Comment l'intelligence artificielle pourrait influencer les élections de 2023 au Zimbabwe

Image du Secrétariat du Commonwealth sur Flickr, utilisée sous licence CC BY-NC 2.0.

Après des années de méfiance des citoyens à l'égard des organes de gestion des élections et d'un manque perçu de transparence, l'utilisation de la technologie biométrique, telle que les caractéristiques physiques et comportementales des personnes dans les processus politiques, s'est invitée en Afrique. Alors que le Zimbabwe se dirige vers des élections générales, constitutionnellement prévues en 2023, la campagne battra bientôt son plein.

Le pays a organisé des élections le 26 mars 2022, lesquelles ont vu le parti d'opposition Citizens Coalition for Change (CCC) remporter 22 des 28 sièges à l'Assemblée nationale. Bien que ces élections aient été un test décisif des principales élections prévues pour l'année prochaine, quel rôle l'intelligence artificielle (IA) devrait-elle jouer dans l'élaboration des résultats politiques ?

À l'approche du jour du scrutin, des anomalies liées à la liste électorale ont été relevées et rendues publiques par des organisations de la société civile, soulevant des inquiétudes quant à la crédibilité du stockage des données biométriques des électeurs. Il s'agit notamment d'allégations de manipulation de la liste électorale en déplaçant jusqu'à 177 000 électeurs vers de nouvelles circonscriptions et de changements non autorisés dans au moins 156 bureaux de vote.

Le fait que certaines de ces technologies ne reposent pas exclusivement sur des protocoles de transmission Internet pour transmettre et stocker des données oblige les gouvernements africains à adopter une approche large des contrôles qui traitent de toutes les atteintes à la sécurité de l'information.

Sécurité de l'information

Au cours des 32 dernières années, presque toutes les élections au Zimbabwe ont été accompagnées d'accusations d'intimidation des électeurs, de fraude électorale et de violence. À l'approche des élections du 26 mars, un fil narratif familier de manipulation des données électorales a été soulevé par le CCC et les organisations de la société civile. La Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) a affirmé que presque tout était conforme et que la liste électorale était constamment mise à jour. Ce manque de transparence non seulement corrode la confiance dans la technologie biométrique, mais il frustre également la crédibilité et l'audit de la fonctionnalité technique de cette technologie.

En 2018, le Zimbabwe a conclu un accord de coopération stratégique avec la start-up chinoise CloudWalk Technology, en vertu du quel le Gouvernement aurait accès à une base de données de reconnaissance faciale qu'il pourrait utiliser à toutes sortes de fins. Ces utilisations pourraient aller d'un maintien de l'ordre plus facile dans le cadre de l'initiative des villes intelligentes à la traque des dissidents politiques, entre autres. En retour, la Chine accède à cette base de données de citoyens zimbabwéens afin de former ses algorithmes et d'améliorer la capacité de ses systèmes de surveillance à reconnaître les peaux plus foncées. L'accord est mis en œuvre par étapes et atteindra bientôt le développement de l'infrastructure de caméras et de réseau au Zimbabwe. Les logiciels de reconnaissance faciale basés sur l'IA ont toujours eu des difficultés à reconnaître ces tons de peau et avec cette collecte de données personnelles des Zimbabwéens, la Chine gagnera un avantage concurrentiel mondial sur le marché de l'IA.

Comme le prouve l'histoire électorale du Zimbabwe, les atteintes à la sécurité de l'information demeurent une menace régulière. Par exemple, à l'approche des élections de 2018, la ZEC a refusé de donner au parti d'opposition alors dominant, MDC Alliance, l'accès à la liste électorale stockée sur ses serveurs, arguant qu'un tel accès pourrait compromettre la sécurité des données sensibles. S'adressant aux médias, la présidente de la ZEC, Priscilla Chigumba, a déclaré que les élections de 2018 n'avaient pas pu être truquées parce que le système de vote du Zimbabwe était infalsifiable, car toutes les données personnelles des citoyens qui avaient été collectées dans le cadre du processus d'enregistrement biométrique étaient hébergées sur un serveur de consolidation. Elle a ajouté que ces serveurs avaient des fichiers de protection très sophistiqués et des mots de passe de niveau d'accès impossibles à pirater. Malgré cette déclaration du chef de la ZEC, certains électeurs ont reçu des SMS de propagande ciblés du parti au pouvoir, la ZANU PF, ce qui a confirmé le fait que la commission avait communiqué les données des électeurs au parti au pouvoir. La ZEC a répondu aux allégations en admettant que sa base de données avait été piratée .

