Les politiciens nigérians indifférents à la grève des enseignants d'universités, se concentrent sur les élections

Une cérémonie de remise de diplômes dans une université privée au Nigeria. Image Flick de Rajmund Dabrowski/ANN, le 7 juin 2009. (CC BY-NC-ND 2.0).

L'Academic Staff Union of Nigeria Universities (ASUU) (le Syndicat des enseignants du supérieur du Cameroun) est en grève « totale et complète » depuis le 14 février 2022, obligeant les universités publiques nigérianes financées par le gouvernement fédéral à fermer leurs portes. Au cours des deux derniers mois, de nombreux étudiants nigérians sont restés chez eux pour tenter de limiter les perturbations de leur calendrier universitaire.

La grève a débuté après l'échec du syndicat et du gouvernement à trouver un terrain d'entente pour répondre aux revendications des professeurs d'université.

Sur les 170 universités que compte le Nigeria, 43 sont gérées par le gouvernement fédéral et 48 sont détenues et gérées par les gouvernements d'États. Les 79 restantes sont des institutions privées.

L'incapacité du gouvernement à mettre en œuvre l'accord conclu en 2009 avec les enseignants d'universités est l'une des principales causes de cette grève. Plus précisément, l'ASUU a accusé le gouvernement d'avoir renoncé au paiement d'« environ 880 milliards de NGN » (à peu près 2,2 milliards de dollars), somme destinée à la « redynamisation des universités ». « Il a également refusé d'intégrer les primes d'enseignement supérieur au budget de l'année 2022 comme promis ».

Le professeur Ayo Akinwole, responsable de l'ASUU, déplore la situation et explique « bien que les politiciens nigérians soient parmi les mieux payés au monde, les enseignants sont parmi les moins bien rémunérés. Les professeurs gagnent moins de 1 000 dollars par mois ». Le revenu annuel des législateurs nigérians est un des plus élevés au monde et varie entre 150 000 et 190 000 dollars.

Le gouvernement, par l'intermédiaire du ministre du Travail et de l'Emploi Chris Ngige, a déclaré qu'il ne disposait pas des fonds nécessaires pour répondre aux demandes des enseignants en grève. Néanmoins, le ministère de l’Éducation a mis en place un comité pour négocier avec le syndicat le 2 mars et trouver une issue favorable à la situation.

Trop de grèves de l'ASUU ?

La toute première grève de l'ASUU était contre les excès dictatoriaux du régime militaire alors en place et a entraîné la suppression du syndicat le 7 août 1988. Depuis lors, le syndicat n'a cessé de recourir aux actions de grève comme moyen de négociation avec le gouvernement.

Le Premium Times, un journal en ligne nigérian déclare que depuis 1999, date du retour à un régime démocratique pour le Nigéria, les enseignants d'universités sont entrés en grève à 15 reprises. Soit une période équivalente à 50 mois. La grève de l'ASUU de 2020 a duré neuf mois, l'équivalent d'une année universitaire. Selon un éditorial du Nigerian Tribune, un journal local, « entre 1999 et 2020 l'ASUU a fait grève 17 fois pour un total de 1 450 jours. Le syndicat a donc fait grève tous les 15 mois, l'équivalent de quatre années civiles sur 21 ans ».

L'effet cumulatif de ces grèves a eu un impact dévastateur sur l'enseignement universitaire dans le pays. « Les performances académiques des étudiants sont affectées négativement et l'ensemble du système éducatif est presque paralysé. Il en résulte des étudiants et des diplômés mal formés, inemployables, qui n'ont pas les compétences élémentaires nécessaires pour survivre dans des environnements dynamiques comme le Nigeria et le reste du monde », déplore The Cable, un journal en ligne.

Un gouvernement impitoyable et insensible ?

La grève de l'ASUU n'est que le reflet du « manque d'intérêt fondamental du gouvernement nigérian pour l'éducation publique », affirme Ebenezer Obadare, professeur et maître de conférences au pôle des études africaines du Conseil des Relations internationales (CRI).

Les nombreuses grèves organisées par les syndicats dans les universités nigérianes confirment l'affirmation selon laquelle le gouvernement serait insensible à l'enseignement public.

Le Non-Academic Staff Union of Universities (NASU) (Syndicat du personnel non enseignant des Universités)  et le Senior Staff Union of Nigerian Universities (SSANU) (Syndicat du personnel supérieur des universités nigérianes) ont entamé une grève d'avertissement le 27 mars 2022. Le motif était le non-respect par le gouvernement des accords d'octobre 2020 et de février 2021 conclus avec les syndicats sur le bien-être du personnel. Suite au « silence persistant du gouvernement nigérian face aux requêtes des syndicats », la grève a été prolongée d’un mois le 21 avril.

La vague de grèves est directement liée au financement insuffisant accordé à l'enseignement public au Nigéria. Le montant de 1,09 trillion de NGN (environ 2,8 millions d'USD) alloué à l'éducation durant l'année 2021 est l'un des plus faibles depuis une décennie. Selon une analyse de BudgIT, une organisation de la société civile nigériane, ce montant est inférieur à la norme de l'UNESCO, qui prévoit de réserver « 15 % à 20 % du budget national à l'éducation ».

Si le gouvernement nigérian souhaite prendre la problématique du financement des universités à bras-le-corps, le budget de l'éducation « devrait se situer dans une fourchette de 2,03 à 2,7 trillions de NGN, et non de 1,09 trillion de NGN », a souligné BudgIT, un groupe de réflexion économique nigérian.

La gouvernance suspendue pour les élections électorales

M. Ngige et son homologue, Emeka Nwajiuba, vice-ministre de l'Education, représentent tous deux le gouvernement fédéral dans les négociations avec l'ASUU. Les deux ministres ont également déclaré leur intention de briguer le poste suprême du pays, celui de président.

Le ministre d'État à l'EQducation a acheté un formulaire présidentiel à 100 millions de dollars alors que l'ASUU est en grève. Le ministre du Travail et de la Productivité veut lui aussi devenir Président. Le ministre de l'Education fait figure de travailleur fantôme. Mais il a réussi à conserver son poste pendant 7 ans. Tragicomédie.

Malheureusement, cela donne l'impression que la gouvernance au Nigeria a été suspendue. Les étudiants nigérians passeront peut-être leur année scolaire à la maison, tandis que les ministres poursuivent leur campagne électorale.

Alors que l'ASUU négocie avec un gouvernement qui fait la sourde oreille, il est peut-être temps pour le syndicat de repenser sa stratégie, selon les conseils d'un éditorial du Nigerian Tribune. Sinon, le syndicat  court le risque d'être « perçu par beaucoup comme ayant fait de la grève sa vocation ».

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