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L'empoisonnement illicite d'animaux sauvages dans les Balkans constitue une menace pour la biodiversité ; et pourtant seulement 1% des cas font l'objet d'une action en justice.

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Europe de l'ouest, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce, Macédoine, Développement, Droit, Environnement, Médias citoyens, Santé, The Bridge, Green Voices
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Vautour fauve mort empoisonné en Bulgarie. Photo de Hristo Peshev/ FWFF, utilisée avec permission.

BalkanDetox LIFE project [2] est l'auteur de cet article. Une version éditée est republiée sur Global Voices avec autorisation.

L'usage illicite de substances toxiques dans l'environnement envers des animaux qualifiés « d'indésirables » représente une menace pour la diversité biologique ainsi que pour la santé publique. Pourtant,  selon une étude récente sur l'empoisonnement des vautours dans les Balkans [3] réalisée par BalkanDetox LIFE (un projet subventionné par le Programme de financement européen LIFE), cette pratique continue de passer inaperçue et de rester impunie.

Au cours de la période étudiée, entre 2000 et 2020, 1 046 cas d'empoisonnement d'animaux sauvages (y compris des cas présumés) ont été répertoriés à travers l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, la Macédoine du Nord, et la Serbie. Les conflits entre humains et mammifères prédateurs (en particulier les loups, renards, chacals et ours) qui représentent une menace pour les cheptels, la production agricole et le gibier dans les zones de chasse semblent être la principale raison derrière ces empoisonnements.

Lors d'un communiqué de presse, Uroš Pantović, le coordonnateur de projets de BalkanDetox LIFE, a déclaré :

« Cette pratique ne résout pas les conflits entre les humains et la faune sauvage. Aussi, elle n'est pas sélective, car elle met en danger des espèces en voie de disparition ainsi que les citoyens (notamment des enfants) qui ignorent son existence. »

Des carbamates, en particulier du  Carbofuran [4], ont été décelés dans presque tous les cas d'empoisonnement. Le carbofuran est un pesticide interdit qui présente des risques pour la santé; selon le  Centre américain pour les informations biotechnologiques (NCBI) [5] , une seule dose de quelques milligrammes peut être mortelle pour les humains « en cas d'ingestion, d'inhalation, ou d'absorption cutanée. Un contact avec la peau ou les yeux peut provoquer des brûlures. »

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Vautour d'Egypte mort empoisonné dans la Macédoine du Nord. Photo de Metodija Velevski/ MES [7], utilisée avec permission.

En général ce sont les charognards qui souffrent le plus d'empoisonnement illicite, mais pas autant que les vautours qui sont identifiés dans un cas sur quatre. Entre 2000 et 2020, 465 vautours sont morts dans la péninsule des Balkans, y compris 47 vautours d'Egypte, 17 vautours Moine et un gypaète barbu.

Dans cette région, la population des vautours fauves [8] est la plus touchée : 400 sont morts suite à 233 incidents isolés ou suite à des incidents présumés d'empoisonnement. Ils sont suivis de près de la buse variable (392 morts lors de 190 incidents isolés) et du renard roux (389 morts lors de 141 incidents isolés).

Selon Jovan Andevski, directeur de programme de la Fondation pour la Conservation des Vautours (VCF) : [9]

« D'après des estimations, près de 115 vautours meurent empoisonnés chaque année dans les Balkans, y compris les 20% de cas qui ne sont jamais découverts ou signalés.»

Cette pratique a de lourdes conséquences sur les populations de vautours de la région et a entraîné l'extinction de certaines espèces à l'échelle locale et régionale. L'empoisonnement d'animaux sauvages reste la menace la plus importante pesant sur les vautours de la péninsule des Balkans et empêche aujourd'hui leur rétablissement. Ce facteur limitatif doit être pris en compte dans la planification de programmes de conservation, et en particulier des programmes de repeuplement et de réintroduction de vautours.

Besoin urgent de lutter contre l'empoisonnement d'animaux sauvages dans les Balkans

Un manque de sensibilisation, d'engagement des autorités gouvernementales compétentes, de clarté des lois et des juridictions, ainsi qu'un manque de ressources et de capacités nécessaires au contrôle des cas d'empoisonnement, constituent les principaux obstacles auxquels nous sommes confrontés pour lutter efficacement contre ce problème.