Dans une interview, Nate Allen, professeur adjoint d'études de sécurité au Centre d'études stratégiques de l'Afrique, basé  à Washington, a déclaré que le problème n'était pas tant la technologie elle-même que les choix que font les régimes répressifs dans l'utilisation de la technologie et à quelles fins.

« Naturellement, les régimes autoritaires vont s'intéresser à la technologie biométrique pour de nombreuses, mais mauvaises raisons, pour surveiller de près les mouvements de l'opposition politique, pour harceler, détenir et potentiellement intimider les électeurs et les militants, en vue d'adopter des sanctions ou la punition sélective de ceux qui ne soutiennent pas suffisamment le régime », a déclaré le prof. Allen à Global Voices.

Il a noté que l'un des plus gros problèmes jusqu'à présent avec le déploiement de la biométrie à travers l'Afrique est qu'il est vraiment difficile de collecter des données biométriques sur chaque citoyen. « Les citoyens des groupes les plus marginalisés sont les plus susceptibles d'être exclus ; ce qui peut avoir toutes sortes de conséquences de second ordre, allant de les empêcher de voter au refus d'accès aux avantages », a-t-il déclaré.

Dans une étude, l'expert numérique et avocat des droits humains de l'Institut d'éthique de l'Université d'Utrecht, Arthur Gwagwa, affirme que , dans le passé, la dépendance à l'égard de la sécurité de l'information au Zimbabwe était basée sur la militarisation et la sécurisation manifestes d'Internet, par exemple, l'implication de l'entreprise israélienne Nikuv collaborant avec l'armée dans les processus électoraux.

Cependant, les allégations récurrentes de manipulation des listes électorales semblent suggérer une intégration plus secrète d'intentions politiques dans les technologies (biométriques). « La gestion d'une élection est principalement dirigée par des civils et sous les auspices d'un ancien juge respecté qui connaît l'importance de respecter l'état de droit. Dans ce cas, l'état de droit devient une épée à double tranchant puisque la constitution donne à la commission électorale le mandat de gérer les élections, y compris les aspects technologiques », souligne M. Gwagwa.

La ZEC, par exemple, a le plein mandat de superviser l'impression du bulletin de vote ; ce qui prive l'opposition de la possibilité de tester les capacités technologiques cryptées et les caractéristiques de sécurité du bulletin de vote.

L'énigme de la biométrie et de la vie privée

Lorsque les technologies sont adoptées en l'absence d'un cadre juridique solide et de garanties strictes, elles constituent des menaces importantes pour la vie privée et la sécurité personnelle, car leur application peut être élargie pour faciliter la discrimination, le tri social et la surveillance de masse. M. Gwagwa souligne qu'au Zimbabwe, certains partis politiquement liés ont menacé de représailles les personnes qui votent d'une certaine manière, car ils ont accès aux données biométriques et aux numéros de série des électeurs afin de surveiller les habitudes de vote. Ce type d'intimidation est plus répandu dans les zones rurales, où résident de larges pans de la population du pays.

Dans une interview accordée à Global Voices, M. Gwagwa a déclaré qu'au Zimbabwe, le phénomène de l'information falsifiée, de la désinformation et de la propagande haineuse peut être limité à WhatsApp et parfois à Facebook, où l'État peut freiner le haut débit pour ralentir les le flux de données qui projettent sur l'opposition une lumière positive. « Contrairement aux démocraties libérales où les interférences numériques menacent la démocratie, les droits humains, l'état de droit, cela peut être atténué par la souveraineté et les dispositions constitutionnelles. L'impact de l'investissement étranger direct en Afrique empêche la réalisation de ces idéaux en premier lieu, l'unité sociale sur laquelle ils sont fondés et tout arrangement constitutionnel squelettique qui existe pour atténuer son impact », a déclaré M. Gwagwa.

En outre, dit M. Gwagwa, « le Zimbabwe peut répéter partiellement ce qu'il a fait la dernière fois ou simplement emprunter à la boîte à outils du Cameroun ou du Malawi, ou procéder à sa propre recette pour faire face à la menace du moment », se référant à la façon dont il a mené les élections générales de 2018, à travers un processus appelé partage et mise en miroir autoritaire. Cela fait essentiellement référence à la manière dont les gouvernements autoritaires adoptent des méthodes répressives utilisées dans des régimes similaires afin d'obtenir les résultats politiques souhaités.

Les élections de mars 2022 étant terminées, les élections de 2023 dépendront de la manière dont la technologie de l'IA sera utilisée, pour le meilleur, pour le vilain ou pour le pire.

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