L’Azerbaïdjan secoué par une nouvelle vague d’arrestations à caractère politique

Photo par Hasan Almasi sur Unsplash

Sous le puissant Président Ilham Aliyev, l’Azerbaïdjan a souvent été décrit comme le pays de « portes tournantes ». Ce terme renvoi à l’approche que l’État adopte à l’endroit de ses détracteurs. Lorsqu’il libère quelques prisonniers politiques, il lance une nouvelle vague d’arrestations. Par conséquent, la société civile et les défenseurs des droits humains ainsi que les opposants politiques ont pendant des années fait l’objet de harcèlement ciblé, d’intimidation et d’arrestation . La plus récente vague de répression témoigne de l’ancienne tradition.

Suite à la grâce présidentielle du 27 mai, qui ordonnait la libération de plus de 150 prisonniers y compris une poignée de prisonniers politiques, une nouvelle vague d’arrestation et de procès indique le retour à la tradition des « portes tournantes ». Pendant ce temps, ceux qui ont échappé de justesse à un emprisonnement ou une détention administrative continuent à décrier la croissance des actes de torture lors des gardes à vue. Cependant, les institutions gouvernementales compétentes rejettent en bloc cette allégation.

Auparavant, les membres de familles des opposants avérés du gouvernement ont également été ciblés. La dernière victime d’un tel ciblage à caractère politique est l’activiste Rabiyya Mammadova, dont la maman a subi une agression physique à son lieu de service le 3 juin dernier. «Voici ce à quoi ressemble l’engagement politique en Azerbaïdjan en 2022. Ils essaient de m’atteindre de cette façon», a déclaré Mammadova à Global Voices.

Mammadova fait partie d’une douzaine d’activistes ciblés, dont les noms ont fait la une des journaux locaux ces dernières semaines. Le journaliste Aytan Mammadova a été menacé à l'arme blanche suite à un reportage musclé, pendant que l’activiste politique, Bakthiyar Hajiyev était kidnappé et tabassé suite à ses propos à l’endroit des autorités locales. Un autre cas très médiatisé est celui du vétéran de l’opposition, l’activiste Tofig Yagublu, qui était détenu lors d’une manifestation en décembre 2021. Les images de ses blessures étaient fortement partagées sur les réseaux sociaux. Une fois de plus, d’après les résultats d’une enquête ouverte par les autorités, la police n’avait aucune implication dans les blessures de l’activiste.

Les groupes locaux des défenseurs des droits humains à l'instar de  « The Defense Line » confirment une accentuation des attaques. Au micro des journalistes le 3 juin dernier, le directeur du groupe, Rufat Safarov a souligné l’augmentation des cas de pression et d’agressions physiques. Safarov a également fait allusion aux mesures légales prises contre les citoyens azerbaïdjanais qui ont été récemment rapatriés de l’Allemagne. D’après les rapports de la presse, au moins six personnes ont été interpellées après leur retour en Azerbaïdjan suite à de fausses accusations de possession de drogue.

Le 20 mai dernier, la police a également interpellé l’ancien prisonnier politique et bloggeur, Rashad Ramazanov. Le lendemain, un tribunal à Bakou a inculpé le bloggeur de détention illégale de la drogue avec intention de vente. Par la suite, le bloggeur a été condamné à quatre mois de détention provisoire. Ramazanov aurait aussi déclaré avoir été torturé, une allégation réfutée par les autorités.

Suite à des accusations liées à la drogue, la police a interpellé le 28 mai dernier, l’activiste politique et membre de l’opposition du Front populaire, Razi Alishov. Selon Ali Kerimli, leader du parti du Front populaire, l’arrestation d’Alishov était politiquement motivée, une accusation rejetée par les autorités.

Dans un communiqué publié par le Conseil national de l’opposition, le groupe condamne les répressions en cours:

La police azerbaïdjanaise interpelle souvent les activistes de l’opposition pour des affaires de drogues. Razi Alishov est un activiste politique condamné par cet article. L’arrestation de Razi Alishov confirme une fois de plus que le Gouvernement d’Ilham Aliyev n’a aucune intention de changer ses méthodes de gouvernance et ne peut non plus fonctionner sans avoir recours à la répression et aux arrestations politiques. Sinon, comment expliquer les nouvelles arrestations politiques orchestrées juste après l’ordonnance incomplète de la grâce présidentielle signée le 27 mai dernier, et qui concernaient plusieurs prisonniers politiques ?

