rights, Navaneethem Pillay. August 2013. Image via Wikipedia by Sankachandima. CC BY SA 4.0 [1]

Jayathma Wickramanayake, envoyée du Secrétaire général des Nations Unies pour la jeunesse, s'adressant à un parlement de la jeunesse au Sri Lanka. Août 2013. Image de Sankachandima [1] via Wikipedia. CC BY SA 4.0 [2]

[ Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt. ]

Cette publication est apparue initialement sur Groundviews [3], un site Internet sri-lankais pour médias citoyens récompensé de plusieurs prix. La version publiée ici est éditée dans le cadre de l'accord de partage de contenu convenu avec Global Voices. 

Anciennement reconnu comme le peuple le mieux nourri, le plus éduqué et en bonne santé d'Asie du Sud, les Sri-lankais font aujourd'hui face à la sombre perspective d'une crise financière [4] [fr] généralisée qui ralentirait dramatiquement les acquis sociaux ardemment accumulés durant ces dernières décennies. L'économie sri-lankaise a connu une brève relance [5] après la guerre civile [6] [fr] de 30 ans qui a pris fin en 2009.

La Banque mondiale estime [7] qu'en 2021, la barre de 500 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a été atteinte. Avec l'arrivée des pénuries [8] alimentaires et de carburant, la hausse des prix des produits de première nécessité, l’embargo sur les importations, la fermeture des écoles, ainsi que la dégradation du système de santé due en partie à la mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19 [9], les files d'attente s'allongent aux bureaux de délivrance des passeports. Un Sri-lankais sur quatre, et principalement les jeunes et les plus instruits, déclare vouloir [10] quitter le pays. L'explosion des prix des denrées alimentaires [11] impacte la capacité des chefs de famille à subvenir aux besoins de leurs foyers, tandis que les dirigeants politiques quémandent bol à la main à tout un chacun. Même le Bangladesh, qui fait face à ses propres difficultés financières, est devenu [12] un mécène.

Les files d'attente aux bureaux [13] de délivrance des passeports, ajoutées à la forte demande d'avocats spécialisés en droit de l'immigration ainsi qu'aux plaintes partagées sur les réseaux sociaux au sujet de la vie quotidienne, témoignent du mécontentement de la majorité de la population au sujet de leur situation. Celle-ci ressent un manque d'espoir pour le pays, dirigé par des politiques corrompues, fondées sur des discriminations systémiques et sur un écart entre les riches et les pauvres qui se creuse continuellement.

Les plus démunis sont forcés de subir des conditions de vie difficiles en tant que travailleurs immigrés pour des employeurs exigeants dans des foyers, usines et bureaux des pays du Moyen-Orient; tandis que les plus instruits et privilégiés ont la possibilité de tenter leur chance dans des pays occidentaux où la météo, la qualité de vie et les différences de traitement sont des challenges à relever.

Un récent sondage [10] réalisé par l'Institut pour la politique sanitaire (Institute for Health Policy, IHP) révèle que le nombre de Sri-lankais souhaitant quitter le pays ne cesse de croître et est le plus élevé de ces cinq dernières années. Environ un Sri-lankais sur quatre [14] souhaiterait émigrer si l'opportunité se présentait. Les jeunes et les plus instruits composent la grande majorité de ces personnes, dont plus de moitié souhaite quitter le pays. Parmi ceux qui souhaitent émigrer, un sur quatre l'ont déjà planifié. Au-delà des salaires inadéquats et des prix qui grimpent en flèche, la vente des biens nationaux et la gouvernance peu rigoureuse du pays sont des éléments qui motivent également à quitter le pays.

Dans un scénario si désespéré, qu'est-ce qui pourrait empêcher les gens qui ont la possibilité de partir de le faire? Pourquoi sacrifier l'avenir de leurs enfants et continuer à contribuer à un pays qui n'a aucun espoir de rédemption? Quitter le pays semble être la bonne chose à faire.