Selon l'étude menée en 2022 sur l'empoisonnement des vautours dans les Balkans :

« Cette pratique est illégale en Europe, y compris dans les Balkans, mais la population locale l'utilise encore comme un moyen rapide et bon marché pour résoudre ses différends avec les prédateurs et autres animaux sauvages. La principale motivation pour cet usage intensif de substances toxiques est le conflit qui existe entre les éleveurs de bétail, les chasseurs, les fermiers et les prédateurs mammifères, en particulier les loups, mais aussi les chacals, les renards et les chiens errants ou sauvages…Une mauvaise application de la loi, le marché illégal de pesticides interdits et le libre accès à des substances toxiques sur les marchés, facilitent son usage à grande échelle.  »

 

De plus, « il n'est pas rare que » l'empoisonnement illicite « soit utilisé comme moyen pour régler des différends et disputes entre plusieurs personnes. »

Dans certains pays des Balkans, l'impunité de l'empoisonnement d'animaux sauvages n'a que récemment fait l'objet d'un débat public. Par exemple, jusqu'en 2019, cette pratique n'était pas considérée comme un crime en Albanie. Le court métrage documentaire qui suit, publié sur YouTube par la Fondation pour la Conservation des Vautours, fait la lumière sur le phénomène de l'empoisonnement des animaux sauvages en Albanie, [10] au fil des ans et jusqu'à aujourd'hui.

Les écologistes, qui luttent pour protéger les vautours et autres animaux, cherchent à sensibiliser le public sur la gravité de cette pratique et à la rendre socialement inacceptable.

Ils utilisent différents moyens pour faire passer leur message, notamment des animations pédagogiques pour informer les jeunes mais aussi les plus âgés :

Lutter contre l'empoisonnement illicite d'animaux sauvages nécessite une approche pluridisciplinaire et la concertation de multiples intervenants.

Les principales circonstances aggravantes et barrières à la prévention et à la répression de l'empoisonnement d'animaux sauvages incluent un manque de clarté de la législation, des lacunes dans l'application des lois, des peines trop légères, des protocoles d'intervention policière insuffisants et vagues, ainsi que des capacités limitées de la police.

Le programme de BalkanDetox LIFE vise à impliquer davantage les autorités compétentes et à renforcer leurs capacités grâce à l'Académie de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (WCA) et d'autres projets de formation, dans le but d'améliorer l'investigation et le contrôle des cas d'empoisonnement. Il préconise une élaboration de procédures opérationnelles normalisées plus efficaces et plus claires afin de définir les responsabilités de chacun dans le signalement, l'investigation et le contrôle des cas d'empoisonnement, en se basant sur les meilleures pratiques en vigueur actuellement dans d'autres pays. 

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Aigle royal mort empoisonné en Grèce. Photo de Lavrentis Sidiropoulos, utilisée avec permission.

Par exemple, selon cette récente enquête menée dans les Balkans entre 2000 et 2020, 1 046 cas auraient été répertoriés dans l'ensemble des pays étudiés . Plus de la moitié (55 %) ont été recensés en Grèce, et plus d'un quart (28 %) en Serbie. Dans ces deux pays, des organisations de la société civile locales ont déployé d'énormes efforts afin de contrôler l'empoisonnement de la faune sauvage.

Les auteurs de l'étude soulignent que le manque d'informations d'autres pays pourrait laisser entendre que ce type de criminalité environnementale est beaucoup plus présent en Grèce. Toutefois, ils notent que le taux d'incidence pourrait bien être plus élevé dans d'autres pays, mais les cas sont quasiment impossibles à évaluer en raison de l'absence d'études au niveau local.

« En vérité, si davantage d'efforts étaient investis dans ce domaine d'études, davantage de cas seraient alors décelés. Cela vaut aussi pour la répartition spatiale des cas d'empoisonnement, et c'est pourquoi les régions qui ont renforcé leurs mesures de contrôle enregistrent en général un nombre de cas beaucoup plus élevé. Par conséquent, il est très probable que la situation actuelle de l'empoisonnement d'animaux sauvages dans la péninsule des Balkans et dans chacun de ses pays ne reflète pas la réalité et qu'un grand nombre de cas d'empoisonnement ne soit pas comptabilisé. »

De plus, le projet préconise d'améliorer la communication et l'échange d'informations entre les institutions judiciaires et les domaines juridiques compétents afin d'accélérer les procédures d'investigation et les procédures judiciaires dans les cas d'empoisonnement de la faune sauvage.