L'abus politique en cours a également été critiqué par le mouvement d'opposition N!DA dans une déclaration publiée sur Facebook :

Nous, activistes politiques civiques, politiciens, défenseurs des droits humains, journalistes et citoyens, sommes fortement concernés par les attaques et persécutions orchestrées ces derniers mois à l’endroit des activistes politiques, des journalistes et des membres de leurs familles en raison de leurs activités politiques. La bastonnade de Tofig Yagublu, membre du parti Musavat, lors de sa détention, l’humiliation de Bakhtiyar Hajiyev, un activiste politique kidnappé ainsi que l’agression physique de la mère de Rabiyya Mammadova, et le journaliste Aytan Mammadova menacé avec une arme blanche, montrent à suffisance que les actes de barbarie étaient posés par certains groupes criminels pour des raisons purement politiques.

La dernière vague de répression a également touché les activistes religieux. Le 7 juin dernier, l’activiste religieux, Fagan Mamedov a été condamné à six ans d’emprisonnement suite aux accusations liées à la drogue, une allégation dont a rejeté l’activiste. Le 20 mai dernier, l’activiste religieux, Razi Abbasov a été condamné à six ans d’emprisonnement suite aux accusations liées à la drogue. Le jour du procès, un groupe d’activistes religieux manifestaient devant la salle d’audience, mais la police a dispersé ce dernier avant de procéder à l’arrestation de cinq d'entre eux.

D’après Turan News Agency, trois personnes ont été condamnées à un mois de détention administrative, et deux autres ont été mises en liberté après plusieurs heures de détention. Selon le récit des deux personnes libérées, elles ont été torturées et humiliées par la police, qui a profané contre Dieu et elles. En réponse, certains détenus religieux ont décidé d’entrer en grève de faim.

L’arrestation des activistes religieux est monnaie courante. Depuis longtemps, le Président se méfie des groupes religieux. En 2015, les tensions ont atteint leur paroxysme lorsque, la police a procédé à l’arrestation de quinze hommes lors d’une opération spéciale de sécurité menée au Nardaran, un village chiite situé à la périphérie de la capitale.  Les autorités ont affirmé « avoir désamorcé une rébellion religieuse des fanatiques croyants chiites, dont l’objectif était l’instauration d’un état de charia dans l’Azerbaïdjan moderne et laïque ». Au cours des prochaines semaines, alors que les résidents en colère ont exprimé leur mécontentement sur la place publique, le bras de fer avec les autorités s’est poursuivi. En conséquence, au moins soixante-dix voire plus de quatre-vingts personnes ont été interpellées au total, d’après certaines estimations. Bien évidemment, plusieurs ont été relâchées à l’exception de quatre personnes et Taleh Bagirzade, président du Mouvement de l’Unité musulmane. Deux ans plus tard, Bagirzade est condamné à vingt ans d’emprisonnement. Son adjoint, Abbas Huseynov, a reçu la même sentence. Tous deux étaient accusés  « d’appel public au renversement du gouvernement et d’incitation à la haine ethnique, religieuse et sociale », a rapporté Radio Liberty à l’époque. Les mois suivants, les condamnations se sont poursuivies, et certains se sont vus attribuer des peines allant de douze à quinze ans d’emprisonnement. Cependant, la persécution des activistes religieux ne s’est terminée là. Au cours des années suivantes, les autorités ont continué à interpeller les membres du Mouvement de l’Unité musulmane.

Le 29 mai, l’activiste exilé, Tural Sadigli a déclaré être en danger après avoir reçu les rapports sur la visite de quatre hommes à son domicile en Allemagne. Au micro de Meydan TV, l’activiste politique a déclaré qu’il est ciblé parce qu’il a mis à nu la corruption du gouvernement, en particulier celle de la famille présidentielle. Sadigli tient une chaîne YouTube, Azad Soz [Expression libre], chaîne sur laquelle il critique les autorités azerbaïdjanaises.

Cependant, les activistes continuent à exprimer la défiance malgré la récente vague d’attaques. Se confiant à Global Voices, Rabiyya Mammadova a déclaré qu’elle continue le combat et fera tout son possible pour le bien-être de sa communauté. « Je comprends, je suis sur la bonne voie, je n’ai pas peur », a déclaré Mammadova. Le 14 mai dernier, un groupe d’activistes de la société civile a manifesté à Bakou, capital de l’Azerbaïdjan. Il réclamait une fin aux atrocités à l’endroit des opposants, activistes politiques et journalistes. Les organisateurs ont décidé de tenir ce rassemblement après que les activistes politiques et les journalistes aient été pris pour cible.

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