Mais pas selon Prashan De Visser, président et fondateur de Sri Lanka Unites [15], une organisation qui lutte pour donner plus de pouvoir aux nouvelles générations et les motiver à coexister en harmonie tout en contribuant à leur pays. Lors d'une interview avec Groundviews, il déclare : « Si des voleurs viennent chez vous et cambriolent votre maison, vous n'allez pas prendre vos affaires et fuir, vous allez rester et vous battre. Nous devons rester et nous battre pour jouer notre partition; nous en avons les capacités ».

Groundviews (G): Pourquoi est-ce que les gens quittent le pays ou ressentent le besoin de partir? 

Prashan De Visser (PDV): There has always been an exodus of capable people, with an estimated three million Sri Lankans living offshore. Waves of people are leaving and the brain drain has a direct impact on hopes of becoming a developed country. This generation sees the world more clearly because of social media, access to information and interaction with other young people across the world. The choice is to go because they are not going to achieve their potential here. There are some who are not seeking to leave the country forever but intend to return. However, once you get sucked into life there, it becomes impossible to come back. We need to address this because the country can’t withstand another generation or two of a brain drain.

Prashan De Visser (PDV): Cet exode de personnes capables de rester a toujours existé; on estime que trois millions de Sri-lankais résident à l'étranger. Des vagues de personnes quittent le pays et la fuite des cerveaux a un impact direct sur les espoirs de développement du pays. Cette génération a une vision du monde plus claire grâce aux réseaux sociaux, à l'accès à l'information et aux interactions avec d'autres jeunes à travers le monde. Certains d'entre eux ne cherchent pas à quitter définitivement le pays, mais planifient plutôt de revenir plus tard. Cependant, une fois absorbés par le quotidien dans leurs nouveaux pays, il devient impossible pour eux de revenir. Il est important de parler de ce sujet, car notre pays ne pourra pas supporter la fuite des cerveaux d'une ou deux générations de plus.

G: Comment convaincre la population de rester? 

PDV: Not everyone will be inspired by their duty and responsibility to the nation. People who are leaving are the privileged ones who can get visas to go abroad, but we have a responsibility to those less privileged. People who want to leave should realise that if you go to the West, your success is not guaranteed, so these exaggerated notions should be taken away. There are people who have made a success here, having seen opportunities and achieved more here than they could have anywhere else. We have an ageing population, parents who provided and cared for us.

PDV: Tout le monde ne sera pas motivé par son devoir de citoyen ou sa responsabilité envers la nation. Les personnes qui quittent le pays comptent parmi les privilégiés qui ont la possibilité d'obtenir un visa pour aller à l'étranger, mais nous sommes responsables de ceux qui sont moins privilégiés. Ceux qui souhaitent partir doivent prendre conscience qu'aller en occident ne garantira pas leur succès, donc les discours exagérés ne doivent pas être pris en compte. Il y a parmi nous des personnes qui ont réussi ici, qui ont su saisir des opportunités et qui ont accompli plus de choses qu'ils n'auraient pu en accomplir ailleurs. Notre population vieillit, ce sont des parents qui ont subvenu à nos besoins et qui ont pris soin de nous.

G: Comment faire pour transmettre aux minorités un sentiment d'appartenance au pays qui les motiverait à rester? 

PDV: Governments and politicians have failed us and created a divisive culture of divide and rule. Fellow citizens are treated as second class. We have a responsibility to speak out against injustices; for too long we have been passively against it or turned away. The cost to pay is that people will embrace extremism and send the country back through cycles of violence. You and I can’t continue to be silent about discrimination and racism and have to speak out. People are realising that politicians have created hate to hide their political incompetence.

PDV: Les gouvernements et politiques n'ont pas été à la hauteur et ont créé une culture divisionnaire du diviser pour mieux régner. Nos concitoyens sont traités comme des personnes de seconde zone. Nous avons le devoir de dénoncer les injustices, car depuis bien trop longtemps nous nous contentons de nous y opposer passivement ou de simplement détourner le regard. Le prix à payer est que des gens en viennent à adhérer à des courants extrémistes qui ne font que replonger le pays dans des vagues de violence. Ni vous ni moi ne pouvons continuer à garder le silence sur la discrimination et le racisme, nous devons les dénoncer. Les gens commencent à prendre conscience que les politiques nourrissent un climat de haine dans le seul but de masquer leur incompétence politique.

G: Qu'est-ce qui nourrit votre optimisme? 

PDV: Given everything we have been through as a country, we have to be optimistic regardless of how bad the situation is, as it is darkest before light. This generation can be the generation that thinks beyond themselves and have a vision for the country where no one is a second-class citizen. Young people want to serve, be honest, and be held accountable, living beyond the parameters of their own selfish needs so we need to invest in them to come together across ethnic, religious, professional and regional lines. This is what gives me hope. For 15 years I have been dedicated to working with young people, mining for the incredible talent of young Sri Lankans who are the greatest asset of our nation. We need to ensure that they are not depressed or lose the capacity to hope.

PDV: Au vu de tout ce que le pays a traversé, nous nous devons de rester optimistes, peu importe à quel point la situation est mauvaise, car l'orage est toujours suivi d'une éclaircie. Notre génération peut être celle qui ne pensera pas qu'à elle même et qui aura une vision du pays où il n'y aura pas de citoyen de seconde zone. Les jeunes souhaitent contribuer au pays, être honnêtes, être tenus responsables, et vivre sans se baser uniquement sur leurs propres intérêts, donc nous devons leur donner les moyens de se rassembler au-delà des limites ethniques, religieuses, professionnelles et régionales. Je dédie mon travail aux jeunes depuis maintenant 15 ans, et je creuse à la recherche du talent des jeunes sri-lankais qui sont le plus grand atout de notre nation. Nous devons nous assurer qu'ils ne sombrent pas dans la dépression ou qu'ils ne perdent pas leur capacité à garder espoir

G: Quels changements avez-vous constatés à travers votre travail avec Sri Lanka Unites?

PDV: Students who believed that violence was the only way and hated others today believe in peace. Sinhalese from the south who thought every Tamil was a terrorist now see the injustices done and speak out for them. There are hundreds of stories of young people whose minds have been transformed; they want to be part of the solution.

PDV: Les étudiants qui pensaient autrefois que la violence était la seule solution et qui éprouvaient de la haine envers les autres ont aujourd'hui opté pour la paix. Les Cinghalais du sud qui pensaient que tous les Tamils étaient des terroristes ont pris conscience des injustices dont ceux-ci sont victimes et prennent leur défense publiquement. Nous avons des centaines d'histoires de jeunes dont la façon de penser s'est métamorphosée; ils souhaitent désormais apporter des solutions.

G: Quel avenir envisagez-vous pour vos enfants?

PDV: We have two sons aged three and four. If we went abroad we could have a more affluent lifestyle but we decided to stay and serve here. The question is whether our sons will curse us 20 years from now and ask why we didn’t leave. That means I have a responsibility to work hard so that they will proud of our generation for not giving up, and we can talk about the history of violence, broken structures, poverty and corruption in the past tense. We would have lived up to our potential and become a model to other nations — a success story from bankruptcy to a thriving nation. It seems improbable and impossible right now but all things that inspired us seemed improbable until they were done.

We have to give it a shot, give it with everything we have got. Politicians and political parties have no solution or vision so it is we the people who have to transform the country.

PDV: Nous avons deux fils âgés de trois et quatre ans. Si nous déménagions à l'étranger nous pourrions mener une vie plus confortable mais nous avons décidé de rester ici et de contribuer au pays. La question réside plutôt autour de nos enfants qui d'ici 20 ans pourraient nous maudire et nous demander pourquoi nous ne sommes pas partis. Cela signifie donc que j'ai la responsabilité de travailler dur afin qu'ils soient fiers de notre génération pour sa persévérance, et pour que l'on puisse parler des climats de violence, du vandalisme, de la pauvreté et de la corruption au passé. Nous aurons alors atteint notre potentiel et serons devenus un exemple pour les autres nations, l'exemple de réussite d'un pays endetté devenu prospère. Cela paraît pour le moment improbable et impossible, mais toutes les choses qui nous ont inspirées semblaient improbables jusqu'à ce qu'elles se réalisent.

Nous devons tenter et tout donner. Les politiques et leurs partis n'ont aucune solution ni perspective d'avenir, c'est donc à nous le peuple de transformer notre pays.